Plus de 5 millions de fonctionnaires sont appelés à manifester ce mardi, l’occasion pour les syndicats de donner de la voix avant la grande mobilisation du 17 juin. L’occasion pour « Bakchich » de revenir sur une idylle de plus en plus intense entre l’Elysée et la CGT, comme l’expliquent les militants de FO (voir la vidéo ) et de Sud (Lire dans Bakchich « La CGT n’a plus la culture des luttes »)
« Est ce que cela ne vous gêne pas que Nicolas Sarkozy dise autant de bien de vous ? » A cette question qui lui était posée, le lundi 9 juin sur France Inter, Bernard Thibault a immédiatement botté en touche. Un deal avec le gouvernement ? Mais vous n’y pensez pas : « De la science fiction », explique à Bakchich un des principaux conseillers du patron de la CGT. L’hypothèse d’un compromis historique entre le gouvernement actuel et le premier syndicat français, 660000 adhérents, est tout sauf absurde. « Tout comme Nicolas Sarkozy, la CGT aime les postures fortes, voire caricaturales », explique le consultant Henri Vaquin, spécialiste reconnu des relations du travail. Et d’ajouter : « Dans leurs discours respectifs, l’Elysée et les militants cégétistes ne font pas preuve de nuances. Mais dans les faits, ils se montrent beaucoup plus souples ».
Coté Sarko, cette souplesse est de mise depuis le passage du chef de l’Etat à Bercy. Là, le ministre des finances qu’il fut copine avec le leader de la CGT Energie, l’incontournable Imbrecht, qui passe – tiens, tiens- pour le possible successeur de Bernard Thibault. On se tutoie, on échange les numéros de portables et surtout on négocie le maintien de l’Etat au capital de gaz de France. Et au besoin, le leader de la CGT présente au ministre Sarkozy ses amis algériens de la Sonatrach, candidat possible alors à un rapprochement avec l’industrie gazière française. Nicolas Sarkozy à l’Elysée, plusieurs de ses proches le poussent à maintenir le contact avec la CGT. Qu’il s’agisse de son conseiller social Raymond Soubie, ou de son Premier ministre Fillon, conseillé à Matignon au sein de son cabinet… par un proche de Soubie. Sans parler du bouillant Henri Guaino, qui a toujours cultivé les liens avec la CGT dans son espoir de devenir, un jour, le patron d’Edf.
L’Elysée veut d’autant plus conforter la CGT que l’hypothèse d’une crise sociale majeure, à la rentrée de septembre, n’est pas exclue. « Reprise de l’inflation, érosion du pouvoir d’achat, allongement de l’age de la retraite, confie-t-on à Bakchich au Château, la situation va être explosive ». Bien vu ! Et en effet, la forte mobilisation attendue pour les grèves du 10 et du 17 juin en témoigne.
Coté CGT, Bernard Thibault a également besoin d’une certaine bienveillance gouvernementale. « Nous n’avons pas l’objectif de battre le gouvernement », explique, le 4 juin dans le Monde, Jean Christophe le Duigou, numéro deux de la CGT. « Nous n’avons pas de stratégie d’opposition systématique, comme les gens de Sud », expliquait, à la sortie du conseil exécutif de jeudi, un des cinquante délégués. A cette modération, une raison stratégique : les dirigeants de la CGT sont en effet obsédés par l’idée de mettre fin à l’émiettement syndical. D’où la nécessité de négocier avec le pouvoir de nouvelles règles de représentativité qui leur ferait la part belle. Ce qui fut amorcé lors de la position commune, qui vient d’être signée entre le Medef, la CFDT et la CGT. Et cela, avec la bénédiction du gouvernement. Pour montrer sa bonne volonté, Bernard Thibault a largement sauvé la mise du gouvernement qui commençait à affronter une grosse mobilisation sur les régimes spéciaux de retraite. En proposant de s’asseoir à la table des négociations, la CGT a ouvert une porte de sortie à François Fillon. Des gestes qui entretiennent l’amitié.
Mais ce positionnement consensuel fait grincer des dents en interne. « Il faut aller vers le réformisme, dit-on au siège à Montreuil, mais sans faire craquer la baraque ». Ces derniers jours, les oppositions ont été d’autant plus fortes au sein de la CGT que le gouvernement a porté un sérieux coup de canif au compromis passé avec Bernard Thibault. A l’Assemblée, la majorité UMP a fait voter un texte qui permet aux entreprises de négocier la durée de travail sans accord avec les gros syndicats CGT et CFDT. D’où le sérieux refroidissement des relations CGT-Elysée ; d’où également l’appel à une vaste manifestation, le 17 juin prochain, dont la grève de ce mardi est une répétition générale. Les plus belles idylles sortent renforcées par quelques tensions. À condition que les retrouvailles ne tardent pas trop.
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LES AMOURS DURABLES ENTRE PARISOT ET BERNARD THIBAULT
Après le 10 juin, voici le 17. Nouvel appel à la grève de la CGT et de la CFDT contre le gouvernement, mais cette fois-ci avec l’appui du MEDEF. Pendant ce temps, la CGC et l’UNSA se rapprochent, les laïcs de FO et les chrétiens de la CFTC aussi. Quand on est comme moi militant syndical (à la CFDT…), on n’y comprend plus rien. Pourtant le jeu est clair : c’est un jeu d’appareil.
En rédigeant la position commune, Laurence Parisot n’avait qu’une idée en tête : faire entrer la CGT dans le camp des réformistes, comme la CFDT l’est devenue en évacuant les opposants à la ligne confédérale. Depuis 20 ans, la CFDT a empoché les dividendes de l’alliance avec le MEDEF, comme les présidences de l’UNEDIC et de la CNAM, entre autres. Qu’a-t-on promis à Bernard Thibault ? Pour réussir, il fallait évacuer les trois autres. C’est chose faite depuis le 9 avril, au-delà même des espérances du gouvernement, qui a encouragé la recomposition syndicale. En annonçant qu’il signerait la position commune, le négociateur CFTC, candidat au poste de Secrétaire général au prochain congrès, donnait à Chérèque le premier signe d’une réunification de leurs deux organisations. Quant à la CGC, elle bénéficiait d’une clause rédigée exprès pour elle dans l’article 4 de la position commune pour la convaincre de signer aussi. Mais le schéma Parisot-Thibault n’a pas fonctionné :
le gouvernement a profité de la position commune pour attaquer les 35H, et la grève du 17 juin n’est qu’un baroud de façade. Thibault et Chérèque ont déjà vendu les 35H sur l’autel de leur représentativité,
la CGC et la CFTC n’ont pas suivi la voie traçée par Chérèque : l’une flirte avec l’UNSA, l’autre avec FO.
Morale de l’histoire : le syndicalisme d’aujourd’hui est pensé par des hommes d’appareil, sur fond d’ambitions personnelles et de rapports de force au sommet.
Dans les dernières années de sa vie, Joseph T., ancien mineur, ancien syndicaliste CGT, fut un compagnon de route de l’union locale CNT de Béthune.
Il fut un peu plus tôt une des taupes des RG au sein de la Gauche Prolétarienne.