« Klang ! » faisait le tendre ou fatal message envoyé par pneumatique. Aujourd’hui même il ne nous reste plus que le choix de notre sonnerie téléphonique…
La dernière chose que j’ai reçu par pneumatique, c’est une boite de cachets d’aspirine. Dans certaines pharmacies, les médicaments voyagent de la réserve au comptoir par ce circuit complexe de tubes dans lesquels un courant d’air les propulse comme jadis, sous les pieds des parisiens, il propulsait de bureau de poste en bureau de poste un des milliers de messages urgents écrits sur des formulaires bleus qu’on appelait des « pneumatiques ». Ils arrivaient à toute vitesse, avec un grand « klang ! » qui faisait sursauter l’employée des postes. On se hâtait de le délivrer d’une sorte de capsule assez ressemblante à deux demi obus raboutés, avec des garnitures de caoutchouc pour amortir les chocs. Les « petits bleus » étaient ensuite, comme les télégrammes, pris en charge par un cycliste qui, à toutes pédales, fonçait les remettre en mains propres au destinataire. Lequel gratifiait généralement cet Hermès d’un pourboire. Et le coursier revenait au bureau de poste en musardant de café en café.
Toute une mythologie s’est construite autour des « télégraphistes », qui étaient toujours « petits », comme si ce service avait vocation a être assuré par des nains ou des jeunots. De fait, j’ai le souvenir de télégraphistes adultes, mais de télégraphistes vieux, non. Ils n’existaient pas véritablement en tant que tels, et c’est à peine si on pouvait en forger le concept. Sauf en zone rurale, peut-être, où l’on sonnait le facteur (éventuellement vieux) pour remettre le télégramme, à moins que le receveur des postes ne s’en charge personnellement. Il est vrai que le télégramme avait une toute autre importance sociale que le « pneumatique ». Il annonçait typiquement d’affreuses nouvelles, une mobilisation générale, un décès, un accident, l’arrivée de cousins inattendus, toutes choses qui, par courrier, auraient mis un temps considérable à cheminer, et auraient perdu tout leur sel en arrivant après l’enterrement ou le train du mardi à 8h54. On recevait aussi par télégramme de rares bonnes nouvelles : l’admissibilité à un concours des Grandes Écoles, par exemple, au temps où l’ascenseur social fonctionnait et propulsait à la rue d’Ulm un Farigoule issu de Saint-Julien-Chapteuil ou un Pompidou natif de Montboudif, pour qu’il deviennent Jules Romains ou banquier chez les Rothschild… De nos jours, entre membres de conseils d’administration, un simple coup de fil permet de garantir au spermatozoïde bien né un job cohérent avec les mérites de papa. Autant dire que le télégramme, à l’heure d’Internet, serait aussi obsolète que la promotion par l’étude, l’équation et la version latine.
Plus futile, le « pneumatique » avait, comme son nom peut le laisser entendre, la grâce des courants d’air. Les amoureux en faisaient grand usage, pour tricoter des rendez-vous et s’assurer mutuellement de la constance de leurs sentiments. L’avantage de ce billet, outre son prix modeste, était sa relative discrétion, puisque l’amoureux écrivait de sa main les confidences indispensables qu’il souhaitait transmettre dans l’heure à sa dulcinée. Par lettre, cela prenait deux jours, et l’amour est un sujet qui appelle un prompt traitement. Plus littéraires, mais lentes à tomber dans la boite, les lettres d’amour prennent vite des fadeurs de viande froide, surtout quand on les relit cinq ans plus tard. De toute manière, elles sont généralement trois fois trop longues, et, pour cela, versent dans la banalité, le truisme, le gnan-gnan et les amphigouris ; le pneumatique imposait une saine concision. Et puis le dring-dring imprévu de la sonnette, le télégraphiste solennel ou goguenard, la remise de la main à la main, la recherche fiévreuse du pourboire, le pli que l’on ouvrait d’un coup d’ongle… Une petite dramaturgie bien douce pour les cœurs d’artichaut, si parisienne, si romanesque, si poétique, au cœur d’une ville qui avait encore des ouvriers à tous les étages, des nids d’amours romantiques sous les toits, des concierges dans l’escalier, des romances sous les ponts, des bistrots aveyronnais et même des librairies et des merceries, c’est vous dire si je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne risquent pas de (re)connaître.
Un sketch fameux, mais ressassé, d’Yves Montand et Simone Signoret a fait un sort au télégramme, assassiné par les dames du téléphone (dont les gazouillis enchantaient Proust, à l’époque où elles étaient encore aimables et mystérieuses), puis par le téléphone lui-même grâce à une idée admirable des PTT : puisque le télégramme avait pu être rédigé par téléphone, pourquoi ne pas tout simplement le faire lire au téléphone par une préposée ? Si l’on y réfléchit, cette invention atteint les sommets absolus de l’imbécillité. Allez-y, réfléchissez. Vous avez réfléchi ? On est bien d’accord ?
Bah, de toute manière, le temps de ces messages émus, urgents ou fignolés était dépassé. La main ne sert plus à écrire : une fois qu’il a fini de transpirer sur ses copies d’examen, l’homme moderne signe quelques chèques, balance trois banalités au verso d’une carte postale, ne sait pas comment signifier sa sympathie (au point d’écrire couramment : « meilleures condoléances »), bâcle une douzaine de lettres d’amour, et finit peut-être par rédiger ses dernières volontés si son notaire lui vante les mérite du testament holographe. Pour le reste, il a devant lui un clavier, et toute latitude de massacrer l’orthographe en tapant avec trois doigts. Avec le « petit bleu », il fallait choisir ses mots – et même, avec le télégramme, les compter. Cette économie, c’est le commencement du style…
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
J’ai découvert votre beau texte pour avoir voulu lancer un mouvement anachronique dans un endroit de communication virtuelle où il n’a théoriquement pas sa place : Facebook !!! Pour que revive le Petit Bleu.
L’idée m’est venue suite au message d’une jeune amie qui n’avait plus de portable… et a donc lancé un appel "qui m’aime m’écrive"… Mes aînées m’ont parlé avec émotion des pneumatiques. En fait je voulais faire une page pour la renaissance absurde et décalée mais tellement poétique du pneumatique. Si vous êtes sur FB je vous invite à devenir membre d’honneur de notre modeste page. Vous y êtes déjà à travers votre article.