La presse n’a pas perdu tant de lecteurs. Elle souffre aussi des réseaux de distributions parallèles, qu’étrangement, elle ne veut pas dénoncer. Histoire de ne pas déranger ses distributeurs.
Tout à son rôle de grand ordonnateur de la presse française, Nicolas Sarkozy n’a oublié personne lors des Etats Généraux de la presse. Et surtout pas la France qui se lève-tôt, trime au boulot et se retrouve pourtant palotte. À savoir pour la presse, les kiosquiers, qui vendent et distribuent les écrits. Le dernier maillon de la chaîne avant le lecteur.
Notamment une exonération de 30 % de leurs cotisations sociales personnelles, soit en moyenne 4 000 euros par exploitant, et par an. En attendant mieux et à ajouter aux aides annoncées par les NMPP. 5 millions d’euros en janvier, 5 millions d’euros en juillet.
Un peu de beurre dans des épinards bien secs, tant des marchands de journaux que des éditeurs de presse, soumis à la crise. Et à une concurrence déloyale. Attention scoop, messieurs les journalistes, messieurs les patrons de presse, rassurez-vous, le lectorat ne boude pas. Et ne déserte pas les pages des journaux. Enfin pas autant que ce que l’on croit.
Non, le monde de la presse est largement frappé par un autre phénomène, les faux-kiosquiers. Comprendre : des petits garnements qui chapardent les journaux à la sortie des imprimeries, voire des dépôts de presse. Et les refourguent à des prix bien plus bas que ceux indiqués sur les unes des hebdos, quotidiens, voire mensuels, à des kiosquiers complices. Ou les revendent eux-mêmes.
Limite pervers, les kiosquiers complices renvoient même aux NMPP, plus gros distributeur de la presse, leur invendu-volé… Et se les font donc payer.
Bref, distributeurs et éditeurs de presse se font escroquer en aval, et en amont.
À l’occasion, ces petits réseaux qui bénéficient de complicité à la fois dans les imprimeries de journaux, les dépôts des NMPP et chez les kiosquiers, se font alpaguer par la police.
En septembre prochain et durant dix jours, une quarantaine de prévenus vont passer en correctionnelle à Paris pour avoir barboté un grand nombre de publications en région parisienne, entre 2000 et 2004. En langage juridique, cela se traduit par « vol en bande organisée, recels habituels en bande organisée », si l’on en croit l’ordonnance de renvoi, signée par le juge Sophie Clément, le 7 janvier dernier.
Et les parties civiles se bousculent aux portillons. Tout ce que compte la presse parisienne ou presque. De l’Equipe au Canard Enchaîné, du Figaro à Libération, du Nouvel Obs au Point, des Echos à VSD : toute la grande famille de la plume se trouve réunie. Aux côtés de NMPP, de la société de presse Paris services et de Transports presse (deux sociétés qui transportent les journaux).
Sans trop faire de barouf autour de l’affaire ou une quelconque publicité à cette organisation fort bien rôdée, qui a fonctionné de 2001 à 2003.
Jusqu’à ce qu’une information confidentielle sur un vol de journaux, au préjudice du Figaro, dans son imprimerie de région parisienne, déboule sur la table des flics du VIIIe arrondissement parisien le 15 mai 2003. S’ensuivent filatures, perquisitions, remontées de la filière. Une sorte de chasse au trésor pour les flics qui reviennent la besace chargée de cadeaux. Des « paquets de revue de presse » sont saisis du côté de Saint Ouen, dans un magasin, où les poulets assistent à un ballet de « plusieurs véhicules pénétrants et sortant du magasin, chargeant et déchargeant des journaux ».
Sont également découvertes « des feuilles et des enveloppes sur lesquelles figuraient des noms et prénoms, ainsi que des indications de lieux, de quantité et de sommes d’argent ». Mieux « était également saisi un pré imprimé reprenant des indications de bordereaux d’envois ». Diantre, les réseaux avaient des complices au sein même des NMPP. Ce que la société concède bien gentiment. « L’origine de l’alimentation illégale des receleurs provenait de différentes plates-formes établies en grande banlieue ». Le loup dans la bergerie.
Sur place, les journaux étaient achetés aux chapardeurs en moyenne 25% de leur prix normal de vente. Puis refourgués aux faux kiosquiers-complices à 50%. Et les marchands de journaux les mettaient en vente à plein tarif, ou comme le concède l’un des kiosquiers mis en examen, « retournaient les invendus aux NMPP ».
Le tout le plus normalement du monde. Nul ne nie « l’origine frauduleuse » des journaux saisis. Ni les kiosquiers, puisqu’« il était parfois indiqué sur les paquets le destinataire originel ». Ni les responsables d’imprimerie complices. « Cette pratique appelée échange était connue et admise ». Une tradition de la maison dont « la structure syndicale en place » serait « complice et bénéficiaire des détournements ».
Simple coup de pied de l’âne d’un pauvre hère pris la main dans le sac. Pas sûr. Étonnamment, sitôt la belle organisation démantelée, les journaux lésés « avaient constaté une augmentation des ventes de leurs journaux d’environ 3000 exemplaires par jour (Figaro, Le Monde, France-Soir) » pour finalement s’étonner d’une baisse progressive à compter de septembre. Comme si une nouvelle équipe s’était mise en place. Et effectivement, le 11 juin 2004, un nouveau coup de filet a eu lieu… Ad libitum. D’autres réseaux existent et communiquent. Et l’approvisionnement en journaux ne se tarit jamais, soit via « d’employé d’entreprises de presse (…) soit au travers d’échanges avec des réseaux similaires aux leurs ». Au moins la presse fait-elle encore gagner de l’argent.
« Une vingtaine de prévenus sont renvoyés devant la cour. Ils avouent avoir gagné autour de 1 200 euros par mois. A priori c’était le double, souligne un connaisseur du dossier. Multipliez ça par le temps d’existence de ce réseau et vous avez approximativement le montant des pertes pour les parties civiles ». Au débotté entre 1,5 et 2,5 millions d’euros. Des sommes substantielles concèdent quelques avocats de la partie civile.
A l’instar de leurs clients, les grands journaux, les conseils évitent de faire beaucoup de publicité autour du dossier. Et d’un réseau qui leur fait sensiblement baisser ventes et recettes. Pas si étrange. Expliquer qu’une partie du système de distribution français est viciée, de l’intérieur risquerait de froisser les susceptibilités. Des kiosquiers, des imprimeurs, voire des distributeurs, au sein desquels se nichent des complices du trafic.
Et les indisposer comporte un gros risque pour les patrons de presse. Que leurs écrits ne soient plus diffusés. Avec un manque à gagner bien plus important. Mieux vaut, dès lors rester discret. Et éviter que le dernier maillon de la chaîne ne vienne à s’embraser.
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