« La bêtise économique » s’annonçait assez régalant au moment où le château de carte de l’immobilier gonflé aux crédits pourris est en train de s’effondrer. En réalité, c’est plutôt fastidieux, les auteurs voient un beauf dans chaque ouvrier et des complots partout.
Contrairement à ce que le titre peut laisser croire, il ne s’agit pas ici de dénoncer le rapport de forces favorable aux proprios plutôt qu’aux prolos, ni le niveau de l’euro et le carcan de Maastricht qui tuent l’industrie européenne, ni le gaz et l’électricité livrés aux actionnaires ; encore moins les banques qui coupent les crédits aux PME, d’un côté, tout en s’apprêtant, de l’autre, à dépecer le Livret A au détriment du logement social.
La bêtise économique dont il est question ici est censée être celle des ouvriers, qui se révoltent contre la fermeture de leurs usines, et des journalistes, quand ils battent le tocsin.
Pour les auteurs - l’une, docteur en histoire, l’autre, en économie, s’il vous plaît ! - « (…) l’élection présidentielle de 2002 a montré, avec la montée en force de l’extrême droite, les désillusions d’un électorat ouvrier attaché avec désespoir au passé qui a fait sa fierté (…) ». Un passé de luttes, soit dit en passant…
Pour nos rebelles, les Français sont soumis aux passions, sinon ils obéiraient à leurs maîtres qui ne cessent d’agiter le principe de l’économiste Joseph Schumpeter : « l’économie ne cesse de détruire et de créer des emplois alors du calme le prolo ! ».
La France des entrepreneurs a raison d’avoir peur, selon nos auteurs à qui on ne la fait pas. « L’opinion, portée tout à la fois par le manque de courage des responsables politiques et l’absence de discernement de la presse, livre l’entreprise aux gémonies souvent, aux lynchages médiatiques quelquefois ».
Ils illustrent leur point de vue, resucé du sens commun éditorial, avec les affaires Lu (plus de 500 emplois supprimés), Metaleurop (plus de 800) et Toyal (plus de 100 en jeu).
Exemple : en 2001, l’ex-maison mère de Lu, Danone a sous-estimé les forces tapies dans l’ombre qui n’attendaient qu’une occasion pour lui coller un boycott dans les pattes : au Monde, des gauchistes veulent régler son compte au gouvernement Jospin ; la CGT cherche à contenir SUD et le PC - forcément archaïques - s’ébroue avant les municipales de 2001. Nos experts sont aussi psychanalystes… et nous l’avaient caché !
Vu ! Ce gros C.V. de 216 pages est destiné aux cadres dirigeants, parmi lesquels se recruteront les futurs clients du cabinet de consultants que dirige l’un des auteurs. Des fois qu’ils rencontrent des difficultés à licencier.
Impassible, tout consultant qui se respecte doit aussi truffer son discours de références intellectuelles. Et que je te cite Freud. Et comme disait Foucault… Et que pensait Hegel ? Et Marx, nom de nom ! Marc Bloch y passe, Pascal et ses « Pensées » aussi. Des rumeurs parcourent les marchés financiers ?
Vite, je te recase Edgar Morin et Jean-Noël Kapferer. Faut pas oublier Debord, mais la parole est à Bentham. Heu, Adam Smith I presume ? Et que je te refourgue Nietzche, Keynes, Braudel et j’en passe ! Pitié ! Les experts ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
Un consultant qui se respecte ne peut être ni de Droite, ni de Gauche. Mais, il peut cirer sans vergogne les pompes d’Olivier Pastré, le directeur de collection qui publie le livre. Ce dernier est aussi membre du Cercle des économistes, un think-tank qui n’est pas trusté par des experts en rupture de ban [1].
Enfin, comble du comble, les auteurs remercient Eric Leboucher qui fait « tant pour protéger chacun de la bêtise économique ». Ce journaliste du Monde, a réclamé, il y a quelques mois, un plan Power 8 à l’échelle de la France, du nom du plan de licenciement imposé chez Airbus alors que les carnets de commandes sont pleins et que ses actionnaires préfèrent passer pour incompétents plutôt que pour malhonnêtes.
Quitte à analyser le rôle des journalistes économiques et le discours économique comme nouvelle religion, mieux vaut se plonger dans les ouvrages des sociologues Julien Duval et Frédéric Lebaron [2]. Le lecteur peut ensuite chanter Le Père Duchesnes sous les fenêtre de nos tartuffes : « Bourgeois, nobles et prêtres (les intellectuels à gages de l’époque) méritent la lanterne, méritent la lanterne, méritent la lantêêêrneuuuuu ! »
Lire ou relire sur Bakchich :
[1] Voir Tous les médias sont-ils de Droite ?, Mathias Reymond et Grégory Rzepski, Acrimed, Syllepse..
[2] Critique de la raison journalistique, Julien Duval, Le Seuil, Collection Liber, 2004 et La croyance économique - les économistes entre science et politique, Frédéric Lebaron, Le Seuil, Collection Liber, mai 2000
Mon très cher Olivier,
Je suis attristé de voir que pendant toute cette période estivale vous avez trouvé de nouveaux visages du "tout consultant" et avez persévéré, non sans un certain essoufflement, dans votre mitraillage à boulets rouges sur ce livre et sur ses lecteurs.
Pour ma part, j’en resterai là, ne sachant plus comment vous convaincre d’écouter d’autres arguments et de modérer ne serait-ce qu’un peu, votre jugement.
Votre bien aimé Gorgias.
Visiblement, vous n’aimez pas que l’on bouscule un opuscule. Question finesse, votre retour à l’envoyeur se pose un peu là, mais les arguments sont quelque peu absents.
Les éléments relevés ne vous posent donc pas de problèmes, ce ne sont que des élucubrations d’"apprenti gauchiste" ? Votre posture de défenseur de la finesse manque est très crédible.
Le ping-pong continue donc : lisez donc les œuvres de la grosse poignée d’intellectuels convoquée pour donner un vernis de respectabilité avant de trouver que La Bêtise économique analyse finement qqch.
Les livres analysant le rôle de la presse ou des économistes ne manquent pas ; j’en ai donné deux exemples, excellents à mes pauvres yeux de "commandités", comme vous dites si "finement". Sur les restructurations d’entreprises, vous avez "Retour sur la condition ouvrière" et "Violences urbaines, violences sociales", fruits d’une enquête de terrain de 15 ans sur les usines Peugeot à Sochaux.
Cher adepte de la nuance,
D’abord, veuillez recevoir toute l’expression de ma sympathie après cette épreuve, qui j’en suis sûr a dû être très éprouvante.
Ensuite, séparons, si vous le voulez bien, le scandale Metaleurop de la manière dont il a été relaté dans ce livre.
Enfin, admettons que nous tombions d’accord sur l’intérêt, très relatif selon moi, de cet épisode, cela remettrait-il en cause les critiques formulées contre ce livre ?
Pour moi, l’épisode Toyal est plus intéressant. Le livre touche souvent au comique. Les seules fois où cela paraît volontaire sont les rappels des déclarations tatarinesque de notre ex-futur-président-du-pouvoir-d’achat en faveur de notre industrie.
L’ouvrage reste néanmoins à mes yeux un radeau de la Méduse sacrément chargé, branlant et dont la vigie ne verrait point de voile à l’horizon.