Deuxième épisode d’une semaine de reportages pré-électoraux (si les élections ont lieu un jour…) au pays du vieux Wade : aujourd’hui, au Régal, le bar de Jamal, le « maître de Dakar », journalistes et politiques de tout bords se rencontrent et devisent.
15 ans que cela dure. De sa petite table en plastique, clope au bec, verre à la main, montre en or au poignet, Jamal observe, tance, admoneste et taquine les acteurs de la scène politique sénégalaise. Avec sa faconde de vieux libanais ouest africain. Sa tanière n’est pas clinquante. Des tables en plastiques sous une tenture, une salle à l’abri du vent, deux cuisines. Des fours à pizza et des rôtissoires à kebab. Une enseigne, « le Régal, restaurant bar salon de thé ». Seules les Peugeot flambant neuves, garées anarchiquement devant l’enseigne, trahissent l’ampleur du lieu. Elles ne viennent pas que pour la bière, servie à la pression. Un luxe en ces terres.
Si l’antre n’est pas lambrissée, son empire dépasse le quartier chic des Almadies où elle sied. « Ici bat le cœur de l’information sénégalaise, et Jamal gère les réseaux depuis 20 ans, c’est le maître de Dakar », glisse Mbacké entre deux malicieuses bouffées de Houston. Moins doré que le Saint James, le Meurice ou le Normandy parisien, mais plus chaleureux. Sans doute les effluves épicées.
Oeil grave, Jamal sourit, sans démentir.
Samedi, Amath Dansokho, l’un des opposants embastillés et gentiment bastonné par les forces de l’ordre dans la journée, est venu reprendre des forces sur l’une des chaises en plastique du régal, en fin de soirée. Il savait qu’il y trouverait journalistes, magistrats, hommes politiques de tous bords et même policiers. Une zone neutre où les informations s’échangent aux vues et au su de tous, où des alliances se nouent, où des retournements s’opèrent. « La dernière fois, un journaliste très acide envers le pouvoir a rencontré le ministre de l’Information ici. En dix minutes, tous les journalistes de la place ont débarqué pour le vérifier de leurs yeux », s’esclaffe Jamal.
Ce lundi soir, la discussion demeure braquée sur la manifestation. Quelques journalistes devisent autour du boss du Régal. Dès que le ton monte, le débat passe du français au wolof. La langue maternelle est la plus chaude. Point de départ, « Wade est fou ». Dérive sur l’âge du capitaine de l’avenue Roume, sentences sur la non-tenue « certaine » des présidentielles du 25 février. « Comment veux-tu organiser des élections, ils n’ont encore rien préparé ? » À vérifier dans les prochains jours.
Mais la tête de turc de la soirée sera Ousmane Ngom, le ministre de l’Intérieur. « Pas la carrure, pas les idées, pas la dignité du rang et dire que c’est lui qui va veiller sur le scrutin ». Retour sur la manifestation et sa gestion. L’avis unanime : le coup a été préparé. Les leaders ont été attrapés par les poulets sitôt descendus du taxi. 500 policiers étaient mobilisés. « Assez pour réprimer la marche, et surtout assez pour l’encadrer et que tout se passe bien ».
La sanction tombe, un manque d’intelligence patent de la part de Ngom, premier flic du pays. « L’opposition était endormie, ils en font des héros. Comme avec Idrissa Seck. L’envoyer à Rebeuss lui a servi. Ils en ont fait un martyr. Rebelote quand il a expliqué être devenu riche grâce aux fonds secrets, le peuple était prêt à le lyncher. Juste après les flics l’arrêtent. Il est remonté dans l’estime des gens ». À croire que le pouvoir cherche à tout prix à se faire chasser.