Ambiance délétère, gouvernance impuissante, actionnaires absents… Airbus, formidable machine industrielle, filiale d’EADS, le dernier fort symbole de l’Europe, est en train de sombrer. « Bakchich » revient cette semaine sur la saga et les misères du groupe aéronautique franco-allemand, sur lequel plane une épée de Damoclès judiciaire, avec l’affaire des délits d’initiés.
Au siège d’Airbus à Toulouse, comme chez EADS la maison mère de l’avionneur européen, ils sont nombreux les dirigeants à attendre les vacances… judiciaires ! Les plus impatients sont les responsables épinglés par l’AMF (l’Autorité des marchés financiers) et la justice qui les soupçonnent d’avoir détenu des informations privilégiées sur les retards du programme phare d’Airbus, l’A380, appelé « le paquebot des airs ». Et d’en avoir profité pour se graisser les poches en vendant massivement leurs actions et stock-options alors que le cours était au plus haut… juste avant de s’effondrer.
L’été va leur permettre de souffler un peu et de préparer leur défense. Car au rythme où vont les juges Xavière Siméoni et Cécile Pandaries chargées de l’instruction, les dix-sept responsables (Français et Allemands) visés seront tous mis en examen avant la fin de l’année. Un véritable carnage à la tête du second constructeur aéronautique mondial après Boeing. « Pour peu que la justice les empêche de quitter l’espace Schengen ou de se parler entre eux, comme la rumeur en a couru, c’est le fonctionnement de l’entreprise qui s’en trouverait paralysé », s’inquiète une victime potentielle. On n’en est pas là. Mais des dégâts irréparables ont déjà été commis. « EADS est à la ramasse, complètement laminée, sa valeur en bourse dégringole. Un jour un fond américain, russe ou israélien, n’aura plus qu’à se pencher pour mettre la main sur le capital. Voilà le risque. Car les actionnaires, Français en particulier, que ce soit l’État ou Arnaud Lagardère, ne réagissent pas », s’étonne un banquier.
Plusieurs raisons à la pagaille ambiante régnant à la tête du groupe franco-allemand. Après la chute de Noël Forgeard, Nicolas Sarkozy a fait nommer Louis Gallois à la présidence exécutive d’EADS. Les Allemands plaçant, pour leur part, Rüdiger Grube à la tête du comité des actionnaires. Un partage des rôles en apparence équitable en attendant de trouver un mode de fonctionnement, plus proche des normes habituelles des sociétés cotées. C’est du moins ce qu’avait promis Nicolas Sarkozy, vendant la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Car le 15 juillet suivant son élection, lors de sa première rencontre officielle avec Angela Merkel, il échoue dans sa tentative d’imposer un nouveau système de gouvernance. Angela s’y est refusée.
Pourquoi nos amis d’outre-Rhin voudraient-ils changer ce qui leur est si profitable ? Bien qu’ayant apporté moins de technologies au départ dans la corbeille de mariage, nos partenaires détiennent en effet aujourd’hui les clefs du pouvoir au sein d’EADS. En réalité, ce sont eux, et non pas Nicolas Sarkozy, qui ont imposé Louis Gallois, homme de compromis ayant horreur des conflits, qu’ils avaient pu expérimenter dans le passé à la tête d’Aérospatiale. « Ce sont encore eux qui, récemment, ont sauvé Gallois alors que des voix s’élevaient pour réclamer son limogeage », raconte un proche de Matignon. Par ailleurs les finances, la défense, les hélicoptères et Airbus sont entre les mains de patrons allemands. Seul l’Espace est encore dirigé par un Français. La France n’a plus tellement droit à la parole. Et dans les usines, de Toulouse, Saint Nazaire, Méaulte…etc, comme au siège parisien d’EADS France, le doute et la consternation sévissent au sein des équipes.
D’autant plus que le glaive de la justice s’abat régulièrement sur une tête ou une autre. Mercredi 9 juillet 2008, une nouvelle étape a été franchie avec la garde à vue, puis la mise en examen du premier dirigeant encore en activité, Andreas Sperl, l’actuel responsable du site de Dresde en Allemagne. Avant lui, Noël Forgeard, Jean-Paul Gut et Gustav Humbert, tous mis en examen, avaient déjà abandonné leurs fonctions. « À qui le prochain tour », s’interroge l’un des 13 autres membres de la liste établie par le gendarme de la Bourse qui voudrait bien connaître le calendrier des juges. Un proche de Philippe Camus, le prédécesseur et ennemi juré de Forgeard, broie du noir : « De toutes façons, ils vont tous y passer. Cette affaire va empoisonner leur vie durant 7 ou 8 ans au minimum. Ils ne peuvent plus continuer à diriger. Plus le temps passera, moins ils seront respectés par leurs troupes. À terme des décisions radicales à leurs égards sont nécessaires. Gallois, qui n’arrête pas de proclamer son soutien, n’est pas l’homme adéquat. Il n’a pas l’étoffe du patron qui tape du poing sur la table… ». Alors qui, puisque le pouvoir politique semble inscrit, lui aussi, aux abonnés absents ?
Cette vacance du pouvoir se ressent maintenant à tous les étages. Louis Gallois donne même parfois l’impression de ne plus rien maîtriser. Ainsi l’affaire des avions ravitailleurs américains. EADS, associé à l’Américain Northrop, avait remporté face à Boeing le marché de l’Armée de l’air US pour la fourniture de 179 appareils, des Airbus A 330 modifiés. Un exploit historique évalué à 35 milliards de dollars ! Suite à une plainte de Boeing, le Pentagone vient de tout annuler. Tout le monde s’y attendait. Sans entrer dans les détails, le contexte politique pré-électoral s’y prêtait. Tant McCain qu’Obama étaient, chacun pour des raisons différentes, favorables à une relance de l’appel d’offre. Seul Louis Gallois, quelques heures avant l’annulation se disait encore « très confiant ». « La preuve que ses équipes américaines travaillent de manière complètement déconnectée et n’ont même pas pris la peine d’appeler leur patron à la prudence », constate un proche du dossier.
La même impuissance sévit dans les usines. Après la publication par Bakchich d’un document explosif rédigé par des cadres dirigeants pointant du doigt les tensions entre Français et Allemands, Louis Gallois a entamé une curieuse valse d’hésitations. Il a d’abord affirmé qu’il ne voyait aucun déséquilibre, avant finalement de souhaiter que « le climat s’améliore entre travailleurs français et allemands à Toulouse ».
Ambiance délétère, gouvernance impuissante, actionnaires absents… Airbus, dernier symbole fort de l’Europe, est en train de sombrer. Malgré ses dérives, l’entreprise reste une formidable machine industrielle capable des plus fous défis technologiques et qui a su s’imposer face à l’Amérique de Boeing. Airbus, à l’origine, se voulait également le symbole de la réconciliation entre Français et Allemands. Las ! La mondialisation, l’âpreté de la concurrence, l’impatience aussi des marchés financiers ne raisonnant que sur le court terme alors qu’un avion est conçu pour vivre trente ans, font aujourd’hui d’Airbus et de sa maison mère EADS un chef d’œuvre en péril. Car tout n’est pas à mettre sur le dos des dirigeants. Quand, par exemple, EADS a remporté le marché des 179 ravitailleurs américains, la bourse a salué cette victoire par une augmentation moyenne du titre d’environ 5 pour cent. L’annonce de la plainte de Boeing puis celle de l’annulation de l’appel d’offre ont entraîné une baisse de 17 pour cent !
D’où viendra le salut ? Qui sauvera Airbus ? Faudra-t-il dynamiter les fondations pour pouvoir enfin aborder la prochaine étape ? Qui osera passer à l’acte ? Claude Bébéar, considéré comme le parrain du capitalisme français, est sur les rangs selon des sources bien informées qui lui prêtent depuis longtemps l’intention de vouloir démanteler le groupe d’Arnaud Lagardère, principal actionnaire privé d’EADS en France aux côtés de l’État. Un signe : selon la Lettre A, Alliance-Bernstein, une filiale d’Axa, groupe fondé par Bébéar, possèderait désormais presque autant de parts dans Lagardère SCA qu’Arnaud Lagardère lui-même.
Malgré les vacances judiciaires, l’été s’annonce donc chaud pour l’héritier de Jean-Luc Lagardère, déjà aux prises avec le Crédit Mutuel qui vient, lui, d’engager une action en justice au sujet des obligations EADS qu’il a achetées au prix fort en 2006. Tristes prémices de la fin d’un rêve industriel qui risque de se terminer en cauchemar.
À lire ou à relire sur Bakchich :
Sale temps pour EADS
L’article ci-dessus a le mérite de faire le point de la situation à EADS et ses divers aspects essentiels.
Je complète le sujet abordé, afin de rappeler un autre ennui judiciaire qui vole au-dessus d’EADS : le scandale du contrat passé avec la compagnie d’Etat taiwanaise China Airlines.
On évoque à Taipei, chez les magistrats instructeurs, 600 millions d’euros de dessous de tables.
Rien de bien grave pour le moment : 5 anciens ministres sont mis en examen depuis hier, l’ancien PDG signataire du contrat, Rango Chao, a été viré de son siège et mis en examen par la Justice de son pays.
Les pistes se dirigent par hasard vers la haute direction d’EADS. Pourvu que la presse financière européenne ne lise ni l’anglais, ni le mandarin, cela pourrait s’ébruiter !
Pourvu aussi que cela ne se sache pas trop non plus auprès des actionnaires d’EADS…Ils pourraient finir par penser que des gens se paient leurs têtes, une impression qui ne serait pas totalement infondée.
Très cordialement,