Retards, pannes, débrayages, réseaux vétustes : le banlieusard n’en finit pas de payer le prix des inconséquences de la SNCF et de l’Etat. Des dossiers au coeur des prochaines régionales !
Qui a dit que l’Etat, actionnaire unique de la SNCF, se désintéressait du pénible sort des usagers de l’Ile-de-France ? Lesquels, lorsque les cheminots ne sont pas en grève, voyagent le plus souvent serrés comme des saucisses dans des rames RER de plus de 20 ans d’âge moyen sur un réseau ferré très fatigué. Le drame, c’est que personne n’a vraiment conscience des efforts déployés par le gouvernement après la paralysie inédite de Saint-Lazare.
Dans les jours qui ont suivi, Dominique Bussereau, le sous-ministre des Transports, a eu l’imagination de convoquer le patron de la SNCF, Guillaume Pepy. « Pour désamorcer ce genre de tensions, j’ai proposé au président de la SNCF de prévoir un numéro vert, un site Internet ou un endroit dans les gares où les voyageurs puissent manifester leur émotion vis-à-vis des agents agressés », a annoncé sans rire à la presse le Secrétaire d’Etat. Puissant…
« On était tellement consternés qu’au final, personne n’a relayé ce genre d’ineptie dans son média », avoue une journaliste présente lors de cette conférence de presse historique de Bussereau. Privée de baptême médiatique, l’idée est restée au fond du tiroir. A un an des régionales où les transports en commun seront le thème central de la campagne, le gouvernement Fillon a du mal à rattraper le temps perdu. Et ne sait plus dans quel sens gesticuler.
Depuis 1980, l’Etat a allègrement sacrifié les tchouc-tchoucs de banlieue, ceux qui sentent la sueur et la promiscuité, au TGV, le train des « bobos » et des turbo-cadres. Pourtant, les « petits gris », comme on désigne les rames inox, transportent environ 60 % de tous les clients de la SNCF… Mais devant une Commission présidée par Fourcade entre 2005-2006, Guillaume Pepy a admis cette réalité : l’entreprise publique a détourné vers la grande vitesse une bonne part de la dotation annuelle que lui versait l’Etat pour investir dans les trains d’Ile de France. C’est du beau… Surtout quand on sait que Jospin et son ministre communiste Gayssot n’ont rien fait pour inverser la tendance, se lamente-t-on dans les rangs de la tendance de la gauche bobo qui s’est longtemps félicitée des succès du TGV, Guillaume Pepy en tête, sans se soucier des RER de banlieue (le seul génie de Pepy a consisté à rebaptiser d’un coup de peinture les trains de banlieue en Transiliens).
Pour ajouter à la frustration, les banlieusards sont davantage mis à contribution financière que les clients des TER de province – ou que les trains de marchandise – pour contenir l’énorme dette du rail gérée par Réseau Ferré de France. En Ile-de-France, le propriétaire du réseau investit en effet moins sur les rails que ce qu’il perçoit en péage des usagers du rail.
Voilà le type de surprises découvertes par Jean-Paul Huchon, le président PS de la région Ile-de-France, lorsqu’il a pris les commandes des transports franciliens via la présidence du STIF (le Syndicat des transports d’Ile de France). Réclamée depuis des années, la décentralisation du STIF mi-2005 a permis aux élus d’Ile de France (Région, départements, ville de Paris) de décider à la place de l’Etat des investissements dans leurs propres transports.
L’évolution ne s’est pas faite sans accroc. « Jusqu’en septembre 2006, j’ai dû faire la grève de la présidence du STIF, explique Huchon. Pour que l’Etat accompagne la décentralisation d’un transfert financier qui soit, comme en province, à la hauteur des enjeux. Finalement, c’est Villepin qui a débloqué la situation, mais il a dû violer Bercy… ». En définitive, quelque 220 millions d’euros viennent de l’Etat. Toujours ça de pris pour faire tourner le STIF, dont le budget annuel atteint plus de 4,5 milliards annuels.
Concrètement avec cette somme, le Syndicat finance surtout le fonctionnement quotidien de la RATP et de la SNCF en Ile de France, en fixant une feuille de route aux deux boîtes chargées de fournir la prestation demandée. Et il a les mains libres pour investir sans attendre le feu vert de l’Etat dans l’achat de nouveaux trains.
Sauf que cette tambouille technocratique interne risque de faire une belle jambe aux voyageurs ! L’an passé, la régularité des trains d’Ile de France s’est encore dégradée (92% des trains à l’heure), tandis que l’affluence continue d’augmenter (+ 25 % depuis 7 à 8 ans). Et les pouvoirs publics sont toujours capables de répondre aux besoins de déplacements de banlieue à banlieue.
« Pourtant, on a plus investi en trois ans qu’en quinze ans », estime-t-on à la Région. En juin enfin, la SNCF a consenti à engager dans l’amélioration de la ligne D., notamment une partie des deniers gagnés dans le TGV. Quelle volte face ! C’est qu’entre les réformes en coulisse et leur concrétisation dans le monde réel, il y a toujours un convoi de retard.
Le train du renouveau en tous cas doit arriver en octobre 2009, via les premiers exemplaires d’une commande géante passée à Bombardier et voulues par les élus en 2004. Le STIF a sorti la moitié des 1,8 milliard d’euros nécessaires, la SNCF le reste. De quoi rajeunir, d’ici 2015, 40 % du parc en Ile de France et éviter les pannes à répétition. Le hic, c’est qu’encore un peu tendre, la Région s’est visiblement laissée mal conseillée par les ingénieurs des Ponts de la SNCF. Elle a choisi de commander des rames prévues pour des quais de gare surélevés. Problème, la majorité sont bas… Résultat, il va falloir rehausser tous les quais d’Ile de France, et l’opération risque de coûter le bonbon, selon la Vie du Rail.
Pour le reste, depuis son discours tonitruant de Roissy au printemps 2007, Sarko est moins enclin à renouveler ses critiques sur « le manque d’ambition » de l’Ile-de-France, à qui il fallait retirer le dossier des transports au profit du « Grand Paris ». Le chef de l’Etat serait-il aperçu que l’Etat et les élus UMP en pré-campagne en Ile de France ne sont pas les mieux placés pour faire la leçon ? « L’examen du financement des chantiers de nouvelles lignes de train ou de tramway ficelées dans le cadre du contrat de plan Etat-région, est accablant pour le premier, confie un fonctionnaire du dossier. Non seulement, il a réduit sa contribution (800 millions contre plus de 2 milliards pour la Région sur 2007-2103), mais n’est pas pressé de tenir ses promesses ».
Illustration la plus flagrante de ces retards : la construction des tangentielles (des lignes de train qui doivent faire le tour de Paris en banlieue) prévues pour la prochaine décennie. Il s’en est fallu d’un chouya que le chantier ne s’enlise à cause de Bercy incapable d’avancer la part de l’Etat. La Région a dû trouver d’autres partenaires : trois départements dont les Yvelines de l’UMP Pierre Bédier. La plupart ont promis 100 millions d’euros chacun.
En principe, le déblocage de toutes ces tensions devrait venir du magicien qui a concocté les lois Grenelle de l’environnement, Jean-Louis Borloo. Le texte du ministre prévoit pour les prochaines années presque 20 milliards d’euros pour de nouvelles lignes de transports en commun en Ile de France. Chiche !
« Pour l’instant, les seuls dossiers portent dans les cartons en matière de transports, confie un conseiller du ministre. Ce sont ceux du tronçon TGV encore en projet, qui passeront en premier », confie un conseiller de Borloo. Et le banlieusard, lui, sera une nouvelle fois oublié sur le quai !
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