François Fillon serait susceptible de rester Premier ministre jusqu’en 2011 selon les révélations du livre "La carpe et le lapin". De quoi faire réfléchir sur l’utilité de la fonction du résident de Matignon.
Il n’y a pas de quoi crier haro sur le baudet. Et pourtant. Au détour d’une phrase, dans un livre paru hier, « La carpe et le lapin », une journaliste de France-2, Alix Bouilhaguet, révèle l’existence d’un pacte conclu en mai 2008 entre Nicolas Sarkozy et François Fillon pour prolonger le bail de l’actuel Premier ministre jusqu’en 2011. Hors donc de toute contingence électorale. Ou plutôt, à la veille d’une campagne présidentielle de 2012 : Sarkozy en habit de candidat avec, en tailleur de costume, un frais émoulu Premier ministre ( Brice Hortefeux ?) pour la préparation d’un second mandat.
Que révèle cette anecdote hormis ce que l’on sait déjà : Fillon maître d’œuvre appliqué et corvéable d’un Président sur tous les fronts ? Le diable se cache dans le détail de nos institutions. Et d’un inversement des rôles depuis 2007 au sein de l’exécutif : Sarko politise les techniciens (Claude Guéant, Henri Guaino) et « technicise » le politique, au premier rang duquel figure François Fillon. Une évolution aujourd’hui mieux assumée.
Le temps de la démission de Fillon dans les premiers mois, en septembre 2007, parce que court-circuité de toutes parts, paraît bien loin. Sa popularité aurait grimpé de 47% à 54% ce mois-ci selon un sondage ViaVoice et son avenir politique, il l’envisage dans les bureaux ambrés de la mairie de Paris. Des ambitions à rebours du parcours de ses prédécesseurs. Qui posent la question aujourd’hui de l’utilité de la fonction.
Le rétroviseur historique de Matignon donne le ton du changement. Du temps ou le prestige du titre suffisait à se voir promettre un avenir élyséen. Chirac Premier ministre de 74 à 76 prêt à venir à bout de Giscard d’Estaing. Puis de 86 à 88, lors de la première cohabitation, en premier opposant de Mitterrand. Balladur de 93 à 95 poussé par les sondages favorables à la veille de la présidentielle. Juppé ensuite, de 95 à 97, tué au front lors de la réforme avortée des régimes spéciaux. Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002 et présidentiable avec le succès qu’on lui connaît. Raffarin et Villepin enfin, l’un et l’autre, vidés par l’usure, à la suite du désastre du TCE (traité constitutionnel européen) pour le premier et du CPE pour le second, dont l’expérience amère de Premier ministre aura sapé son destin napoléonien d’être « le soleil noir de la puissance » pour reprendre le titre d’un de ses bouquins. Cet « enfer de Matignon », ils l’ont vécu et ont cru pouvoir rompre la malédiction qu’un Premier ministre ne puisse grimper l’ultime marche de la Présidence de la République.
Avec François Fillon, on serait tenté de dire que la question ne se pose pas. La fonction de Premier ministre tend à se confondre avec celle d’un vice-président à l’américaine. Dont il ne vient aujourd’hui personne à l’esprit de demander la tête du chef de Matignon, même au plus fort de la crise de 2008. Car l’épicentre de la décision et de la responsabilité politique se concentre à l’Elysée, œil des caméras, des bons et mauvais résultats. En novembre 2008, Fillon évoquait la logique d’une suppression du Premier ministre qui « poussée jusqu’au bout, doit aboutir à un vrai régime présidentiel ». Si Sarko y trempe allègrement les pieds, ce principe implique en aval un changement de constitution. Qui posera irrémédiablement comme question la responsabilité politique du Président devant le Parlement et de la redéfinition de ses contre-pouvoirs. En attendant, Sarko se protège derrière son Premier ministre, son chevalier inexistant.
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