Ça gausse à Dakar. Le fils Wade bâtit, transforme la capitale devenue neuve et rutilante. Sa réussite ne plaît pas. Lui s’en fout. Petit tour en bagnole pour nous montrer, tout fier, sa popularité.
Envoyé spécial à Dakar
Quelque chose a changé. D’abord, la sortie de l’aéroport. Finie la cohue des taxis brinquebalants dès le pied hors du terminal. Un calme presque inquiétant dans une nuit fraîche. Vingt degrés et une brise venue de la mer. Une dizaine de mètres plus loin, heureusement, l’agitation. Pas annihilée, simplement décalée. Et le ballet des rabatteurs qui prend. Négociations, prix de blancs. Dakar éternelle. Va pour 3500 francs CFA.
La vieille Hyundai, au pare-brise éclaté file, sans accrocs, ni à-coups ni coups de volant. Oubliés les nids-de-poule. Dakar s’est goudronnée. D’un seul coup. Les trous béants ont été comblés, ou laissés aux grandes banlieues de Pikine, Ouakam, Rufisque. Mais la capitale s’est faite belle pour accueillir les riches de ce monde et l’an dernier, le sommet de l’organisation de la Conférence islamique (OCI). Des tombereaux de francs CFA déversés sur la capitale sénégalaise qui a mué. Autoroutes, échangeurs, tunnels, ponts, rond-points… Et surtout bord de mer.
Autrefois délaissée et peuplée d’artistes, d’artisans ébénistes, sportifs musculeux, la corniche a été entièrement ripolinée. « Pour en faire la plus belle d’Afrique », a promis le pouvoir. Réel effort. Trottoirs, palmiers et pharaoniques chantiers pour hôtels de luxe. À deux pas du déjà riche quartier des ambassades. Une vitrine de choix.
Sorti des pourpres bougainvilliers des résidences diplomatiques, s’ouvre l’Atlantique. Ciel bleu, falaises ocres, mer azur. Paysage de carte postale bordé de palmiers. Les promesses du prochain établissement hôtel de luxe Radisson, puis le majestueux Terrou-bi déjà sorti de terre, Magic Land,le parc d’attraction, et la cour suprême, avant de plonger dans le tunnel. Sortie devant la prison Reubeuss direction le centre ville et le quartier du plateau où se mêlent vendeurs drapés de maillots de foot, paralytiques de toutes sortes, hommes d’affaires encravatés et 4x4.
Une ballade comme un résumé de l’ère Wade, qui a commencé, il y a 9 ans exactement, le 19 mars 2000. Et des transformations dont l’architecte porte aussi le sang et le patronyme présidentiel. Karim Meïssa Wade et son agence pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) ont réellement transformé la ville.
Officiellement, la campagne des municipales ne dure que trois semaines, et s’achève aujourd’hui. Quatrième de la liste de la majorité à Dakar, Wade junior officie depuis trois ans, sans discontinuer. Son « staff » se défend de lutter à armes inégales avec l’opposition ; feint de ne pas comprendre l’avance que leur a procurée le levier économique de l’Anoci ; ou fait mine de ne pas entendre les reproches du parti présidentiel. « Nous ne faisons pas notre campagne dans la campagne de la coalition Sopi. Le siège de la campagne est bel est bien au siège du Parti démocratique Sénégalais », scande avec aplomb Cheikh Diallo, responsable « stratégique » de la « génération du concret », le mouvement « apolitique » lancé par Karim Wade en 2007…
Belle et bonne profession de foi. Mais tout le staff de Monsieur fils converge vers l’immeuble Tamara, le siège de l’Anoci, rue Jules Ferry. Une bâtisse moderne, à un jet de pierre de la présidence, dans le quartier du plateau. Journalistes, militants, émissaires y sont reçus. Logistique du fils présidentiel, mini studio vidéo, staff de campagne et de sécurité. Au choix selon les étages, gendarmes indolents à l’entrée.
De son ventre s’extraient T-shirt, paréo, affiche et boubou à l’effigie de « Karim le bâtisseur ». Et de là partent tous les convois vers les meetings du fils. L’Anoci, agence publique, épicentre du deuxième Wade politique.
« Jamais ils n’ont cru que nous descendrions dans l’arène, s’amuse Cheikh Diallo, ancien journaliste du Soleil [1], passé par la campagne 2007 de Wade et depuis au service de Karim, à l’Anoci. Ils nous ont pris pour des gamins, les enfants gâtés de la République ». Eux ce sont l’opposition, les caciques du Parti, et surtout la presse, particulièrement acide avec « Rimka » ce matin.
Les journaux de la place se gaussent du « caillassage » du convoi de l’héritier dans le Fouta, comme elle avait raillé la descente du candidat au marché Sandaga à Dakar en début de la campagne. Les quotidiens recensent la nuée « de brassards » rouges qui accompagne les sorties de la famille et sont autant de signes d’opposition. Arrivé au pouvoir, Abdoulaye Wade prévint les populations. « Si vous n’êtes pas contents mettez un brassard rouge, je comprendrai. » L’opposition, qui végète depuis neuf ans, de défaites électorales en transhumance, l’a pris au mot depuis sa réélection en 2007.
« La presse nous en veut. Mais ils ne sont pas sérieux. La semaine dernière, ils titraient « Karim fait mieux que Wade et le PDS réunis », jure Diallo. « Ils n’acceptent pas la réussite du fils après celle du père ».
Membre fondateur de la « Génération du concret », pull, chemise et jeans sur Timberland, le garçon savoure l’entrée en politique de Karim et sa mise sur orbite. Teintée de provocation qu’il préfère qualifiée de « courage ».
Candidat à Dakar, l’ancien conseiller de la banque d’affaires Warburg a sillonné le pays pour soutenir les têtes de liste. Signe d’une ambition qui dépasse largement Dakar et ses municipales. « D‘abord Dakar, après le pays, ce n’est qu’une étape », assument désormais les membres de la « Génération du concret ». L’objectif ? la présidence.
« En route vers les sommets », le slogan de l’Anoci est toujours d’actualité. Et l’amène à narguer ses rivaux, les fils putatifs de son père, héritiers politiques dézingués lors des années de l’alternance. Défenestré de la primature puis du perchoir de l’Assemblée en 2008, passé à la question de la sûreté urbaine pour ses liens avec Bongo, Macky Sall a vu débarquer Karim et son orchestre dans son fief du Fouta le 18 mars. Accueil brassards rouges et jets de pierre. « C’est tout ce qu’a retenu la presse, s’insurge Diallo, mais cela ne s’est passé que dans un village ».
Le 19 mars, pour les neuf ans de règne de Pa Wade, le fiston a décidé de frapper à Thiès, la cité du rail, forteresse d’Idrissa « Ngorsi » Seck. Son ancien frère de bataille, artisan de l’arrivée au pouvoir en 2000, plus jeune directeur de cabinet d’un président sénégalais avant d’endosser les habits du plus frais Premier ministre… puis de passer par la case prison (2006) et la candidature présidentielle (2007). Une volonté de tuer le père trop vite prononcée…
Du siège de l’Anoci, la caravane s’organise en attendant le patron, facile à reconnaître, son 4x4 est le plus imposant. Lunettes de soleil, casquette Nike et jean. Une rapide revue des troupes et un mot pour les journalistes. « Alors tu te caches ? Je suis le seul blanc où veux-tu que je me cache ». Autrefois méfiant, Wade junior a appris à amadouer les scribouillards.
Départ vers Thiès à 17 h, pour un meeting prévu à 17 heures. La star sait se faire attendre. « Ça promet de chauffer à Thiès, Idy est encore très puissant là bas », promet un journaliste télé.
70 km de route, deux heures de trajet, et des bouchons. Sorti du « Karimland » dakarois, le Sénégal revêt ses vieux oripeaux. Thiaroye, Rufisque, Sétikobane, route par moment brinquebalantes, gare routière pullulante, camion-citerne accidenté. Et le cortège, motard de la gendarmerie en flèche, qui rompt le trafic. Au forceps. Accélération soudaine, brusque freinage. Un « stop and go » continuel. Les baobabs observent, tranquilles, le passage de l’héritier.
Et les Thiessois l’attendent. Eux, les enfants d’Idy, « de la période romantique du PDS », l’état de grâce qui a baigné les premières années du règne Wade. Sitôt l’entrée de la cité du rail, Karim sort la tête du 4x4 à toit ouvrant. Hymne à son nom, T-Shirt à son effigie, gamins qui se ruent vers son véhicule. Visage tendu, bras levé, Karim se fait Wade. Détend son mètre quatre dix, se relaxe, serre les mains, et commence à sourire. Puis s’agite. Lance ses bras en signe de victoire.
Sur le bas-côté, les slogans pro-Idy sont barrés d’une peinture encore fraiche, pour faire place à Karim. « La jeunesse de Thiès avec Karim pour se réconcilier avec Gorgui Wade ». De frêles foulards rouges sourient à son passage, et l’accompagnent vers la place de France, noire de monde et dont les sonos couvrent même le discours.
Pas grave, la foule est venue voir, pas entendre. Même la centaine de partisans de Seck hurlent leur soutien à leur mentor, hésitant à conspuer l’héritier. Le temps leur manquera. Trente minutes de discours et la caravane se remballe vers Dakar. Deux - trois jets de pierre, que la presse transformera en une nuée de projectiles.
Contrat rempli. Et territoire marqué chez le rival, sans heurts durant le meeting. L’avant dernier d’une campagne qui s’achève aujourd’hui. Sans feu d’artifice ni mega-show prévu.
« En 2000, Diouf a clos sa campagne par un meeting exceptionnel, avec des militants venus de tout le pays …Mais deux jours avant le scrutin, ces populations ne sont pas rentrées chez elles pour voter ». Et le socialiste dut s’incliner après vingt ans de règne.
Au moins le fils Wade a-t-il bien retenu ses leçons politiques. Et les met en pratique… Jusqu’à l’assassinat du père ?
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] journal d’Etat où a travaillé l’auteur de ses lignes
Extrêmement complaisant comme papier. vous nous aviez habitué à d’autres choses de beaucoup plus critique. le reportage n’est pas du tout relativisé. lorsque vous écorchez Kouchner ou Bongo, alors que vous faites dans les mêmes pratiques qu’eux, vous n’êtes pas mieux.
On espère juste qu’il n y ait pas eu de Bakchich derrière.
Honteux votre papier