Le patron du Nouvel Observateur Claude Perdriel est candidat au rachat du Monde. Sollicité par la société des rédacteurs du quotidien, l’homme providentiel a pourtant des idées bien arrêtées sur la gestion des journalistes.
Les négociations qui entourent la recapitalisation prochaine du groupe Le Monde se poursuivent. Ces derniers jours, quelques noms se sont détachés dans la liste des candidats à la reprise : Mathieu Pigasse (actuel propriétaire des Inrocks) associé à Pierre Bergé (le grand argentier de la gauche) Carlo de Benedetti (propriétaire du groupe l’Espresso) et Xavier Niel (patron de Free et actionnaire de Bakchich) et enfin Claude Perdriel (PDG du groupe Nouvel Observateur et propriétaire de SFA - sanibroyeurs, thalasso et balnéo individuelles).
C’est à la demande de la société des rédacteurs du Monde que ce dernier est sorti du bois pour déclarer sa flamme au quotidien du soir et par là, à la pluralité de la presse. Si sa réputation d’amoureux de la presse n’est plus à faire, le grand public le connaît peu, car sa parole est rare.
Le 27 novembre 2008, Claude Perdriel était auditionné par les États généraux de la presse. Un raout organisé par l’Élysée pour sauver la presse écrite qui a eu comme on peut le constater aujourd’hui des effets proche de zéro. Et « Perdro » comme on le surnomme dans les couloirs du Nouvel Obs était plutôt remonté. Des déclarations qui rétrospectivement devraient faire rire jaune boulevard Auguste Blanqui au siège du Monde, où il s’apprête à prendre le pouvoir. Ils livraient alors quelques clés sur les écueils à éviter pour gérer une rédaction. Leçon numéro 1 : s’en méfier.
Extraits :
« Il y a des journaux comme Le Monde où l’excès de pouvoir de la société des rédacteurs a failli mener le journal a la faillite. (…) Il faut une autorité du directeur de la rédaction. Ça crée deux dangers, si c’est une autorité élue… Au moment de l’élection il y aura des campagnes électorales et celui qui va vous soutenir va être mieux traité que celui qui ne vous soutient pas. Du coup, l’indépendance des rédacteurs va disparaître un peu et l’indépendance des directeurs de journaux va disparaître un peu. C’est un problème délicat. »
(…)
Ce que j’ai vu à l’Observateur, ce que j’ai vu au Monde dont je suis administrateur comme vous le savez, c’est que pour des raisons regrettables, les sociétés des rédacteurs font un peu du basisme et se retournent toujours vers leur base et font voter leur base avant de donner leur opinion. Or vous ne pouvez pas diriger une entreprise car ça veut dire que vous faites voter la base à tout moment et ça c’est impossible il y a un moment donné où le ou les patrons de l’entreprise puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause.
(…)
Quand j’ai défendu Colombani pour qu’il reste à la direction du Monde, sans succès malheureusement, qui pourtant avait eu 59% des voix mais qui n’est pas resté et je me suis opposé à la SDR du Monde… Depuis, je me suis réconcilié avec eux ou plutôt ils se sont réconciliés avec moi, mais je dois dire ça a bardé et j’ai eu des articles dans la presse parisienne dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’étaient pas aimables. Les rédacteurs du Monde, le soir-même téléphonaient à toutes les SDR, y compris la mienne, pour faire passer des papiers sur internet et dans la presse pour dire que je m’étais conduit d’une façon scandaleuse, j’ai vu apparaître ça, ça me faisait rire parce qu’après tout, je croyais à ce que je faisais, donc par conséquent, je n’étais pas gêné. J’ai vu apparaître sur internet un papier qui me dénonçait. Je suis au 5è étage et internet est au rez-de-chaussée. Je suis quand même descendu au RDC et j’ai dit : Écrivez ce que vous voulez, mais moi je vais ajouter ce que je veux dire. Et puis j’ai eu du mal, parce que tout d’un coup, ils sont partis tous. C’était assez drôle d’ailleurs parce que je leur dit au téléphone que j’arrive et je descends, il n’y avait personne. Alors j’attends et au bout de 10 minutes, ils sont revenus en disant : ah on est allé prendre un café. Ah bon vous alliez prendre un café comme par hasard. Ils avaient essayé de me décourager. Vous voyez ce que je veux dire. Il peut y avoir un pouvoir corporatiste qui existe, je ne leur en veux pas, c’est normal, ils défendent leurs intérêts mais il y a aujourd’hui une sympathie dans les SDR.
Maintenant, je m’entends bien avec la SRM mais je veux dire quand même que je pense qu’il ne faut pas qu’ils aient trop de pouvoir. Et dans le cas du Monde, je continue à penser qu’ils auraient mieux fait de, quitte à discuter, lui demander des aménagements, quitte à ce qu’ils discutent la façon dont il gérait, Le Monde aurait fait l’économie de la crise qu’il a eu pendant plus d’un an. Le Monde qui était en difficulté, qui va un peu mieux, beaucoup mieux, mais qui n’est toujours pas sorti d’affaire, a dans cette histoire, perdu un an. Perdre un an dans une entreprise qui perd énormément d’argent et qui va mal c’est très grave et ça a créé un an de crise.
(…)
Je critique les journalistes, mais je les aime quand même, je les respecte beaucoup. Il y en a beaucoup qui ont du talent et qui sont des gens formidables. »
Les rédacteurs du Monde sont rassurés.
« Il y a des journaux comme Le Monde où l’excès de pouvoir de la société des rédacteurs a failli mener le journal a la faillite. » (…) Il faut une autorité du directeur de la rédaction. Ça crée deux dangers, si c’est une autorité élue… Au moment de l’élection il y aura des campagnes électorales et celui qui va vous soutenir va être mieux traité que celui qui ne vous soutient pas. Du coup, l’indépendance des rédacteurs va disparaître un peu et l’indépendance des directeurs de journaux va disparaître un peu. C’est un problème délicat. A l’Observateur, j’ai eu récemment un problème. J’ai nommé deux personnes à la direction de la rédaction. On a appliqué la charte, ils ont été élus selon la charte, mais pas bien élus. Ils ont eu 54% des voix , donc 48% n’avaient pas voté pour eux. Ça les a mis dans une situation très difficile. (…)
Pour eux c’était très gênant. Ils le vivaient mal. Et heureusement c’est pour ça que mon ami Denis Olivennes a accepté de devenir directeur de publication et finalement super directeur de la rédaction, parce que lui a été bien élu. Mais après ce coup je me suis posé des questions sur cette charte que j’avais mise en place. (…)
Je pense qu’il faut se méfier, je pense que la rédaction ne doit pas avoir tous les pouvoirs. Nous on a un conseil d’administration avec un comité éditorial. Les rédacteurs ont signé à 99% la charte. Ce serait à refaire, je pense qu’il faut que le conseil d’administration recherche un candidat, se concerte avec la société des rédacteurs (SDR), fasse un petit coup de sonde avec la rédaction et nomme le directeur de la rédaction en accord avec la SDR. L’erreur, à l’Observateur, à mon avis,, mais c’est une erreur personnelle, j’y réfléchis encore, c’est que la SDR n’a pas pris ses responsabilités, qu’elle aurait dû dire : je vote pour lui, ou je ne vote pas pour lui. Ce que j’ai vu à l’Observateur, ce que j’ai vu au Monde dont je suis administrateur comme vous le savez, c’est que pour des raisons regrettables, les sociétés des rédacteurs font un peu du basisme et se retournent toujours vers leur base et font voter leur base avant de donner leur opinion. Or vous ne pouvez pas diriger une entreprise car ça veut dire que vous faites voter la base à tous moment et ça c’est impossible il y a un moment donné où le ou les patrons de l’entreprise puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause. (…)
Il y a eu un premier changement avec Denis Olivennes qui est un homme que j’aime énormément. C’est vraiment l’héritier en tout cas lui est là pour 15 ans, pour 20 ans, donc je me sens rassuré. Le changement que je veux faire, c’est une idée un peu compliquée. Les rédacteurs ont refusé, puis après ils sont venus me voir parce qu’ils regrettaient d’avoir refusé. (…)
Comme on ne peut pas faire une fondation, vous pouvez faire une société qui a 1%. Dans cette société, j’avais trouvé 5 sages (…) on pouvait ajouter un membre de la SDR, et au lieu de donner au propriétaire c’est-à-dire au Conseil d’administration, je demandais aux 5 sages de proposer un directeur de la rédaction, mais à ce moment là, les 5 sages – dedans il y avait de bons entrepreneurs qui savaient ce que c’était de choisir un vrai patron de la rédaction, donc que la rédaction aurait du mal à réfuter. Je voulais enlever une partie du pouvoir à la rédaction pour le donner non pas à l’actionnaire, parce que forcément pour les journalistes, l’actionnaire c’est le capitaliste, c’est toujours un peu mal vu. C’est une erreur, m’enfin c’est comme ça. En le donnant à des sages bien choisis, on tournait la chose. Là, l’avantage, c’est que c’est légal et ça donne le pouvoir non pas à l’équivalent d’une fondation mais qui n’a pas l’inconvénient fiscal d’une fondation car l’état français vous prélève dessus à chaque fois 60 % et donc c’est impossible. (…) Je ne dis pas que je n’y reviendrai pas, mais pour le moment, j’ai eu pas mal d’aventure à l’Observateur, parce que ça a été tout un problème. (…)
Dans cette charte, il y a des principes qui devraient être appliqué par tous les journalistes, dans tous les journaux (…) Les journalistes ont mélangé informations et opinions. C’est une maladie qui a existé pendant une quinzaine d’années. (…) Dans les journaux, ils ne faut donner le pouvoir ni aux comptables, ni aux journalistes. (…) Les journalistes ont le pouvoir de l’écrit, le pouvoir de se mettre en grève, et une grève de journalistes ça se remarque. Le pouvoir des journalistes est considérable par rapport aux pouvoirs des actionnaires. C’est ceux qui vont à la radio, vont à la télé. L’actionnaire il est pas forcément capable de défendre son truc et d’aller à la télé, tandis que les journalistes ils sont bons là-dessus. D’abord, ils sont dans un univers de journalistes ce qui fait qu’il y a un corporatisme total. (…)
Quand j’ai défendu Colombani pour qu’il reste à la direction du Monde, sans succès malheureusement, qui pourtant avait eu 59% des voix mais qui n’est pas resté et je me suis opposé à la SDR du Monde… Depuis, je me suis réconcilié avec eux ou plutôt ils se sont réconciliés avec moi, mais je dois dire ça a bardé et j’ai eu des articles dans la presse parisienne dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’étaient pas aimables. Les rédacteurs du Monde, le soir-même téléphonaient à toutes les SDR, y compris la mienne, pour faire passer des papiers sur internet et dans la presse pour dire que je m’étais conduit d’une façon scandaleuse, j’ai vu apparaître ça, ça me faisait rire parce qu’après tout, je croyais à ce que je faisais, donc par conséquent, je n’étais pas gêné. J’ai vu apparaître sur internet un papier qui me dénonçait. Je suis au 5è étage et internet est au rez-de-chaussée. Je suis quand même descendu au RDC et j’ai dit : Écrivez ce que vous voulez, mais moi je vais ajouter ce que je veux dire. Et puis j’ai eu du mal, parce que tout d’un coup, ils sont partis tous. C’était assez drôle d’ailleurs parce que je leur dit au téléphone que j’arrive et je descends, il n’y avait personne. Alors j’attends et au bout de 10 minutes, ils sont revenus en disant : ah on est allé prendre un café. Ah bon vous alliez prendre un café comme par hasard. Ils avaient essayé de me décourager. Vous voyez ce que je veux dire. Il peut y avoir un pouvoir corporatiste qui existe, je ne leur en veux pas, c’est normal, ils défendent leurs intérêts mais il y a aujourd’hui une sympathie dans les SDR. Maintenant, je m’entends bien avec la SRM mais je veux dire quand même que je pense qu’il ne faut pas qu’ils aient trop de pouvoir. Et dans le cas du Monde, je continue à penser qu’ils auraient mieux fait de, quitte à discuter, à lui demander des aménagements, quitte à ce qu’ils discutent la façon dont il gérait, Le Monde aurait fait l’économie de la crise qu’il a eu pendant plus d’un an. Le Monde qui était en difficulté, qui va un peu mieux, beaucoup mieux, mais qui n’est toujours pas sorti d’affaire, a dans cette histoire, perdu un an. Perdre un an dans une entreprise qui perd énormément d’argent et qui va mal c’est très grave et ça a créé un an de crise.
(…)
Sur internet, on a été parmi les premiers avec Le Monde et Libé, on a longtemps été numéro 2 ou numéro 1 bis avec Le Monde, aujourd’hui nous sommes un peu dépassés mais on commence à remonter un peu parce que j’ai toujours été extraordinairement prudent et que j’ai dépensé depuis toujours. On a commencé vraiment les premiers, parce que c’est un univers que je connaissais bien et qui m’intéressait. J’étais déjà passionné par le minitel. J’ai tout de suite pensé qu’on était obligé d’y être parce que c’est du temps réel. (…) Je pense à la fois le plus grand bien et le plus grand mal d’internet. Le plus grand bien parce que c’est un outil fabuleux. Même en voyage, j’appelle sur mon iPhone l’internet de l’Observateur pour voir ce qui est en train de se passer et c’est quand même pratique. En même temps, la presse écrite ne gagnera jamais d’argent avec internet parce qu’elle est en concurrence avec Google, Yahoo (…) Nous avons des recettes, mais on aura des miettes du gâteau (…) et ce que nous constatons avec regret, c’est que ça coûte de plus en plus cher. (…) Internet, on est obligé d’y être, mais c’est pas ça qui va nous sauver. Mais internet c’est aussi le monde de la rumeur, c’est le monde de l’info non contrôlée. Dans la société mondiale que l’on connaît, internet est extraordinairement dangereux. Entre de bonnes, c’est formidable, mais entre de mauvaises mains, on peut vous vendre n’importe quelle diffamation, n’importe quelle fausse nouvelle, ça marche à une vitesse vertigineuse. (…)
Je critique les journalistes, mais je les aime quand même, je les respecte beaucoup. Il y en a beaucoup qui ont du talent et qui sont des gens formidables. J’aime les journalistes, même si je les ai critiqués, je les aime vraiment. Il y a une déontologie des journalistes. Cette déontologie est totalement absente. Quand je leur ai fait signer cette fameuse charte, ils ont tous signé, donc ils ont accepté. (…)
Sur internet, il n’y a plus rien, il n’y a aucune règle, on peut tout dire et plus une rumeur sera fausse plus elle sera abominable, plus vite elle va parcourir le buzz de l’internet et plus vite elle va se répandre partout. C’est horrible. La rumeur on sait ce que c’est, ça a toujours existé. Avec internet, c’est devenu mondial, c’est épouvantable, on ne peut pas ne pas y aller, d’abord parce qu’il faut aussi défendre notre métier, défendre la vraie information, mais c’est un univers dangereux et dont je ne trouve pas qu’il améliore la société dans laquelle nous vivons.
Et pour regarder la vidéo de son intervention, c’est ici
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