Alors que le projet du Grand Paris est débattu au Sénat, Jean-Paul Huchon fort de sa réélection, accueillait dans son hôtel de région les élus franciliens de gauche et les invitaient à s’opposer au projet. Reportage.
Comme un parfum de gauche plurielle. Mercredi soir, Jean-Paul Huchon, fort de sa réélection, avait invité en « séance extraordinaire » les élus de gauche, toutes tendances confondues, verts, rouges et bien sûr roses à unir leurs voix contre le projet du Grand Paris. De Cécile Duflot à Pierre Laurent (PCF) en passant par Claude Bartolone, Dominique Voynet jusqu’à même Julien Dray- au dernier rang comme tout cancre qui se respecte- 150 à 200 personnes étaient au rendez-vous.
On aurait aimé plus d’entrain, de passion mais c’était plan-plan, mou et soporifique. Tout le monde assis en séance, chacun parlant l’un après l’autre, en respectant bien l’ordre des hiérarchies. L’académisme socialiste… Le président réélu de la Région nous a bien plombé d’entrée et les autres n’ont guère fait mieux. En même temps, difficile de faire vibrer les foules avec un sujet devenu plus technique qu’un saut de patineur et dont les coulisses sont aussi opaques que celles de la Star Academy.
Pourtant, au départ, c’était talent, strass et concorde. « Le Grand Paris ! », dix cabinets d’architecte, une effusion, une romance presque. Sarko tout sourire entre Huchon et Delanoë lors de l’inauguration de l’exposition des architectes au Trocadero en avril 2009. On s’imaginait que la gauche et la droite pouvaient gérer au mieux l’avenir d’une région française de 12 millions d’habitants. Crétin… Et aujourd’hui, bang ! C’est la guerre des territoires. Un grand n’importe quoi dans l’indifférence citoyenne la plus totale. Pour cause, le projet est une horreur de complexité. Et les Franciliens ont d’autres chats à fouetter. Pourtant 25 milliards d’euros (minimum) sont en jeu. A l’heure de l’endettement généralisé, on aimerait bien savoir à quoi va servir le magot. Le Grand emprunt devait financer une grosse partie… Nada. En acquérant les territoires autour des gares, l’Etat cherche à réaliser des plus-values foncières. La droite parle de 5 milliards d’euros, le rapporteur du budget Gilles Carrez pronostique péniblement un milliard. Comment va se financer ce projet ? La Cour des Comptes avait en tout cas fustigé le projet comme l’avait révélé Bakchich en novembre dernier. A gauche, on dit que ce sont les promoteurs immobiliers et les BTP qui vont le plus en profiter en spéculant. A droite, enfin pour Christian Blanc, c’est « la France » qui va en profiter. Laquelle au juste ?
Faut entendre Christian Blanc répondre à un député UMP en pleine commission de l’Assemblée nationale. En novembre, le bonhomme se demandait pourquoi le projet ne cherchait pas à améliorer « l’existant », c’est-a-dire les transports qui circulent déjà et qui composent un cauchemar quotidien pour des millions d’utilisateurs. Blanc répond, le menton haut, "Si Mr Huchon a des problèmes pour régler ce problème, qu’il m’envoie un courrier," sourire au lèvre. Fin de la réponse.
Tout le monde sait que la région ne peut objectivement supporter l’ensemble des coûts. Qu’elle a besoin de l’Etat. On aurait espéré que l’ancien Président de la RATP ait la mémoire moins sélective. Mais Blanc est sûr de lui. Sûr de son projet. On a beau lui dire que relier des pôles d’excellence en périphérie de Paris, étendre la ville est une conception dépassée et inefficace, il s’en fiche et fonce comme un bulldozer. Est-il vraiment déconnecté quand il parie que la région île de France va obtenir 5% de croissance grâce à son projet ?
Parfois Christian fait peur. On est à la deuxième lecture du projet, et on n’a toujours pas le tracé du « Grand huit » ni l’emplacement des gares. En ce moment, c’est donc le grand deal. Le secrétaire d’Etat place ses gares comme d’autres étendent leur linge. Claude Bartolone, ironique, lance : « On nous a dit qu’il y aurait une gare tous les 5 km mais avec le nombre de gares promises en Seine-Saint-Denis, ce doit être tous les 1,5 km." "En même temps » poursuit-il, « je n’en veux pas à ses maires qui cherchent à faire au mieux pour leurs habitants et à ramener de quoi nourrir leur mandat. » Beaucoup d’élus de gauche sont d’accord pour dire que cette loi est une atteinte à la décentralisation mais aussi à l’égalité. Selon Anne Hidalgo, autour des gares, « il y aura des bureaux et des logements difficilement accessibles. Se créera alors une deuxième zone, moins chère, une nouvelle reproduction de ghettos. » En tout cas le mot « égalité » n’a jamais été prononcé par Blanc. Il préfère le mot « excellence », c’est clair. Quant au logement, si dans l’article 1, 70 000 par an devraient être construits, c’est au préfet de décider. Pour le sénateur parisien Jean-pierre Caffet, « ça ne rime à rien. Le préfet est le bras armé de l’Etat, on ne cesse d’empiéter sur le rôle des collectivités. » Dépité le sénateur, dépité.
Il y avait aussi un projet initié par la région, signé par des élus de gauche mais aussi de droite, dont même le département des Hauts de seine, c’était « Arc express ». Un projet concentré sur la première couronne, touchant les transports mais aussi l’environnement, le logement, le travail… mais selon Les Echos du 6 avril « par amendement déposé en commission, l’UMP prévoit que la promulgation de la loi sur le Grand Paris stoppe net le projet de métro circulaire Arc Express de la région en mettant fin au débat public qu’il implique. » Selon un élu socialiste parisien, « Huchon a été trop naïf avec Sarkozy, il s’est fait avoir sur Arc Express ». Faut dire que si le Président de la région s’oppose au projet de loi aujourd’hui, il n’en a pas toujours été le cas. Bien sûr, il y a un an, le projet était encore plus vague qu’aujourd’hui mais l’idée d’un métrophérique automatique reliant des pôles d’excellence existait déjà. Huchon ne parlait pas alors d’« archaïsme ». Mais le tour de force vient bien de Sarkozy. Petite illusion : « Je te donne Arc express, tu me donnes le Grand Paris ». Avec pour suite l’enterrement quasi illico du projet Arc Express dans les tiroirs de Matignon. Sarko accélère le passage législatif du Grand Paris et rendra probablement caduque le projet régional. Bravo ! Grand stratège !
A la tribune, la sénatrice Catherine Tasca, petit bout de femme, le ton sincère et véritablement catastrophée par l’attitude« hostile » de Christian Blanc à l’égard de l’opposition. « Il n’entend rien, vous vous rendez compte qu’il n’y a même pas eu de discussion publique, c’est un vrai recul démocratique. » Elle s’étonne aussi de l’attitude des sénateurs hors Ile de France. « Ce projet a une dimension nationale. Je suis convaincue que c’est d’abord un test, un schéma qui peut s’étendre à tout l’hexagone. Il peut y avoir un Grand Marseille, un Grand Lyon, un Grand Lille. C’est une véritable marche à rebours contre la décentralisation. »
Pour ne pas démentir la sénatrice, les statuts de la société du Grand Paris n’empêchent pas qu’elle se retrouve ailleurs. Renaud Muselier avait d’ailleurs rencontré Christian Blanc au sujet d’un certain Grand Marseille…
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