On vote, ce dimanche à Dakar. La presse sénégalaise est unanime et un poil de mauvaise foi, en titrant sur : Karim Wade, candidat haï à Dakar.
Envoyé spécial à Dakar, samedi 21 mars
La presse de la place s’affiche au soleil. Maintenus au sol par des pierres, accrochés à des pinces à linges, navigants entre les taxis aux mains des vendeurs à la sauvette qui profitent des bouchons. L’avenue qui mène au rond-point de la Sicap Liberté, est bordée de journaux. Là, entre la mosquée et l’église des martyrs de l’Ouganda, dans le quartier où se mêlent chrétiens et musulmans. Le Quotidien, L’As, Le Matin, l’Observateur et même Le Soleil, le journal d’Etat, dit l’astre de Hann, les journaux s’affichent à 100 FCA.
En une durant la dernière semaine de campagne (12-19 mars), un prénom, quand, depuis 9 ans, c’est un nom qui barrait la une. Karim plutôt que Wade. Et une belle unanimité. « Huées », « Jets de pierre », « la ville de XXX rejette Karim ».
Le plus petit accroc, le moindre bout de tissu rouge (signe de contestation du régime) ou le frêle sifflotis qui accompagnent les sorties de « l’héritier » sont relevés et affichés en une. Rien n’est passé au fils Wade. Quand les journaux populaires ne titrent pas sur « Karim voleur ».
« Au moins vous voyez que la presse est libre, mais je ne les comprends pas », regrette Hassan Ba. « Pourtant ce sont des amis, je les connais tous, mais ils aiment taper sur Karim ». Nature inquiète, Blackberry toujours alerte, l’ancien jeune leader du forum de Davos, a rejoint l’Alternance en 2001. Via Abdoulaye Wade et son désir de rapatrier les jeunes talents… et briller à l’international. Ex du cabinet de Koffi Annan, proche de « Un instant on a un souci avec les cars ». Trois mots de wolof sur le portable, un million de CFA qui s’envole, des t-shirts à imprimer pour les vendeurs ambulants qui accompagneront le cortège et retour vers la question « presse ».
< ;h3 class=" ;spip" ;> ; « La presse comme seule opposition ? » < ;/h3> ;
« Karim m’impressionne, la campagne est très bonne. Mais notre seule opposition dans ce pays, c’est la presse ». Une phrase lâchée calmement. Presque lasse. Et reprise à l’envie par tout le staff de « Rimka »… Mais pas seulement.
Quartier de Yoff, proche de l’aéroport. Immeuble du groupe Avenir communication, propriétaire du Quotidien et de l’hebdomadaire week-end. Sans doute le groupe le plus sérieux de la place. Et dont les relations avec la présidence ont longtemps été tendues. Dans le bureau de Madiambal Diagne, le boss du groupe, trône la une. Au-dessus d’un salon tout cuir. « [ Les Wade prennent tous les pouvoirs-> ;article01308" class="spip_out">Richard Attias ». Karim et Gorgui en incrustation. « Le régime a compris et fait avec nous à présent, ils ne pouvaient pas continuer à penser qu’ils nous feraient taire », s’amuse Madiambal. Emprisonné quelques semaines à Reubeuss après un article, abonné pendant les premières années aux descentes de police, Diagne n’a pas baissé pavillon. L’édito politique Minerve n’a pas disparu. La tension est retombée, pas la plume ni le verbe. Acérés.
La campagne de Karim ? « Bonne, nous avons même expliqué qu’il avait fait un tabac aux parcelles assainies ». Son chemin vers la présidence ? « il ne pourra pas faire pire que son père ». La presse comme seule opposition ? Sourire. « Tu n’es pas sérieux toi petit vandale ». Aucun leader de l’opposition n’est installé sur Dakar. Le candidat dakarois, Khalifa Sall n’a pas l’envergure ni l’aura d’un Ousmane Tanor Dieng (Premier secrétaire du PS), la verve d’un Dansokho ou la prestance d’un Moustapha Niasse (ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle). La « nature a horreur du vide ». La presse le comble et le fils-conseiller présidentiel nourrit les journaux. A l’image d’un Sarko.
« Et puis Karim est un malin. Son plan de communication a été bon. Il a créé une attente. Tout le monde voulait savoir ce qu’il pensait, ce qu’il voulait faire. Ou simplement le voir, depuis 3 ans ». Objet de curiosité enfin exposé, Karim fait vendre. Même si une petite déception point. « S’il avait parlé un bon wolof (Ndr, l’une des sept langues officielles du pays et la plus répandue) il aurait fait un tabac. Mais il le balbutie encore, et c’est dangereux ; il conforte l’idée que c’est un étranger, alors qu’il est né et a grandi ici ».
Aux remarques sur son wolof, Karim Wade sourit. Conscient de la lacune… et l’esquivant. Avec la presse, l’héritier compose, sait qu’il n’a pas la côte chez les journalistes sénégalais. Et les tient dans un mélange de méfiance et de mépris.
10ème étage de l’immeuble Tamaro, siège de l’Anoci et QG non officiel de la campagne de Wade fils. Une pile de journaux, triée. Malheur à qui les dérange. Angoissé le journaliste de la RFM, la plus grande radio privée du pays. « Ne les touchez pas je les ai rangés ». « Le boy est stressé », s’amuse un membre du staff. Dans la matinée, Karim a refusé l’interview, furieux des critiques et des attaques qui pullulent sur les ondes ou dans les colonnes des gazettes. Et a voulu envoyer bouler l’entrevue. Rattrapé par Cheikh Diallo, l’ancien journaliste devenu communicant, qui jubile à l’idée de retourner ses ex confrères.
L’entretien a finalement lieu. Les gratte-papiers sont amadoués. Micros fermés, l’ordre fuse. « Ne passez pas ça demain, la campagne se termine aujourd’hui, si ça passe après minuit, je vais avoir des problèmes ». Hochements de tête respectueux. Il est 13h30, l’entretien sera diffusé à 15 heures et à 20 heures, avant d’être retranscrit dans le journal du groupe l’Observateur, particulièrement virulent jusque-là avec Karim…
« Le week-end des élections, Karim fait la une de la presse et fait passer le message qu’il veut aux Sénégalais », triomphe Diallo, tout sourire.
Changement de décor en soirée. Vers Ouakam, très proche banlieue, restaurant le Régal. Le lieu a changé, déménagé de quelques centaines de mètres. Pas le patron, Jamal Joer, l’homme le mieux renseigné de Dakar, toujours accueillant. À sa table, journalistes, avocats, hommes politiques, pas vraiment des Wadistes ou des concrétistes [1]. Plutôt l’autre bord qui se réunit et attend la nouvelle défaite qui point. « Inéluctable », glisse un douanier de passage. « Aucune chance que Karim ne passe pas », juge un cadre de l’Apix (responsable des grands travaux à travers le Sénégal).
Aux journalistes qui débarquent à Dakar, conseil est donné de se rendre ici, prendre le pouls de l’opposition. Nappes et jupe des serveuses rouges. « Et mais ne va pas écrire ça, ils vont croire que ce sont des brassards. Si le président ou Karim arrivent je dis à mes filles d’enlever les jupes, je ne veux pas de problème », taquine le libano-sénégalais. « Attention hein, tu ne réécris pas que je suis vieux ».
Au menu du soir, Flag, café, et décryptage du passage de Karim à la RFM. « Vous les journalistes, c’est vous qui avez créé Karim », s’agace Ali Aidar. Le leader écologiste, pilier du lieu, démarre vite. « Les journalistes ne font pas leur travail, les gars de la RFM là ils n’ont pas posé une question intéressante. C’est Karim qui parlait et eux qui écoutent, ne l’interrompent pas. C’est quoi ce travail ». Le débat s’embrase. « Une interview de Karim ça ne se refuse pas, mais les journalistes ont été amadoué ». « Kay, ce bandit de Cheikh Diallo a bien travaillé, pas les journalistes ». « Mais les journaux tapent trop fort, ils ne comprennent pas que taper pour rien le sert même ». « Sans Karim personne ne s’intéresserait à ce scrutin »…
Blanc dans la discussion, un ange passe. Une nymphe, seule, est entrée, parade, s’assoit. Peau ébène, tresses fines. Les verres ne bougent plus. Oublié Karim, la politique, la situation du Sénégal.
« Voilà c’est ça l’opposition, s’amusent les convives. Elle ne peut pas gagner, elle se disperse trop ». Mais dimanche soir, tous les chefs seront rentrés de région. Et au Régal, ce sera soirée électorale.
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[1] membres de la Génération du concret, le mouvement de Karim