Pour ses 9 ans à la tête du pays, Gorgui Wade a reçu une soufflante assez inattendue aux dernières élections, programmées pour lancer son fils Karim en politique. Et un violent bizutage, un !
Un vent frais balaie Dakar en cette fin de dimanche après midi. Et malgré un soleil resplendissant, les Sénégalais ont sorti leur petit pull. Et mis une grosse veste au régime de l’Alternance du président Wade. Après neuf ans de règne, le Sopi (changement en wolof) connaît sa première défaite électorale avec les élections locales du 22 mars. Quasi pile neuf ans après l’historique victoire du 19 mars 2000. Joyeux anniversaire Gorgui [1] !
La route a pourtant été bien déblayée. Entre la mainmise de l’Anoci, dirigée par l’héritier du président Karim Wade, les « défenestrages » successifs des Premiers ministres (successeurs potentiels passés dans l’opposition), l’usure des chefs de l’opposition aussi marqués par leur appartenance aux quarante années de règne socialiste que leurs 9 ans de purgatoire, rien ne semblait pouvoir gêner le pouvoir. Sauf ces farfadets de Sénégalais, « des gorgorlu » ces électeurs. « T’as qu’à voir en banlieue (de Dakar), se marre le truculent opposant Ali Aidar, ils ont pris l’argent du pouvoir pour faire la claque lors des meetings et sont allés voter dans le sens contraire ». Les farceurs…
Giflée à Saint-Louis (sept ministres battu), fessée à Fatick (l’ancien PM Macky Sall vainqueur), submergée à Thiès malgré la retape de Karim (son frère ennemi Idrissa Seck l’a emporté), la coalition Sopi 2009 a eu ce qu’elle voulait… le changement.
Bien plus qu’un symbole. Certes, le pouvoir pourra gloser sur un scrutin qui n’a rassemblé « que » 51% de votants (35% à 16 heures), selon les dernières estimations. Certes, l’opposition ne maîtrise pas le pays – le redécoupage électoral l’a pris de court et ses listes ont été déposées dans deux fois moins de localités que le pouvoir. Mais comment gouverner sans être maître des grandes villes du pays ? Seule Ziguinchor, capitale de l’instable Casamance, a été gagnée.
Et surtout, la famille Wade s’est retrouvée humiliée à Dakar. Père, mère et fils battus dans leurs propres bureaux de vote au Point E, quartier fort coquet de la capitale ; elle aussi tombée dans l’escarcelle de Benno Siggil Sénégal (S’unir pour un Sénégal debout), la coalition de l’opposition.
« En descendant dans l’arène, Wade a transformé le scrutin en référendum contre lui. Et il a largement perdu, entraînant son fils dans la chute ». Tout juste sorti de la table du Régal, Jupiter Tamsir Ndiaye, l’un des plus célèbres chroniqueurs du pays, répond au téléphone pour livrer son édito. En direct. Et en stéreo pour les habitués qui ont allumé la radio dans le restaurant.
Chez Jamal comme ailleurs, les résultats ont surpris. Journalistes, avocats, opposants ou proches du pouvoir réunis en ces murs rivalisent d’adjectifs. « Naufrage », « désastre »… répétés à l’envi. Lundi, ils couvriront les unes des journaux. Qui n’avaient rien vu venir.
Comme en 2007. Quand la réélection de Wade au premier tour de la présidentielle avait abasourdi milieux diplomatiques, médiatiques et économiques. « Imprenable », glissait Madiambal Diagne, le patron du Quotidien, à l’idée d’une victoire de l’opposition à Dakar « Mêmes les gens qui ont agité des foulards, qui sait pour qui ils voteront au final ». « Inéluctable », comme la victoire de Karim à Dakar, y compris dans ces colonnes.
« Même là où les gens ne savaient pas qui se présentait contre Wade, relance Jupiter, revenu terminer son steak, ils ont voté pour l’opposition, le rejet est clair ».
Et la chute d’autant plus vertigineuse dans le camp présidentiel, un peu aphone depuis l’annonce des premiers résultats.
Texto à 8h32 pour annoncer le vote de Karim, relance à 18 heures pour enjoindre à écouter les résultats. Mais même avec un wolof balbutiant, les infos sont claires. Et Benno Siggil Sénégal, bureau de vote par bureau de vote, écrase le Sopi.
Hassan Ba, Cheikh Diallo, Racine Kane (et non Talla comme indiqué ultérieurement)… Injoignables. Les soutiers de la Génération du concret, le mouvement de Karim Wade, restent muets en soirée électorales Messageries, répondeur, sonnerie dans le vide. Téléphone en dérangement pour Karim. Un mutisme logique, tout juste troublé par une inquiétante annonce. « L’ARTP (l’agence de régulation des télécommunications et des postes) a demandé aux groupes privés de couper leurs émissions dès minuit ». Autant dire de jeter un voile sur le vote.
Depuis 2000, les journalistes, qui annoncent en direct et du bureau de vote à chaque élection, constituent un excellent pare-feu à un magouillage des résultats. Et à cette heure-là, Dakar n’est pas encore tombée… L’ambiance monte. « Ils ne vont pas faire ça, passer en force, déjà ils ont prolongé l’heure de vote à Dakar ». « Le vieux est capable de tout, rappelle-toi, il avait viré tous les exécutifs régionaux ». « Mais les gars, ça va se voir là, non ? ». Ouf de soulagement à 22h30, le gouvernement a demandé à l’ARTP de retirer son ordre. Nouvelles tournées. Bière, gi tonic, coup de fil.
Rires à table à l’annonce du message : « Le pays est tombé, glisse dans un souffle un responsable de la Génération du Concret, le mouvement de Karim Wade. nous sommes devant à Dakar mais c’est serré ». Énième signe de la confiance - « arrogance » - qui a habité la GC tout au long de la campagne et s’est avérée particulièrement communicative. Nul ne pensait Dakar prenable. Ni l’opposition, ni bien sûr et en premier chef, Karim Wade et les Concrétistes, le surnom des membres de la Génération du Concret. Qui, vendredi 20 mars déjà, voyaient bien plus loin que la mairie.
« Mieux vaut que Karim ne parle pas au meeting de son père », phosphorait à deux jours du scrutin, Hassan Ba, conseiller présidentiel et filiale. Echappé du siège de l’Anoci où il reçoit, le conseiller présidentiel et filiale, responsable « mobilisation » de la GC sirote son Coca. Un peu pressé dans ce restaurant huppé du plateau, nom africain mais pas un plat du continent. « Imagine, que son nom soit plus scandé que celui du président lors du meeting de clôture, les cadres du PDS risquent de mal le vivre. Mieux vaut qu’il ne s’y rende même pas et qu’il ménage Pape Diop [2] . » Finalement, Karim ménagera les susceptibilités. Pas de discours mais un petit défilé, main dans la main, avec Pape Diop… Son père, lui, aura enjoint les vieux leaders de l’opposition à prendre leur retraite, un peu plus tôt, pour ce meeting de cloture de la campagne. Et d’expliquer que les manifestations de brassards rouge étaient l’œuvre de ses propres partisans qui voulaient l’alerter… Raté.
Sorti de son interview à la RFM et après un détour à la mosquée, Wade junior se réfugie… au Fuji. Un restaurant japonais, en plein Dakar. Racine Talla ne tarit pas. « Il avait ça en lui depuis tellement d’années », s’extasie le vieux militant. Mine approbatrice du président de l’Anoci. Plan sur l’avenir. 2012 ? « Oui, la présidentielle évidemment qu’on travaille pour cela, il faudra structure la Génération du concret ». Une GC alors appelée à dépoussiérer le Parti démocratique Sénégalais, où ne « restent plus que des notables, sans base politique, des rentiers du régime ». Bref, place aux jeunes. A l’abordage les jeunes Turcs… Même les brassards rouges aperçus le long de ses périples ne l’inquiètent pas outre mesure. « Je suis conscient des problèmes, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont contre le président, ou moi. Et puis l’opposition n’existe pas ». Sans doute l’aveuglante lumière du pouvoir. Pas encore vraiment dissipée.
« Nous avons perdu Dakar, mais si nous n’étions pas descendus sur le terrain pour sauver les meubles, cela aurait été un désastre », se persuadent les membres de la GC, convaincus « que le PDS et les vieux barons ont perdu leurs troupes ». Une nuit des longs couteaux qui s’annonce…
Reste à écouter la prochaine allocution du président, prévue pour vendredi, jour officiel de proclamation des résultats. Avant le scrutin, volontiers hâbleur et bravache Gorgui Wade avait assuré qu’il tiendrait compte du message envoyé par les Sénégalais après le scrutin.
En attendant, sur les plateaux télé, radio, et au Régal, les scenarii possibles s’égrènent joyeusement. Au milieu des volutes de fumée, des commandes, des sonneries, des verres qui trinquent. Gouvernement d’union nationale, législatives anticipées, entrée de Karim au gouvernement… Et peu de mots sur Benno Siggil Sénégal, ou Khalifa Sall, qui menait la liste victorieuse à Dakar. « Il faudra quand même que l’opposition se renouvelle, c’est la chance de Khalifa. Il faudra seulement que les vieux l’acceptent ». Pas gagné.
Des plans sur la comète teintée d’un brin d’inquiétude. A minuit, des bureaux sont encore annoncés ouverts. Un dernier frisson avant l’évidence. Le Sénégal a voté, le pouvoir n’a pas triché, l’opposition a gagné. En Afrique, un improbable tiercé…
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] le vieux surnom de Wade
[2] Maire sortant, tête de liste et alors appelé à céder son fauteuil a M. Fils
pas étonnant , les elections européennes sont d’une importance trop loitaine : par parsque c’est l’europe(qui est tout de même supranationale et dont les directives s’impoosent aux gouvernements et insititutions nationaux) mais par ce que le Parlement européens n’a pas encore acquis le label de législateur. Les locales sont de portée très immédiate dans un État décentralisé.
Par ailleurs : j’adooooooooooore Bakchich, sarcastique, satyrique, mais professionel….. je vous aime.
Citoyens Sénegalais : je suis fier de vous de votre dignité, de votre maturité citoyenne. Je suis fier d’être Sénégalais.
Bien fait pour Karim Wade. Fils à papa, qui n’est devenu sénégalais qu’en 2000 avec l’élection de son papounet et est rentré à Dakar avec le titre de "Banquier" lui qui n’était qu’un petit guichetier.
Au fait Bakchich, se serait bien que vous nous disiez ce que pense Sarko qui soutenait Karim et grand ami de la famille Wade.