Après la polémique lancée par le ministre de la Défense, Hervé Morin, sur le fichier de renseignements « Edvige », le président de la République a dû intervenir. Histoire de calmer le jeu… et de faire taire les tensions nées au sein du gouvernement.
Grosse bazar au sein de l’exécutif : Edvige a semé le trouble et fait tourner la tête de plus d’un ministre… Jusqu’à se transformer en une bombe politique à retardement pour le gouvernement. Sarkozy, lui, l’a bien compris. En fin « stratège » qu’il est - pour reprendre l’expression de Carla Bruni sur le plateau de Michel Drucker - speedy Sarko a décidé de reprendre vite fait les choses en main.
Car « Edvige » (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) n’a pas bonne presse. Ce fichier, créé par décret du 27 juin et publié au Journal officiel le 1er juillet, centralise des données sur trois catégories de personnes. Primo, les personnalités « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique » et celles qui jouent « un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Deuxio, les individus ou organisations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. Troisio, les personnes candidates à certains emplois ou fonctions. Et dans ce gros fichier, on précise aussi bien les numéros de téléphone que l’immatriculation des véhicules, les antécédents judiciaires ou encore la mention de la profession et l’état civil de la personne fichée. En gros, rien n’est passé à la trappe. Big Brother is watching you…
Le décret est signé du Premier ministre, François Fillon, et de la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Alors que la polémique gronde fin août, MAM explique qu’il n’y a pas de chat à fouetter. Edvige ne ferait que reprendre l’ancien fichier des RG mis en place il y a dix-sept ans. Sauf qu’en 1991, l’ancêtre d’Edvige avait déjà levé un tollé… à droite avec les vives réactions de Simone Veil et de Charles Pasqua. Et qu’avec Edvige - quelle vilaine celle-là ! - les mineurs susceptibles de troubler l’ordre public peuvent être recensés dès l’âge de 13 ans. Gloups ! Et l’orientation sexuelle de la personne fichée, comme son état de santé, font désormais partie des renseignements enregistrés. Des données pourtant hautement personnelles…
Mardi 9 septembre au soir, après l’organisation d’une réunion impromptue au « Château », Nicolas Sarkozy, entouré de Fillon, MAM et de responsables policiers, serre la vis. Et reprend en main la communication autour de ce dossier. L’Élysée demande à MAM d’« ouvrir une concertation » et souhaite l’abandon des mentions relatives à la santé et à la sexualité des personnes fichées. Parallèlement, Sarko fait savoir qu’il s’interroge sur le bien-fondé d’un fichier pour les personnalités. Et un bonnet d’âne pour Fillon et MAM !
En quatre jours, tout s’est emballé. Jusqu’à samedi 6 septembre, soit deux mois après la parution du décret, la création du fichier Edvige n’avait pas créé de vague au sein du gouvernement. Mais ce week-end, Hervé Morin, ministre de la Défense, jette un pavé dans la marre : « Est-il utile pour assurer la sécurité de nos compatriotes, de centraliser des informations relatives aux personnes physiques ayant seulement sollicité un mandat politique ou syndical ? » Alors qu’il tient, en tant que président du Nouveau Centre, son Université d’été dans le Var, Morin se taille un franc succès dans l’opinion. Et reçoit un coup de bâton de MAM en retour ! Pan sur le bec !
À Royan, au grand raout de l’UMP, la ministre de l’Intérieur, lâche cinglante : « Je suis ravie que M. Morin se pose des questions. La question que moi je me pose, c’est comment il se fait que depuis le 1er juillet, il n’ait pas réussi à trouver mon numéro de téléphone pour me demander ce qu’il en était, je l’aurais rassuré… » Dire qu’à un coup de téléphone près, Sarko aurait pu être pépère. Vraiment !
Fillon en remet une couche. Quelques heures après l’intervention d’Alliot-Marie, en déplacement à Rennes, le chef du gouvernement tâcle son ministre de la Défense et le rappelle à l’ordre. « Je pense qu’il n’est pas nécessaire de créer des suspicions là où elles n’existent pas et j’ai eu l’occasion de le lui dire ». Avant d’ajouter : « Ce n’est pas une caserne, un gouvernement, mais enfin là en l’occurrence, il ne faut pas se laisser aller à de jugements inspirés par une vision très légère des choses. » Sympa, l’ambiance !
L’intervention de Fillon ne sert à rien… en tout cas, ne fait pas taire les voix discordantes au sein du gouvernement. Quelques heures après son intervention, Rama Yade, la secrétaire d’État aux Droits de l’Homme reconnait, sur Europe 1, que des « précisions sont nécessaires, des clarifications sont utiles notamment sur cette question des orientations (sexuelles) ». Avant de souligner qu’elle « espère, que le Conseil d’État apportera cette précision là ». Saisi au total de treize recours - pas moins ! - déposés par les associations et les politiques, le Conseil d’État devrait se prononcer d’ici la fin décembre.
En attendant, les associations, qui ont déjà recueilli plus de 100 000 signatures à leur pétition Non à Edvige, ne désarment pas. Elles appellent à la mobilisation mardi prochain… jour de la Sainte Edwige. C’est Sarko qui va être content ! Quant au gouvernement, il a laissé quelques plumes dans l’affaire. Et perdu une occasion de faire preuve de sa belle unité…
À lire ou relire sur Bakchich :
Communiqué de presse du Syndicat de la Magistrature
« La vie des autres » avec EDVIGE
Un décret publié le 1er juillet 2008 au Journal officiel institue un nouveau fichier dénommé EDVIGE, organisant le fichage généralisé et systématique de « toutes (…)
A propos du passage du décret qui fait référence aux orientations sexuelles, cela fait partie des types de données qui n’ont par défaut *jamais* à faire l’objet d’un traitement - cf la phrase du décret :
"Le traitement peut enregistrer des données à caractère personnel de la nature de celles mentionnées à l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée. Celles de ces données autres que celles relatives aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou à l’appartenance syndicale ne peuvent être enregistrées au titre de la finalité du 1 de l’article 1er que de manière exceptionnelle. Il est interdit de sélectionner une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules informations.
Et c’est donc cet "article 8" de la Loi informatique et libertés (LIL, révisée en 2004 afin notamment de laisser à l’Etat le pouvoir de ficher plus sans le regard inquisiteur de la CNIL…) qui liste une série de critères qui ne doivent pas faire l’objet de fichage ; l’orientation sexuelle fait donc partie des données "autres que celles relatives aux opinions politiques (…)", pour lesquelles il est donc possible, dans Edvige, même a titre exceptionnel, de ficher les individus.
Un décret n’a jamais été un outil juridique destiné à clarifier le droit pour le citoyen, normal que tout ne soit pas écrit noir sur blanc, ce serait trop simple…
Et WARNING : la Ste Edvige c’est le 16 octobre, pas mardi prochain 16 septembre…
(pour ceux que ça intéresse : le fait que certains fichiers de "souveraineté" peuvent désormais être créé sans loi ni publicité, comme ça a failli être le cas pour Edvige (la Cnil, son seul succès dans cette affaire, a été d’exiger de le rendre public), date de la réforme de la LIL de 2004, où un certain sénateur, A. Turk, avalisait ces nombreuses "simplifications" — c’est aujourd’hui le président de la Cnil…
pour avoir lu le décret une bonne dizaine de fois je ne trouve toujours pas l’article ou il est question de ficher l’orientation sexuelle et l’état de santé… je suis vraiment prêt à ce qu’on me dise ou cela est mentionné parce que j’entend tout le monde en parler mais je ne sais pas d’où ça sort …
lien legifrance pour lire le décret :
FIER DE FIGURER DANS EDVIGE !
Pensez-vous sérieusement que ce fichier sera aménagé ? ne sera pas remplacé par un autre ? Vous croyez au père sarKonoël ?
EXIGEONS D’Y FIGURER T O U S, TOUS, TOUTES !!! C’est un honneur.