Les Fatals Flatteurs du Plan B continuent de frapper. Invité du Nouvel Obs.com le 17 avril dernier, Jean Daniel s’est royalement fait piéger.
Vendredi 17 avril 2009, le site du Nouvel Observateur recevait Jean Daniel, « figure historique et directeur du Nouvel Observateur » qui vient faire la réclame pour son dernier bouquin de copinages.
Les Fatals Flatteurs permettent à ce fleuron de la pensée de se montrer tel qu’en lui-même : infatué à un point tel que ses proches le surnomment « La Mongolfière », capable de se baisser en passant sous l’Arc de Triomphe. Ayant vécu au Nouvel Observateur entouré de courtisans professionnels, jamais il ne discernera la moindre malice dans les questions les plus fatalement obséquieuses.
Présentation du forum sur le site du Nouvel Observateur :
« ITINÉRAIRES EN FORME DE PORTRAITS
vendredi 17 avril 2009
de 16h00 à 17h33
Jean Daniel, figure historique et directeur du Nouvel Observateur, retrace sa vie à travers les portraits des « siens » (« Les Miens », Grasset), Albert Camus bien sûr mais aussi François Furet et Germaine Tillon, Malraux et Sartre, Michel Foucault et Jules Roy, Roger Stéphane et Maurice Clavel, Marie Susini et Roland Barthes, Sagan et Derrida… Au total, quarante-trois figures qui, ensemble, composent en creux un portrait très personnel de celui qui les rassemble. »
Question de : François
Bonjour Jean Daniel. Je m’interroge souvent sur ce qu’est un portrait réussi. Et je suis en train de me (et vous) demander si les plus beaux portraits ne sont pas ceux que savent esquisser des hommes d’expérience comme vous. Partagez-vous mes réflexions ? Permettez moi de vous saluer (au sens de vous souhaiter votre salut).
Réponse :
Merci pour mon salut. Je vous retourne ce bien religieux souhait. L’art du portrait implique la vision des traits dominants, la mise en valeur de ce qui fait l’essentiel chez un homme ou une femme. La Bruyère a commencé avec ses fameux « Caractères ». Saint-Simon a été expert en la matière dans ses mémoires. François Mauriac a excellé dans la façon de résumer un visage ou un esprit avec deux ou trois qualificatifs.
Question de : Marjorie
Bonjour Mr Jean Daniel. Vous avez inventé un style d’écriture bien à vous au contact de gens comme Foucault, Derrida, Sartre, G. Tillon. Quels conseils donneriez-vous à un jeune apprenti écrivain ?
Réponse :
Le premier conseil est d’écrire court. Ce qui est très difficile. Ensuite de faire un texte dont on n’hésitera pas à enlever le début et la fin. C’était le conseil que donnait Tchekov aux jeunes écrivains. Il trouvait toujours que ses débuts étaient inutiles. Il faut ensuite avoir le culte de la clarté et ne jamais utiliser trop d’adjectifs. Le reste vient tout seul… ou ne vient pas.
Question de : Jean-Baptiste
Vous êtes notre conscience morale. Cela ne vous pèse pas trop ?
Réponse :
Cela m’a pesé énormément. D’autant que j’ai toujours aimé l’humour, le rire, la nage et la danse. Il y a aussi le fait que plus on avance en âge, mieux on se rend compte que l’on ne sait rien. Alors comment donner aux autres la moindre leçon. Cela dit, rendre contagieux ce que je peux avoir de lucidité c’est mon idéal aujourd’hui.
Question de : Emmanuel
Y a-t-il une explication rationnelle au fait que, malgré vos efforts et ceux des collaborateurs du Nouvel Observateur, le PS n’a pas encore fait son Bad Godesberg ?
Réponse :
La vérité c’est que je crois qu’il a fini par le faire sans le dire. C’était déjà présent dans le dernier livre de Lionel Jospin et tout à fait clair dans celui de Bertrand Delanoë. Mais voilà, c’est au moment où on s’éloigne le plus du marxisme et de ses dérives que survient la crise du capitalisme. Au point que les ultra-libéraux comme Sarkozy rejoignent les critiques de l’extrême gauche, Besancenot et autres. Il faut vivre avec cette complexité.
Question de : Joanna
Cela fait trente ans que je vous lis Jean Daniel, et vous continuez de m’intéresser car je retrouve toujours la plume de celui qui, le premier, m’a donné envie de connaître le monde. Je tiens à vous présenter de sincères remerciements pour votre monumentale œuvre journalistique. Parmi tous vos apports au journalisme lequel est le plus cher à votre cœur ?
Réponse :
Ce n’est pas un apport, c’est une chance plutôt extraordinaire et qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie et à peu de gens. Je parle du message de Kennedy dont j’ai été le porteur auprès de Fidel Castro. Je parle de ce déjeuner avec Fidel où j’ai appris l’assassinat de Kennedy. Mon reportage a fait vraiment le tour du monde. C’est un beau souvenir.
Question de : Marielle
Jean Lacouture vous considère avec d’autres très grands journalistes comme des impatients de l’Histoire. En ce qui vous concerne, est-il possible de vous définir comme un impatient paradoxalement patient de l’Histoire ?
Réponse :
C’est tout à fait l’avis de Jean Lacouture dans le chapitre qu’il m’a consacré à la fin de son livre : De Théophraste Renaudot à Jean Daniel.
Question de : Olivier
J’aimerai demander au témoin capital de notre temps que vous êtes si vous avez des héritiers (Jacques Attali, Erik Orsenna,…) ?
Réponse :
J’ai évidemment de nombreux héritiers. Permettez-moi de vous donner en premier lieu des noms de mes anciens collaborateurs : Laurent Joffrin, Jean-Paul Enthoven, Bernard Guetta, Franz-Olivier Giesbert. Mais j’ai beaucoup d’estime pour les deux noms que vous avez cités. Je m’entends très bien avec Eric Orsenna.
Question de : Claude
Qu’est-ce que représente pour vous l’œuvre de Lévi Strauss (j’espère que vous deviendrez comme lui centenaire car votre empreinte sur le journalisme est comparable à la sienne sur l’anthropologie) ?
Réponse :
Merci pour le souhait. Je ne mérite pas la comparaison avec un géant comme Lévi Strauss dont le premier grand livre, « Tristes tropiques », a influencé ma vision du monde et ma vie. En tout cas, sur un point qui n’est pas mineur il m’a fait revenir à Jean-Jacques Rousseau. Un des plus grands maîtres à penser.
Question de : Natacha
Je tiens simplement à vous exprimer ma gratitude et mon admiration. Et si vous le permettez, je vous embrasse.
Réponse :
Je ne peux pas laisser ce baiser sans réponse.
Question de : Charlotte
Cher Jean Daniel, vous êtes un formidable éducateur/éveilleur pour les gens qui cherchent à s’orienter dans les dédales d’un monde complexe et incertain, et j’ai hâte de lire votre réponse à la question suivante : est-il envisageable que la crise actuelle ait pour effet une accélération de la nécessaire construction de l’Europe ?
Réponse :
En principe, ce serait la sagesse. En fait et pour le moment cette crise nous a rapprochés de l’Allemagne, nous a éloignés de la Grande-Bretagne, et sème la division dans toute l’Europe de l’Est. C’est un combat dont je suis obligé de concéder que Sarkozy le mène plutôt bien…
Question de : Sandra
Comptez-vous écrire un jour sur votre débat permanent (et secret) avec Wittgenstein et son œuvre ?
Réponse :
Je n’en ai pas encore la compétence mais je ne désespère pas d’y arriver.
Question de : Dorine
Pensez-vous rassembler vos ouvrages (dont certains, hélas, ne sont pas réédités) dans des Œuvres complètes ?
Réponse :
Il y a déjà chez Grasset mes "Œuvres complètes autobiographiques". Il y a aussi la réunion de quarante années de chroniques sur le Proche-Orient chez l’éditeur Galad. Il y a enfin pratiquement tous mes livres soit en Folio, soit en Livre de poche. J’ai un faible pour la réédition de "Avec le temps" et de "La Prison juive" comme je recommande "Cet Étranger qui me ressemble" (Folio).
Question de : Roland
La fabuleuse série d’émissions "Un été avec Jean Daniel" diffusé l’été dernier sur France Culture est-elle disponible en CD ?
Réponse :
Je crois qu’elle l’est. Ma secrétaire Véronique peut vous donner tous les détails.
Question de : Marie-Charlotte
Alain Resnais a tourné un film inspiré d’un roman de Semprun. Lequel de vos livres vous semble le plus indiqué pour être mis en film par Resnais ou Coppola ?
Réponse :
Ma réponse est très facile. J’ai écrit trois nouvelles qui sont réunies dans un livre dont le titre est "L’Ami anglais". Plusieurs fois, l’une de ces nouvelles ("Le Maltais") a tenté un metteur en scène, mais pas encore hélas les grands que vous citez…
Question de : Bertrand
Si le Collège de France vous propose une chaire de journalisme, vous acceptez ?
Réponse :
Je ne crois pas au sérieux de votre question. Ce qui veut dire que dans l’hypothèse où ce miracle aurait lieu, je me précipiterais.
Question de : Hélène
La pluralité de vos passionnants itinéraires variés est-elle due à la qualité des belles rencontres que vous avez eu le bonheur de faire ?
Réponse :
Oui. C’est évident et permettez-moi de vous dire que vous vous en rendrez mieux compte en lisant mon dernier livre qui sera en librairie le 27 avril et dont le titre est LES MIENS (aux éditions Grasset). Pardon pour cette auto-publicité.
Question de : Votre pseudo
Jean Daniel, vous êtes un miroir de l’histoire de la gauche du dernier demi-siècle. Avez-vous un équivalent à droite ?
Réponse :
Oui. Dans le journalisme, Claude Imbert qui a d’ailleurs un grand talent.
Question de : Mathilde
Mes jumelles ont 12 ans. Par lequel de vos livres est-il souhaitable q’elles débutent la lecture de votre oeuvre ?
Réponse :
Sans hésitation, Le Refuge et la source (Grasset). Ma petite-fille qui a l’âge de vos jumelles vient de le lire.
Question de : Votre pseudo
Je ne suis pas d’accord avec l’internaute qui parle du nouvel obs comme d’un « canard »… J’ai aussi pu entrer dans la réalité du monde, géopolitique, culturel et littéraire grâce à votre journal, et y ai appris plus qu’en 4 ans d’études de lettres sur l’humanisme qui donne à nos jours un peu d’espoir !
Réponse :
Votre observation qui évidemment me touche me donne aussi l’occasion de remercier tous mes interlocuteurs dans ce « tchat ». J’ai eu un grand plaisir et même un vif intérêt à répondre à toutes vos questions. Je vous dis à très bientôt. Nous serons évidemment amenés à de nouveaux échanges.
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