Le journaliste du « Nouvel Observateur » n’est pas que l’auteur de l’article sur l’introuvable SMS présidentiel. Il a aussi inventé le romanquête.
Auteur de l’article sur le SMS de Nicolas S. à Cécilia, que ni Sarkozy, ni son ex-épouse n’ont jamais vu, le rédacteur en chef du Nouvel Observateur Airy Routier poursuivi pour « faux, usage et recel » risque – en théorie – trois ans de prison. Et en pratique, une fin de carrière sans soucis, avec gros à valoirs et voyages de presse à la clé. L’homme, qui continue à prétendre publiquement son info « en béton » mais qui en privé cherche comment rattraper sa bourde, se retrouve pour la première fois en très fâcheuse posture. Jusqu’ici, durant toute sa carrière, il avait réussi à zigzaguer entre le vrai et le faux, sans jamais se faire trop prendre. Journaliste économique, amateur de cigares et de blagues salaces, l’ami Airy a toujours donné la pleine mesure de son talent de conteur dans les innombrables bouquins d’enquête-fiction dont il s’est fait en vingt ans une véritable spécialité.
Tout commence en 1988, avec la publication de La République des loups, un livre sur la tentative de raid boursier contre la Société Générale. Avec ce thriller financier, Routier forge sa conception, originale à défaut d’être équilibrée, du journalisme d’investigation : s’allier fidèlement à un clan, en général le moins respectable donc le plus demandeur de soutien, pour obtenir des scoops sur l’autre. Il fait donc ami-ami avec Georges Pebereau, le raider en rupture de l’establishment et, d’une plume alerte, écrit son premier best-seller. Avec son épouse, Valérie Lecasble, la directrice d’I-Télé, il s’attaque ensuite à Tapie le Flambeur, une biographie contestée par la liberté qu’elle prend avec les faits.
Mais c’est avec l’affaire Elf, quelques années plus tard, que Routier va pousser encore plus loin sa technique. Alors que l’enquête judiciaire en est à ses prémices, Routier participe avec quelques journalistes à un dîner offert par Le Floch. Il y a été invité en même temps que quelques confrères par Olivier Le Picard, un lobbyste à la solde de « Pink Floch » traqué par la redoutable Eva Joly. « Aidez-moi », implore en substance Le Floch. Refus poli de pratiquement tous les convives. Mais l’ami Airy flaire le bon filon. Il va vite devenir le porte-parole officieux du patron corrupteur dans les colonnes du Nouvel Obs.
En échange, Le Floch l’abreuve de potins dévastateurs, à défaut d’être toujours vrais, contre son successeur à la tête de la compagnie pétrolière, Philippe Jaffré, qui avait eu la mauvaise idée de s’allier au juge. Sous la plume aiguisée de Routier, Le Floch, grand corrupteur de rois nègres devant l’éternel, devient le héros de la sauvegarde des intérêts français en Afrique, tandis que l’énarque Jaffré est dépeint comme un pervers sadique à la solde des Américains. Le monde selon l’ami Airy a l’avantage d’être simple à comprendre… et facilement recyclable en librairie. L’affaire Elf devient Forages en eaux profondes, un romanquête à succès.
Quelques années plus tard, on retrouve le journaliste en suppôt du milliardaire François Pinault en guerre contre son ennemi Bernard Arnault dans la guerre du luxe. Sautant sur l’occasion de pouvoir être soutenu par un grand hebdo de gauche, le patron chiraquien Pinault chouchoute son Airy à coups de dîners intimes avec les épouses. Le milliardaire l’alimente en enquêtes confidentielles commandés à des cabinets de barbouzes sur les turpitudes de Bernard Arnault. Routier en fera un livre violemment anti-Arnault, propulsé, bien entendu en tête de gondoles dans toutes les Fnac, les supermarchés culturels de Pinault. L’auteur bénéficiera également du tapis rouge déroulé par Ardisson à la télé, sur suggestion d’Anne Méaux, la conseillière en com’ de Pinault… et d’Ardisson. Le livre, où Arnault est dépeint en Ange exterminateur se vend donc plutôt bien, malgré un procès en diffamation intenté - et gagné - par la cible.
Décidément sous le charme du patron breton, l’ami Routier remet cela deux ans plus tard en publiant une « enquête » sur l’affaire Executive Life, une embrouille américaine dans laquelle Pinault risque de perdre sa chemise. Là encore, le patriote Routier décrit le pauvre patron français, harcelé par des fonctionnaires obtus à Bercy et racketté par une justice américaine sans scrupules.
Las, L’Arnaque n’intéresse en fait… personne. Le livre fait un flop. Comme d’ailleurs un autre des ouvrages typiques du personnage : un livre d’entretien avec Omar Bongo. Il faut oser. Routier ose tout. C’est même à cela qu’on le reconnaît. À l’origine du projet, un ami du journaliste conseiller en com du président à vie du Gabon, l’ex-patron de RMC Jean-Noël Tassez. Chaque année, Routier passe une semaine dans la villa tropézienne que loue le lobbyste, à la ville époux de l’actrice Charlotte Rampling. Les très respectables éditions Grasset accepte de publier le face-à-face Bongo-Routier, sorte d’anthologie revisitée des droits de l’homme sur le continent noir. Et pour cause : cela ne leur coûte pas un sou. Le palais présidentiel de Libreville finance toute l’opération, dont un voyage de presse sur place offert aux critiques français les moins mordants…
Il faut plus pourtant pour entamer la crédibilité professionnelle du grand artiste du journalisme d’investigation. Il y a deux ans, il fait encore un carton avec son Fils du Serpent, quick-book très romancé de l’assassinat du banquier Edouard Stern par sa maîtresse à Genève. Le talent de conteur du journaliste est si vaste qu’il peut écrire son « enquête » sans même mettre un pied à Genève ! L’ouvrage sorti en juin fait un carton dans les stations balnéaires.Il faut dire que sexe et fric, les mamelles de ce faits divers sont des sujets porteurs pour un roman de plage.
Maître du « romanquête », l’ami Airy a néanmoins plus de mal lorsqu’il faut manier les concepts. Après s’être fait retirer son permis de conduire par la maréchaussée, ce grand ami de l’automobile s’est essayé – sans succès – à dénoncer le système français du permis à point (voir encadré). Ce dernier ouvrage paru l’année dernière a fait un flop et lui a même valu d’être traité de « beauf » dans les colonnes de son propre journal Le Nouvel Obs où sa cote est depuis en chute libre.
Avec maintenant, la gaffe du vrai-faux SMS, cet artiste du journalisme de l’a-peu près commence à ternir dangereusement la réputation de l’hebdo de la gauche tarama.
Pugnace quand le combat est noble le sms-enquêteur Airy Routier n’a pas abandonné sa croisade contre la sécurité routière. Toujours sans permis, le garçon ne rate jamais une occasion de persifler sur le système. Dernier exemple en date, sa critique, dans le journal Challenges du 6 mars, de l’examen du permis. « Trop intellectuelle, bourrée de questions inutiles, sans rapport avec la sécurité, l’épreuve de code mérite d’être entièrement repensé ; quant à l’épreuve de conduite elle donne lieu à des abus de pouvoir des examinateur, qui piègent inutilement les candidats en état de stress ». Voilà un recalé qui l’a mauvaise
Toujours à l’affût du bon tuyau ou de la source « béton », Airy Routier a du nez et une plume indéniablement agile. Un talent qu’il a fait partager, notamment du côté de la société Euralair, où il prodigua quelques conseils avisés pour la fabrication du journal interne, selon d’anciens employés reconnaissants. Et la société avait d’autres lettres de noblesse : la compagnie d’aviation préférée des Chirac. Entre les années 90 et les années 2000, la compagnie, tombée en faillite en 2003, avait la grâce d’offrir quelques voyages gratuits au couple Chirac qui avait bien besoin de vacances il est vrai. Au moins six voyages offerts à « Bernie », première dame de France et un au candidat Chirac en 2002. Depuis 2006, Euralair est aussi source d’investigations. La juge Xavière Siméoni mène une instruction sur la faillite de la société, dans laquelle les Chirac pourraient être passés à la question. Bien la preuve que Routier a du nez…