L’élection la plus drôle du monde a eu lieu vendredi au PS. Sans vainqueur déclaré, mais des menaces de procès entre les camps des deux candidates, Ségolène Royal et Martine Aubry…
L’une a remporté 29 % des voix, après le vote des militants socialistes sur les motions jeudi 6 novembre. L’autre, 25 %. Premier round remporté par Ségolène Royal. Le deuxième round, l’élection du Premier secrétaire, dont le deuxième tour s’est déroulé vendredi 21 novembre, s’est achevé sans vainqueurs. Et un recomptage aussi palpitant que pathétique des voix.
« Elles sont en désaccord sur à peu près tout », confie Marie-Noëlle Lienemann, ministre de Pierre Bérégovoy en même temps que Ségolène Royal et Martine Aubry. Ces derniers mois, le retour hyper médiatisé de Martine Aubry - qui essaie de rallier tous les ténors du parti, de Dominique Strauss-Kahn qu’elle a vu cet été au Maroc à Laurent Fabius en passant par Bertrand Delanoë - s’est fait en partie contre Ségolène Royal. Le 18 mai, Martine est interrogée sur Canal+ : « croyez-vous », lui demande-t-on, « que l’ancienne candidate à la présidentielle ferait une bonne dirigeante pour le parti ? » « Je ne le crois pas », répond-elle, « très franchement ». Depuis peu, la « dame des 35 heures » a repris du poil de la bête. Ses amis aussi. « Martine, il faut que tu y ailles ! », lui répètent-ils. Comprendre : dans la course au poste de premier secrétaire. Hier, jeudi 28 août, Titine, comme ils l’appellent, était l’invitée du 20h de France 2 pour la sortie de son livre : Et si on se retrouvait…. Le message est on ne peut plus clair ! Récit d’une rivalité de trente ans.
Au début du septennat de François Mitterrand, la jeune Martine Aubry travaille au ministère du Travail, où elle rédige les fameuses lois Auroux, qui bouleversent le Code du Travail. Ségolène Royal, elle, pond d’obscures notes à longueur de journée dans le modeste bureau qu’elle occupe à l’Élysée avec l’espoir qu’elles seront lues du président. Titine avait une sérieuse longueur d’avance !
« Pépite Mitterrand », Ségolène Royal est repérée en 1982 par Jacques Attali alors qu’elle n’a que 30 ans. Elle rejoint le secrétariat général de la présidence du « Château », en tant que conseillère technique en charge de la jeunesse et du sport. « Le président avait très vite repéré Ségolène Royal, elle pensait par elle-même, notamment sur les questions de santé et de jeunesse », avance Jean-Louis Bianco, ex-secrétaire général de l’Élysée et aujourd’hui, il est vrai, bras droit de la Présidente de Poitou-Charentes. Et d’ajouter : « Ségolène produisait des notes instructives qui illustraient sa capacité à analyser les phénomènes de société ». Diable !
Dans l’un de ses papiers, Ségolène Royal avait proposé une campagne de santé publique… avec distribution gratuite de dentifrices dans les pharmacies. La jeune conseillère du président s’était arrangée pour glisser une note sur le bureau du président. Peine perdue, François Mitterrand l’a à peine regardée !
Mitterrand garde en tête le pedigree de « Titine » - fille de Jacques Delors, son ex ministre de l’Économie et des Finances - et son passage réussi au Travail où elle était devenue, en 1983, directrice adjointe du cabine de Jean Auroux. Huit années plus tard, elle obtient son premier maroquin dans le gouvernement d’Édith Cresson, avec le titre de ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Rien de moins. Manifestement, tout lui réussit. Elle est d’ailleurs maintenue au même poste sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy, dans lequel Ségolène Royal fait son entrée.
Au lendemain du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, cette jeune ministre de l’Environnement qui s’y est rendue enceinte, pose dans Paris Match avec sa dernière née, Flora. Du jamais vu dans l’histoire du PS ! Et un élément de plus qui exaspère Aubry. « Elle fait partie des gens horrifiés par l’accouchement médiatisé de Ségolène Royal », rapporte un élu socialiste. La fille Delors sait aussi être piquante et décocher des flèches. En privé, raconte un de ses proches, elle déblatère sur Ségolène Royal et casse du sucre sur le dos de sa collègue. Ambiance.
Pour certains socialistes, le désistement de Jacques Delors à l’élection présidentielle de 1995, s’explique en partie par sa volonté de ne pas entraver la carrière de sa fille. Bien que plusieurs voient en elle une candidate potentielle à la plus haute fonction et l’encouragent à se lancer dans la bataille, elle, n’en fait rien. Martine attend… un peu trop, semble-t-il. Alors qu’Henri Emmanuelli dispute à Lionel Jospin l’investiture du parti socialiste pour la présidentielle, Royal surprend. Elle démissionne de son poste, honorifique, de présidente du conseil national du PS, le 24 janvier 1995. Et convoque les caméras pour lancer : « J’appelle les militants à rester à l’écart de ces funestes querelles. Deux trains sont lancés à toute allure l’un contre l’autre, pilotés par les mêmes acteurs du détestable congrès de Rennes. Je dis aux militants : écartez-vous des voies ! » L’initiative fait sourire à l’époque. Pourtant, elle porte en germe la candidature de Royal douze ans plus tard. Finalement, Jospin est choisi par les militants socialistes. Il nomme Aubry au poste de porte-parole de campagne. Sans s’occuper de Royal.
D’ailleurs, il ne la voit pas. Celle qu’il apprécie, c’est Aubry. Après sa défaite à la présidentielle contre « Chichi » et son accession au poste de Premier secrétaire du PS, Jospin souhaite nommer « Titine » au poste de numéro 2 du parti. Refus de l’intéressée qui lui attire ce commentaire d’un jospiniste : elle est « velléitaire ». « J’y vais, j’y vais pas, Martine hésite toujours comme son père. Ils ne vont jamais au bout des choses ». Avant d’ajouter en plaisantant : « c’est aussi ça la grosse différence avec Royal. Ségolène, c’est un éléphant dans un magasin de porcelaine : elle entre et casse tout. Martine, c’est plutôt : “retenez-moi de faire un malheur”. Et finalement, elle ne fait rien ! »… jusqu’en 1997.
Avec le retour de la gauche au pouvoir et la nomination de Jospin à Matignon, Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, devient la numéro 2 du gouvernement. Un poids lourd, en somme. Elle y met en place la réforme des 35 heures, encensée par les uns, décriée par les autres et qui lui collera durablement à la peau. Au ministère, Aubry gagne la réputation d’une femme cassante et autoritaire. Rien que ça. Royal, elle, tente de tracer son chemin. Elle a de l’ambition, et ne s’en cache pas. « Ségolène surfe sur l’opinion. Elle ne pense pas qu’elle a des adversaires politiques, elle pense qu’elle la meilleure », lance Marie-Noëlle Lienemann.
Élue en 1997, Ségolène Royal tente d’obtenir la présidence de l’Assemblée nationale. Échec. Jospin l’avait déjà promise à Laurent Fabius. « Ségo » obtient en échange le poste de ministre déléguée à l’Enseignement scolaire. Et ce « grâce à l’intervention de son compagnon François Hollande », raconte l’ex-ministre Daniel Vaillant. « François a demandé qu’elle soit ministre. Claude Allègre, qui sera son ministre de tutelle, voulait qu’elle ne soit que secrétaire d’État ». La guerre Allègre - Royal est déclarée. Aubry choisit son camp. « En conseil des ministres, Martine consolait Claude qui ne supportait pas Ségolène. Elle était leur souffre douleur, mais s’en souciait guère et traçait », raconte un témoin.
Daniel Vaillant, qui change de poste en 2000 pour prendre l’Intérieur, se souvient d’un autre épisode avec Ségolène Royal : « J’avais de bons rapports avec elle et nous avions monté ensemble la campagne anti-violence à l’école. Nous avions prévu de la présenter le jeudi. Elle l’a fait seule la veille, sans me prévenir. Disons que ça m’a éclairé, si besoin était, sur le personnage ». Agaçante ou agacée, le personnage fait débat. « Je pense qu’au fond, Ségolène Royal était agacée et en voulait à Jospin de ne pas lui avoir donnée de postes à plus hautes responsabilités », note Marie-Noëlle Lienemann. « Un jour, Hollande m’a dit : Jospin pense à toi pour le logement mais il a rajouté : “ne compte pas qu’il te nomme à un ministère régalien car tout comme Ségolène, il pense que vous êtes incontrôlables”. » Jospin a préféré « Titine »…
En mars 2000, Ségolène Royal change de poste et devient ministre déléguée à la Famille, sous l’autorité d’une certaine… Martine Aubry. La collaboration se passe mal : les deux femmes ont un fort caractère. À la réunion du mardi à Matignon, sous la houlette de Lionel Jospin, elles s’ignorent. « On sentait que Ségolène et Martine ne partageaient pas la même vision de la politique. Il est clair que c’était Aubry qui avait du poids », commente Vaillant. Aubry, du lourd, en effet. À deux ans de la présidentielle, un sondage Sofrès pour Le Nouvel Obs réalisé en octobre 2000 s’interroge : « Qui à l’Élysée ? Chirac, Jospin ou une femme ». En l’occurrence, Martine Aubry, bien placée pour affronter « Chichi », si Jospin renonce à y aller. L’enquête de la Sofres révèle qu’elle serait loin de faire de la figuration : elle serait battue par le président sortant, mais seulement de justesse. Pas mal pour un premier coup.
Le scénario reste à l’état d’hypothèse. En octobre 2000, Martine Aubry prend ses clics et ses clacs et démissionne du gouvernement Jospin. Elle veut se consacrer à la bataille des municipales qui a lieu six mois plus tard à Lille. Aubry remporte la ville de l’ex-Premier ministre, Pierre Mauroy, qui la soutient. « Titine » savoure. Un peu trop, semble-t-il, en cassant du sucre à gogo sur ses amis du PS. La colère de Pierre Mauroy, lors d’un bureau national du PS, le 21 mars 2006 - « Elle a dit trop de mal, de trop de monde ! »-, l’a rendra plus prudente. Mais elle a entretemps gagné l’image d’une femme dure et intransigeante.
En 2002, l’année de la présidentielle et des législatives, Martine Aubry se ramasse une enquête en pleine figure - « un pamphlet », dit-elle - : La Dame des 35 heures, de Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoit (Robert Laffont, 2002). « Elle a très mal supporté le bouquin », confie son amie Marylise Lebranchu. Nombre de socialistes continuent pourtant de voir en elle un possible Premier ministre, si la gauche gagne la présidentielle. On connaît la suite et le 21 avril 2002. Pas facile à encaisser. D’autant plus qu’Aubry est battue aux élections législatives. Deux échecs en quelques mois… véritables coups sur la tête. Progressivement, elle quitte la scène nationale alors qu’« avant 1997, on voyait en elle l’étoile montante du parti », claironne un ténor socialiste.
Ségolène Royal, elle, continue son chemin sans s’arrêter à ce que font les autres. Élue député des Deux-Sèvres en 2002, elle décroche une sacrée victoire deux ans plus tard en remportant la présidence du conseil régional de Poitou-Charentes… la région du Premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin. Tout un symbole. Elle y gagne le surnom flatteur de la « Zapatera » française, en écho à la victoire du Premier ministre socialiste espagnol, José Luis Zapatero quelques mois plus tôt. Les détracteurs de la socialiste retournent le compliment et l’affublent du sobriquet vachard de « Zapaterreur ». Sympa, les amis !
Lorsque Royal se lance dans la course à la présidentielle en 2006, les socialistes sont pris de court. Aubry, la première. Les petites phrases se multiplient. La présidentielle « n’est pas une affaire de mensurations », lance Martine. Royal renvoie ses détracteurs dans les rangs en remportant, dès le premier tour, l’investiture du PS à la présidentielle, face à Laurent Fabius et Dominque Strauss-Kahn. Mais Ségolène Royal a ceci de commun avec l’ancien président Mitterrand qu’au PS, on l’adore ou on la déteste. Aubry, elle, ne l’apprécie guère et considère qu’elle vient de se faire usurper « sa » place. En juin 2006, au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, elle balance un scud : « Je ne suis pas née pour être candidate à la présidence de la République, contrairement à d’autres, mais je ne l’exclus pas ».
Dès lors, Martine Aubry n’a de cesse de critiquer la candidate Royal. Et commence son retour dans le « tout sauf Ségolène ». Manière de laisser la porte ouverte pour la présidentielle de 2012 et de condamner celle de sa rivale. D’ici là, il y a le congrès de Reims. « Ceux qui ne veulent pas du match Delanoë - Royal conduisent à crédibiliser la candidature d’Aubry en avançant plusieurs cartes : elle a porté les 35 heures, elle est une élue de terrain, elle est pro-européenne. Aujourd’hui elle se retrouve dans une situation d’être la bonne personne, par défaut… comme l’était Royal il y a un an », lâche un socialiste.
Sauf qu’avec sa traversée du désert, Martine a perdu ses troupes. Mais sa remontée fracassante dans les sondages, depuis mars, l’a convaincue que ce qu’elle représentait n’était pas mort. Ses fidèles se chargent d’ailleurs de faire monter la sauce et de pérenniser le rassemblement qui se fait autour d’elle : les « Reconstructeurs » qui vont des strauss-kahniens aux fabiusiens, en passant par les amis d’Arnaud Montebourg. Ou le « mariage de la carpe et du lapin », selon le bon mot de leurs adversaires. « Martine Aubry profite objectivement du fait qu’aucun personnage socialiste ne s’est imposé. Ce vide a créé des attentes et le fait qu’elle se soit replié sur sa ville depuis 2001 lui a redonné une virginité politique », analyse Rémi Lefèbvre, spécialiste du PS et professeur de science politique à Lille. « Mais elle ne maîtrise pas les rouages ni les codes du parti. C’est une de ses faiblesses » : une des critiques déjà faites, il y a un an, à Ségolène Royal… Au moins, un point commun entre les deux femmes !
« Royal n’avait pas de réseau, mais elle a aujourd’hui constitué un courant qui commence à prendre forme », précise Rémi Lefèbvre. L’ex-candidate à la présidentielle n’a pas l’intention de céder sa place. Ni son avance. Comme elle l’a montré depuis plusieurs mois avec comment phare, son grand raout du Zénith, le 27 septembre dernier. Histoire de se rappeler au bon souvenir de ses amis du parti, au premier rang desquels… Martine Aubry. La maire de Lille, elle, met les bouchées doubles d’ici le vote des militants, jeudi 20 novembre. Objectif : se présenter comme la seule à pouvoir assurer la stabilité du parti et écarter sa grande rivale… La guéguerre n’est pas prête de s’arrêter avec pour enjeu, deux conceptions du Parti socialiste.
Papier actualisé le 10, 18 et 24 novembre 2008.
Lire ou relire sur Bakchich :
Excellent ce titre !
Machiste ? Pourquoi ?
C’est la vérité toute nue et j ene vois rien de sexiste ou de machiste là-dedans. Il faudrait prendre des gants en parlant des dames en politique ? Ce sont les plus farouches combattantes et on ne doit pas toucher ou dire parce que c’est pas bien !
Non mais vous rêvez mesdames !
Durant la campagne de Ségo, elle nous a saoulée avec ses discours ou elle se plaignait de sa condition de femme et donc sujette aux attaques des gens pas bien !
Elle a pas de courage pour affronter ses propres erreurs ? ou ses incohérences ? Il lui faut une porte de sortie à madame ?
Madame Simone Veil, l’ancienne ministre, ne s’est jamais plaint de ce genre de chose et pourtant elle en a prit des coups , des bas et des hauts !
D’accord avec toutes celles et tous ceux qui trouvent ce titre archi-nul.
Chirac-Balladur/ Sarkozy-Villepin/ Mitterrand-Rocard/ Sarkozy-Chirac/ Giscard-Chirac/ Jospin-Fabius (tous deux dans le camp Aubry)/ … Ils se crêpaient quoi ?
Oh pardon… C’étaient des hommes. Donc ils faisaient progresser le débat démocratique…
Personnellement, je ne pense pas que les femmes (hommes) soient meilleurs(e)s que les hommes (femmes). On trouve de sacré(e)s c…. dans les deux camps. N’est-ce pas Marion ?