Samedi soir, ambiance chaude et tendue à Dakar. Dimanche, jour du scrutin, la tension est retombée. L’élection se passe en bonne et due forme, malgré quelques retards.
Envoyé spécial à Dakar, soirée du samedi 21 mars et journée du dimanche 22 mars
Dakar, impitoyable dans la rumeur. Depuis samedi après-midi, veille d’élection, elle court. « Couvre feu ce soir, pas de sortie en boîte ». Aucune annonce, ni démenti, tout juste un bruit qui s’est propagé dans les lycées et s’est fait vérité chez les jeunes de la Sicap Liberté III, quartier à la lisière du brouillon centre ville.
Les délestages n’y ont pas frappé depuis cinq jours. Pour autant, Liberté n’illumine guère ses nuits. L’éclairage publique a rendu l’âme. Les rues prennent un aspect sombre. Presque inquiétant quand aucun risque ne pointe. Mais la pénombre n’est pas la seule qui renvoie chez eux les Dakarois. Une petite psychose due aux élections. Bordé de centres de vote (Stade Demba Diop, Sapeurs, Liberté VI, Baobab…), le scrutin inquiète.
Et les conseils volent : « Reste tranquille demain, c’est dangereux », prévient Eliane, liane d’un peu plus de quarante ans et huit enfants. « Les jeunes ont dit qu’ils allaient brûler des voitures, ils vont en profiter pour tout casser », craint Constance. « Sois prudent hein, il va y avoir des problèmes ». Et même les journaux, la semaine, ont fait le recensement des craintes et des violences électorales. Heurts entre partisans du Sopi (changement le lot d’ordre étrange des wadistes, au pouvoir depuis 9 ans) et la coalition Bennon Siggil Sénégal.
Dernier accroc en date, Barthélemy Dias, l’un des leaders socialistes aurait tiré en direction des jeunes libéraux, vendredi, du côté de Sacré cœur, à même pas 500 F de course de taxi de là. Un hummer du convoi présidentiel a, lui, roulé sur quatre personnes. Son chauffeur, peut-être l’un des gardes du corps de Karim, n’a que de justesse échappé au lynchage.
Une angoisse, comme un résidu des années de braise, quand Wade, encore opposant, faisait gaiement sauter les voitures place de l’indépendance. Ou que ses partisans manifestaient violemment après chaque scrutin présidentiel, à l’organisation et au comptage fort contestable… et violemment contestés en 1988 et 1993. Sans jamais basculer dans la guerre civile.
Au matin de l’élection, pourtant, la peur a disparu. A pied d’œuvre, depuis l’aube, femmes et filles de la maisonnée Manga, préparent le repas (Thiebou Yekh), lavent le linge, font les courses, nettoient. Quarante mètres carrés utilisés jusqu’au dernier pour les quinze à vint personnes qui y dorment. Dès 8 heures en ce dimanche matin, la maison grouille ; et certains encore à vouloir mettre au travail les Africains…
Bon gré mal gré, même ceux qui ont ignoré le pseudo couvre feu de la veille suivent, plus indolents que les autres, le rythme.
Le passage de nuit au riche quartier des Almadies et l’une de ses nombreuses boîtes, le Patio, n’est pas encore digéré. Sur la route, la Sénéf (Sénégalais de l’extérieur) s’émerveille de l’échangeur autoroutier qui est né pendant son absence. Un tour par le phare et les « mamelles », un éclairage à quatre feux. Le taxi dérape deux fois, cris à l’arrière. Mais le drame n’a été évité qu’à l’entrée de la boîte. Mini shorts et talons hauts, la démarche pour sortir de la maison, dans le noir et sur la terre battue n’était pas assurée. La jeune cousine de la Sénéf, libano-sénégalaise, père disparu dans les quartiers de la ville depuis bien longtemps et qui se surnomme avec dérision, l’albinos. Mais ce soir, vu les pilotis, ce sera la girafe. Son sourire orne une affiche de concert, enfin un bout, demande du haut de ses vingt ans un autographe de Karim Wade comme une gamine avide de rencontrer une star de ciné et fait la belle ce soir. « C’est la classe ». Mouais.
Scène habituelle de discothèques dakaroises. Plafond bas, lumières rouges, canapés et coussins en strass, videurs polis et en costards. Un mur de miroir, un mur de filles qui se trémoussent face à leurs reflets, des rambardes pour s’accouder, en bord de pistes. Les hommes les occupent calmement. Autant de blancs… que de blanches, et les « nymphes » ne sont pas de sortie. Hormis celle-là, à deux coussin de là. Regard triste, robe moulante noire, une liane qui s’est enroulée autour d’un baobab de trois fois son âge. A observer le jeu de mains du vieil homme blanc sur son corps, le toubab n’est pas son aieul.
Le D s’emballe un peu, passe du oriendo gabonais à un mauvais remix de Ozone, enchaîne avec du RnB. Déjà bedonnant et dégoulinant, un trentenaire au teint clair se colle à une paire de botte qui le toise d’une tête. Tamponnage sans préliminaires. Accepté. Sourire un peu forcé, sortie. Une cohorte de trois vacancières, naviguant entre 35 et 45 ans pour échouer là, suivies de cinq étalons tout droit rentrés de la corniche et sa musculation en plein air. Cinq pour trois, la richesse du choix. Rires benêts, piaillement, roucoulement, mimiques triomphantes. La musique adoucit les mœurs. A ce volume, elle évite de subir leurs feulements. Et abrutit assez pour ne pas penser. Reste à reposer les yeux. Vêtements vulgaires au mieux, criards au pire, gueules enfarinées, parfum agressif, peaux blanchies aux crèmes de cortisone. Le plaisir de fumer s’estompe même. Fumer en buvant, mais sans mater, une abherration… Rien pour peupler ses rêves au-delà d’une nuit. Généreux, cela coûte 10 000 francs. La moitié pour les économes. « Le prix du taxi ». Suffisamment lesté pour aider la famille.
« Tu vois c’est mieux que la Scala ici [boite du centre vile de Dakar], assure Marie Fleur. Il y a trop de pédophiles et de minettes là-bas ». Sure ! Il manque les minettes…
Dimanche 8 heures, donc, et la maison de liberté III. Premier réveil, « ils n’ont pas reçu les bulletins à Pikine, ils ne peuvent pas voter »… Deuxième sonnerie de téléphone, « 8h22, Karim a voté dans son bureau du Point E, l’avenir appartient à ceux qui votent tôt », annonce le texto d’un cadre de l’Anoci. Maudit dimanche. Troisième sonnerie, « personne ne peut voter, il y beaucoup de problèmes dans les bureaux de vote de Pikine ». Seule solution, se lever. La télé fait le tour des régions et des soucis électoraux…. Kaolack, Ouakam, Pikine, Fatick. Un listing des incidents électoraux. Bulletins qui ne sont pas arrivés, cartes d’électeurs non délivrées, vendues, piratées. Des soucis réels dans une démocratie, mais pas encore de violence.
11 heures, première bière avec « Pa » Manga. « Flag ou Ordinaire », pour la Gazelle, 600 francs pour 0,6 litres. Des voisins s’installent sous l’arbre de la devanture. Cliché rêvé. Le scrutin se passe bien dans les centres de vote du quartier. La cuisine s’active pour servir le repas à 16 heures. Et les filles défilent. Optent pour l’allée pavée plutôt que ses contrebas ensablés. Talons obligent. Aussi en pleine journée.
Et la politique empiète peu sur les desseins du jour. Les filles s’échangent les vêtements, les garçons vont taper dans le ballon, les plus âgés discutent autour d’un verre. « A notre prési’/ Moi mon seul prési c’est Abdou Diouf/ Mais tu as dix ans de retard/ Au moins lui buvait/ Il buvait trop/ En France on l’appelait deux mètres de whisky/ Wade ne boit pas, ça doit être ça son problème ».
16h30, Le repas est fini. Pas encore le vote, qui s’achève à 18 heures. Mais les femmes préparent déjà le repas du soir. Rougets braisés. Et les bulletins ne font pas encore manger.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
Le texte initial s’appelait "Karim Wade obtient le siège de maire de Dakar… dans un fauteuil (IV Partie)"
Xavier , pourquoi ta changé le titre ? tu t’es rendu compte que tu t’étais mis le baobab dans l’oeil ? jusqu’au coude ??
On attend la suite de vos articles, monsieur Monnier avec les résulats que vous attendiez surement vous qui semblez etre un grand laudateur de Karim Wade.
Je pense que vous vous etes fait avoir par ces gens de la Génération du concret et de l’Anoci qui vous envoient des SMS pour vous tenir au chaud à la température de leur QG.
Karim Wade complètement groggy s’est envolé hier pour Paris (ah qu’est ce qu’il aime les avions. Tel pere tel fils dirait-on !)apres avoir constaté sa défaite à plate couture jusque dans sa circonscription, lui qui affirmait 48 avant, de manière péremptoire qu’il n’a jamais connu connu la défaite et qu’il n’y a pas d’opposition au Sénégal.
Mais voyez-vous, avec les sénégalais, on est jamais au bout de ses surprises malgré nos airs benets. Juste signaler au passage que cela fait plus d’un siècle que nous pratiquons la démocratie et le suffrage universel. La connaissance de la culture politique d’un pays et d’un peuple n’est pas toujours superflu, n’est ce pas ?
Bonne continuation quand meme à Bakchich avec un peu plus d’objectivité et de perspicacité dans vos articles !
Bonne fin de séjour au Sénégal M. Monnier, on prendra un verre au Patio à l’occasion !!