Après trois ans d’absence loin du peloton des routiers professionnels, Lance Armstrong annonce son retour pour tenter de remporter en 2009 une 8e Grande boucle. A-t-il des chances sérieuses de monter sur la plus haute marche du podium des Champs-Élysées en juillet prochain ? Contre-enquête sur ses atouts et handicaps.
L’Américain Lance Armstrong, septuple vainqueur du Tour de France, a confirmé mardi 9 septembre qu’il reprendrait la compétition en 2009 : « Je suis heureux d’annoncer qu’après en avoir parlé avec mes enfants, ma famille et mes meilleurs amis, j’ai décidé de revenir au cyclisme professionnel dans le but de sensibiliser l’opinion au fardeau du cancer » lit-on dans un communiqué publié sur son site Internet. Face à la perplexité du journaliste qui l’interroge sur son âge (il aura 37 ans le 18 septembre), Armstrong cite l’exemple d’autres sportifs performants malgré leur âge, comme la nageuse américaine Daras Torres, triple médaillée d’argent aux Jeux de Pékin à 41 ans ou la Roumaine Constantina Tomescu qui a remporté le marathon olympique à l’âge de 38 ans.
Ainsi, avoir 37 ans – voire plus – et gagner, c’est possible : les bouquets cyclistes de la quarantaine (cf. encadré) et la physiologie en témoignent.
Rappelons qu’une carrière sportive peut se décomposer en trois périodes : le début de la compétition, « l’âge des records » et, enfin, l’âge d’arrêt des compétitions. Ces trois âges varient d’une spécialité sportive à l’autre. Lorsque « l’âge des records » est atteint tardivement comme pour les skieurs de fond et certains cyclistes tels que Raymond Poulidor, Pino Cerami ou Hennie Kuiper, tous trois professionnels à plus de 24 ans (Armstrong, même s’il a débuté à 21 ans, est resté – en raison de son cancer – hors course d’octobre 1996 à mars 1998) l’âge d’arrêt est également tardif.
Le problème essentiel lorsqu’un sportif tente un retour n’est pas l’âge, mais la durée de l’arrêt et son niveau d’activité physique (intensité et volume) pendant cette période. On sait que le repos, l’inactivité, l’absence d’entraînement s’accompagnent non seulement d’une diminution de la force mais aussi d’un affaiblissement de la masse musculaire qui est extrêmement rapide.
Par exemple, après un entraînement bien conduit qui va augmenter la force de 10% en quatre semaines de pratique régulière, il suffira d’une semaine d’inactivité pour perdre tout le bénéfice de ce qui a été gagné.
Autre chiffre à méditer : après une interruption de trois semaines, il faut deux mois pour retrouver l’état antérieur. La sédentarité est également nocive aux systèmes circulatoire, respiratoire, digestif et nerveux. Des études scientifiques ont démontré qu’un muscle de sportif était beaucoup mieux irrigué que celui d’un non-sportif. Le tissu musculaire d’un inactif contient 585 capillaires par mm2 alors que celui d’un champion de la petite reine en possède 821 par mm2. Ainsi, un sujet bougeant quotidiennement son corps a beaucoup plus de vaisseaux sanguins disponibles et donc livre une quantité accrue d’oxygène à ses tissus.
La course aux performances sportives est telle qu’il n’est plus possible à un individu de se présenter dans une épreuve comme le Tour de France sans une longue préparation portant sur des mois et des mois. Une interruption totale de compétition de haut niveau nécessite une longue réadaptation où la rage de reprendre sa place au premier plan pousse à l’erreur. Signalons que Lance Armstrong, depuis juillet 2005 et sa septième victoire dans le Tour, a continué à se maintenir en forme par un entraînement poussé (course à pied pour le marathon de New York 2006 et 2007 en 2 h 46’ 43 pour ce dernier et VTT de grand fond, etc .) L’exemple le plus encourageant pour Armstrong s’appelle Frans Verbeeck, qui après trois années d’interruption… pour livrer du lait, entama sa deuxième carrière. Jusqu’à 35 ans, il remporta de nombreux bouquets significatifs, notamment une classique belge – la Flèche Wallonne – devant le gratin du cyclisme international Roger de Vlaeminck, Eric Leman, Freddy Maertens.
« Qui veut voyager loin doit démarrer tardivement ». Cet aphorisme bien connu est parfaitement illustré par la course à pied. En effet, les spécialistes de 5 000 et 10 000 mètres et plus réalisent leurs meilleures performances à l’âge où les coureurs de 800 et 1 500 mètres ont déjà rangé leurs pointes. Le cas le plus frappant est celui du marathonien néo-zélandais Jack Foster, dit « vieille chèvre » qui, en 1974, à près de 42 ans, établissait la 3e performance mondiale de l’année en 2 heures 11 minutes 18 secondes sur la fabuleuse distance de 42 km 195. Mis à part les sports qui nécessitent un effort explosif de quelques secondes (lancer du poids, haltérophilie et gymnastique aux agrès), on constate que ce sont surtout les sports d’endurance qui ont un « âge de records » tardif (27 à 32 ans) ainsi qu’un « âge d’arrêt » de 30 à 35 ans et plus.
Les sports d’endurance nécessitent une puissance maximale aérobie [1] très élevée. C’est d’ailleurs dans ce type d’efforts que l’on rencontre les consommations d’oxygène les plus performantes. Or, cette caractéristique fondamentale du rendement du moteur humain diminue avec l’âge. Cela est dû au vieillissement du muscle cardiaque, des artères nourricières du cœur et des cellules musculaires elles-mêmes qui voient leurs possibilités de réponse à une sollicitation sportive maximale s’atténuer. En outre, les facultés d’adaptation à la chaleur déclinent au fil des ans. Une étude scientifique a démontré que les hommes de 39 à 45 ans arrivent à la sudation deux fois moins vite que ceux de 19 à 31 ans et, après l’exercice, continuent à transpirer plus longtemps. De plus, ils se blessent plus facilement et se remettent plus lentement. Alors, on peut se demander pourquoi les meilleurs résultats dans les épreuves d’endurance sont habituellement obtenus par des athlètes âges de 27 à 32 ans – voire plus – alors que c’est vers 20 ans que la puissance maximale aérobie atteint son apogée.
Plusieurs facteurs doivent être pris en considération. Si la puissance maximale aérobie s’arrête de croître à 20 ans et qu’ensuite elle se dégrade progressivement, cela provient de la baisse du pouls maximal avec l’âge. Ainsi, un sujet de 20 ans pourra en plein effort pousser son régime cardiaque au-delà de 200 pulsations par minute alors qu’à la quarantaine, le plafond ne dépasse pas 180. Ce qui explique pourquoi un nageur de 100 m ne pourra jamais battre ses temps réalisés vingt ans auparavant (sans combinaison et sans drogues de la performance). En revanche, dans les sports d’endurance, ce qui importe le plus, c’est le pourcentage de la puissance maximale aérobie auquel le sportif peut faire appel au cours d’un exercice prolongé. En effet, l’athlète ne peut pas travailler à son maximum très longtemps, sinon il sera rapidement asphyxié et contraint de ralentir, voire d’interrompre son effort. Ce pourcentage augmente avec l’entraînement. Donc, même si la consommation maximale d’oxygène diminue après 20 ans, on peut accroître son potentiel d’endurance en augmentant le pourcentage de la consommation maximale d’oxygène prélevée pendant l’exercice, par un entraînement très poussé.
A l’approche de la quarantaine, il est tout à fait possible de conserver une consommation maximale d’oxygène encore très élevée, supérieure même à celle de certains sujets de 20 ans, mais il faut alors un état d’entraînement très important pour maintenir un fort VO2 Max. (consommation d’oxygène). On sait d’ailleurs que les coureurs vétérans se distinguent précisément par cette capacité de solliciter une part importante de la capacité maximale d’oxygène. Et cela leur permet de tenir tête de manière surprenante à des coureurs beaucoup plus jeunes. « Faire le métier » trouve ici sa véritable justification. Une vie saine et régulière, un entraînement par tous les temps, commencé au début de l’hiver et non quelques semaines avant les premières confrontations, le choix des objectifs permettent aux « vieux » de faire la course en tête. Par exemple, le vainqueur le plus âgé de la classique italienne Milan-Sanrémo, Hennie Kuiper qui avait 36 ans le jour de sa victoire dans la Primavera, s’était astreint à l’époque à un rude entraînement hivernal avec, en prime, pour la première fois de sa longue carrière, des séances de musculation pour tonifier son organisme : « Avec l’âge, je dois travailler ma force, surtout dans les cuisses. Et, en dehors de cela, comme d’habitude, j’ai couru durant l’hiver ma dizaine de cyclocross avant de m’astreindre chaque jour à cinq ou six heures de selle qu’il pleuve ou qu’il vente…. Armstrong lui aussi compte débuter sa préparation par du cyclocross. Si la force musculaire décline, cette baisse est inférieure à 5 % à 40 ans et peut être compensée par l’amélioration du geste technique.
Les performances au plus haut niveau réalisées par les « doyens » (encadré : les bouquets de la quarantaine), démontrent qu’ils ne se portent pas si mal et qu’ils peuvent se maintenir parmi les meilleurs, voire « leur montrer leur roue arrière », si leur hygiène de vie se maintient, elle aussi, au plus haut niveau. Ce qu’ils perdent en tonus ou en impulsion, ils le gagnent en expérience. Au total, on comprend mieux qu’un champion bien pourvu dès sa naissance en fibres musculaires performantes, s’entraînant quotidiennement par tous les temps et pourvu d’une science du train peaufinée par 15 ans de carrière professionnelle, sache mieux que quiconque gérer son capital énergétique. Ces constatations permettent d’édicter l’aphorisme suivant : « A près de 40 ans, le bonus de l’expérience compense encore avantageusement le malus des ans ».
Lire ou relire dans Bakchich :
[1] La consommation maximale d’oxygène est la plus grande quantité de ce gaz que peut utiliser à l’effort par minute et par kilo de poids le sportif. Plus elle est élevée, plus l’athlète est capable de réaliser une performance de fond.