Pas invité, Bakchich ne sera pas présent à l’appel pour la liberté de la presse et à la petite sauterie donnée au théâtre du Châtelet, ce vendredi 30 janvier.
Les repas où l’on n’est pas convié sont d’ordinaire difficilement digérés. Voire sujets d’aigreurs. Ou d’ulcères. Critique du menu, remarques acerbes sur les invités qui vous ont oubliés. Et finalement joie raisonnée de ne pas avoir participé au banquet. Jocrisse du journalisme autant que godelureau de l’information, Bakchich n’est après tout que chair et Web. Et quant au menu du 30 janvier, apparaît un petit événement du monde journalistique comme l’appel des six pour la liberté de la presse, la tentation est trop forte pour être repoussée.
D’abord, le plan de table. Six est le chiffre du malin. Et aucun doute, Rue89, Mediapart, le Nouvel Obs, Marianne, Les Inrocks ou Charlie Hebdo font partie de l’espèce des journalistes malins.
Assez déjà pour nous citer souvent, ce en quoi ils ne peuvent qu’être bénis et loués pour les siècles et les siècles. Assez surtout pour surfer sur une vague à peu d’écumes et le nouveau marronnier du quinquennat sarkozien : la liberté d’informer est en danger. En cause, l’interventionnisme présidentiel, les pressions politiques, bref les menaces venues d’en haut, grande nouveauté de la Sarkozie.
Et pas du tout le copinage, l’amitié de certains hommes politiques avec des rédacteurs en chef, des directeurs de publication ou tout bonnement des journalistes. C’est la faute à Sarko un point c’est tout. Ni remise en cause, ni mea culpa. Auto-promo. Et en passant, défense des pauvres rédactions oppressées comme France Télévisions, dont le patron sera désormais directement nommé par le Président, quand il ne l’était qu’indirectement auparavant par le CSA… La droite décomplexée, au moins une promesse tenue par Sarko et ils gueulent. « Mise en œuvre au mépris des droits du Parlement, la réforme de l’audiovisuel public résume cette régression de nos libertés. » Jamais contents les gratte-papiers.
La table dressée au théâtre du Châtelet ce soir, le même lieu que les Césars, difficile pour Bakchich de ne pas pointer les petites piques entre invités. Après tout, non-conviés, nous voilà presque lavés de tout soupçon de partialité.
Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, nous a certes gentiment caressés, pour Noël dernier. En accolant à notre site l’aimable qualification de « collabo » dans son édito de réveillon. Charmante attention. Tout cela pour avoir osé dire que la perquisition et la garde-à-vue dont était victime le journaliste Vittorio de Filippis, aussi ignoble soit-elle, était monnaie courante. Et que les journalistes semblaient le découvrir… Une argumentation reprise par Filippo lors du précédent appel à la liberté de la presse de Mediapart.
Mais après tout, Philippe Val s’avère un compagnon cohérent. Dans son dernier opus, « Voltaire, revient ils sont devenus fous », le chansonnier et entrepreneur à succès, s’est amusé à nous railler. « Bakchich qui actualise et adapte sur Internet les méthodes glorieuses de Je suis partout ». Vexé de ne pas avoir décelé ni rime ni calembours dans ces mots, Bakchich a pris la mouche. Et le mot. Comparé à un journal collaborationniste, antisémite et « poussant les gens au suicide » [1], nous avons porté plainte. Avis aux amateurs, plaidoirie le 30 avril prochain.
Mais les lignes qui succèdent à cette amabilité ne sont pas moins étonnantes. Et sans doute les cosignataires de l’appel l’ont-ils oublié. À moins que les sirènes du marketing ne les aient étouffés. « Malheureusement, ce genre de site d’info sur Internet n’est pas l’exception, c’est la règle. Rue 89 et Médiapart sont deux sites jouissant de la réputation flatteuse, précisément, d’être des exceptions. Quand l’affaire Siné a démarré, Rue 89 a publié un article à charge très violent, répercutant toutes les rumeurs d’Internet. (…) Mais surtout l’article « révélait » qu’il n’y avait jamais eu de menace de procès. (NB : DE JEAN SARKOZY.) Ils ne le supputaient pas, ils l’affirmaient. C’était m’accuser publiquement d’avoir menti à ma rédaction pour arriver à mes fins : virer Siné. Le journaliste de Rue 89 savait parfaitement ce qu’il faisait : en publiant cette « information », il me tuait aux yeux d’une rédaction déjà sous le choc. Son but était donc de faire confraternellement exploser un confrère et de tuer un journal. (…) Quelques semaines plus tard, ils sont revenus à des positions plus modérées. Mais lorsque tout le monde venait mettre son allumette dans l’incendie, tout à la joie du feu, ils sont venus y apporter leur petit bidon d’essence. Mediapart passe pour encore plus sérieux. Ils sont censés avoir une indépendance que garantit leur péage, et un sérieux que leur confère la direction d’Edwy Plenel. (…) Or Plenel s’est fendu d’un éditorial hallucinant où il développe l’idée que le limogeage de Siné est bien la preuve de la reprise en main des journaux par Sarkozy ! (…) Il a inventé son petit complot tout seul dans son coin, et il l’a balancé sur son site Internet. Non content de répandre ce mensonge sur Internet, invité (…) sur France Culture, il continue, en toute innocence (…), à développer sa thèse absurde, diffamatoire, et infamante pour moi et pour Charlie. (…) Désormais, l’homme qui dit « porter la plume dans la plaie » est une des références de la vérité sur Internet, où, faute de plaie, il trempe sa plume dans l’égoût des rumeurs ».
Bref, entre Val, Rue89 et Mediapart, le socle de valeurs communes semble si bien ancré, qu’aller à une même tribune défendre la presse est tout indiqué. Et preuve d’une dignité adaptée.
Ce petit rappel fait, Bakchich, à défaut d’y être convié, espère avoir animé à l’avance le banquet.
[1] selon les propres mots de Philippe Val sur une radio
Un diner sur la liberté où il y a mon camarade Edwy et mon camarade Val, ça ressemble à une réunion de fossoyeurs voulant lutter contre la mort. En ce qui me concerne, j’ai à la maison un bout de jambon, une baguette et du rouge (de chez Legrand) en cubi, je pense que je vais surmonter cette absence du rendez-vous de la liberté. Je pense que mon camarade Monnier n’a pas eu raison de s’étonner de notre absence dans ces agapes. Comme dirait Confucius, on peut rire de toutes libertés mais pas en compagnie de n’importe qui…
JM Bourget