François Pérol, qui vient d’être promu grand patron des Caisses d’Epargne et des Banques Populaires en provenance directe de l’Elysée où il était secrétaire général adjoint, ne cache pas le mépris que lui inspirent les critiques sur ce pantouflage. « Les conditions de ma nomination sont régulières », assure-t-il dans le Journal du Dimanche (1/03). C’est sans doute la raison pour laquelle il refuse de saisir la désormais fameuse Commission de déontologie. Il s’est contenté de solliciter discrètement le président de cet organisme et l’intéressé « a accepté de donner à titre personnel un avis ».
Et, ô miracle, c’est toujours François Pérol qui parle, « selon lui, ma nomination ne devait pas être soumise à la commission, mes fonctions étant celles d’un conseiller sans délégation de signature ». A la lettre, c’est vrai mais chacun a pu constater que depuis le 6 mai 2007 la France était entrée dans une ère de « rupture » à tous points de vue. Super Sarko a expliqué à maintes reprises qu’il avait été élu pour exercer la plénitude du pouvoir. Lors de ses voeux aux parlementaires en janvier dernier, il s’est d’ailleurs justifié une nouvelle fois : « On dit omniprésident. Je préfère plutôt qu’on dise ça plutôt que roi fainéant. On en a connu ». Le tout avec ce sourire appuyé qui est destiné à créer une connivence avec l’auditoire et à clouer les prédécesseurs, en l’occurence le prédécesseur puisque tout le monde a compris que c’était Jacques Chirac qui était visé.
Donc, depuis le 6 mai 2007, Super Sarko fait tout, au point que le Premier ministre, le très discret François Fillon, en a plein le dos depuis plusieurs mois. Tous les dossiers remontent à l’Elysée. Les conseillers du Château décident de tout, sous l’oeil bienveillant du Prince qui les autorise même à s’exprimer à la télévision, à la radio et dans la presse écrite. Ainsi, depuis près de deux ans, le vrai Premier ministre se nomme Claude Guéant, le vrai ministre de l’Economie François Pérol, le vrai ministre des Affaires étrangères Jean-David Lévitte, le vrai ministre de la Justice Patrick Ouart. Qui vire le patron de la police en Corse parce que la villa de l’acteur Christian Clavier, ami de Super Sarko, a été occupée par des nationalistes ? L’Elysée, évidemment, même si la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a été priée d’en endosser la décision.
Même chose pour le limogeage récent du préfet de la Manche, qui avait oublié de transformer la ville de Saint Lô en camp retranché afin que Sa Majesté ne puisse subir l’outrage de quelques huées. Dans le domaine économique, on a bien vu que les dossiers étaient traités directement par le président et sa cour. C’est lui qui convoque les banquiers et les assureurs à l’Elysée. C’est lui qui admoneste les patrons de Renault et de Peugeot, dont il découvre avec stupeur qu’ils délocalisent depuis des années. Dans le domaine judiciaire, tout le monde sait que Patrick Ouart intervient dans toutes les affaires importantes, court-circuitant la désormais rejetée Rachida D. Et quand un dossier foire, Super Sarko éructe, comme le rapportent régulièrement les gazettes : « Décidément, je dois tout faire. Quand je ne m’occupe pas d’un dossier, c’est le bordel ».
Cette évolution a un nom : c’est la présidentialisation. Pourquoi pas après tout. Les Etats-Unis ont un régime présidentiel et les conseillers de la Maison Blanche ont un pouvoir exhorbitant. Mais ils ont en face, c’est-à-dire au Congrès, de vrais contre-pouvoirs. Dans la France de Super Sarko, les conseillers présidentiels ont un pouvoir extraordinaire, ils peuvent s’exprimer publiquement mais ils n’ont de compte à rendre à personne et se dispensent de saisir une instance aussi inoffensive que la Commission de déontologie. Bref, au-delà du cas Pérol, le pays est mûr pour une réforme constitutionnelle. Une vraie, cette fois.
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