Intrigue autour de la fusion entérinée ce matin entre Suez et GDF, le livre de Joan Condijts et Feryel Gadhoum, « GDF-Suez : le dossier secret de la fusion » sorti récemment aux éditions Michalon, mène l’enquête.
Les actionnaires de Suez se sont prononcés, le 16 juillet, sur la fusion qui leur est proposée avec le joyau GDF, arraché à la couronne d’EDF. Deux journalistes, l’un du quotidien belge le Soir et l’autre du Figaro, ont eu la bonne idée de revenir sur la genèse de l’une des plus importantes sagas industrielles, financières et politiques de ces dernières années. S’y croise une grande partie de la noblesse d’État, issue des grandes écoles, passée par des cabinets ministériels avant de rejoindre la direction d’un groupe du CAC 40. Endogamie, quand tu nous tiens ! Gérard Mestrallet, PDG de Suez est passé par le cabinet de Jacques Delors dans les années 80, et Jean-François Cirelli, passé de l’Élysée à Matignon sous Jean-Pierre Raffarin avant d’atterrir à la direction de GDF.
L’ouvrage montre bien à quel point cette fusion résulte avant tout d’une convergence d’intérêts aussi divers que les ambitions personnelles des dirigeants, d’espérances de gains des actionnaires, et de la volonté politique de créer un concurrent à EDF dans le cadre de la libéralisation de l’énergie. Concrétisée sous la présidence Sarkozy, portée sur les fonds baptismaux par le prédécesseur de François Fillon à Matignon, Dominique de Villepin, la fusion avait déjà failli se faire sous le gouvernement dit de « gauche plurielle » de Lionel Jospin. Au total, le rapprochement entre Suez et GDF est un scénario évoqué par les deux groupes depuis la fin des années 90, sans que les députés aient pu en discuter avant 2006. Et encore : ils sont alors sous le feu roulant des deux groupes et de l’UMP.
Les auteurs montrent aussi que cette fusion puise ses racines dans le rapprochement entre Suez, dont la filiale principale est l’EDF-GDF belge Electrabel, et la Lyonnaise des Eaux. Une guerre d’influence s’est développée entre les deux parties de cet empire dirigé par un français. Dans cette lutte pour conserver le pouvoir, les dirigeants de Suez n’ont pas hésité à brider le développement de leur filiale belge, à procéder à un développement hasardeux de la Lyonnaise à l’international. Dans cette optique, GDF est une manière de conserver le pouvoir de la direction française sur son impétueuse filiale belge.
Toutefois, ce livre ne peut prétendre au niveau des enquêtes sur Vivendi et Lazard par Martine Orange [1] ou sur General Electric par Thomas O’Boyle, [2]. D’abord, parce que, peu à peu, seul le point de vue de Suez s’impose. Plus grave, la parole n’est donnée à aucun syndicaliste. Ensuite, parce que le sujet aurait mérité que plusieurs analyses soient menées : sur la libéralisation des mouvements de capitaux, qui a contribué à pousser Suez vers de très graves difficultés financières autour des années 2002 et 2003 ; sur le bilan des captations des rentes dans l’eau par Suez en France et à l’international ; sur la rente instituée depuis dix ans par la libéralisation de l’énergie à l’international et ses conséquences sur les populations.
Enfin, les auteurs commettent des maladresses. Ils n’hésitent pas à faire de Charles de Gaulle le modèle de l’homme de la « rupture » en matière d’énergie. Cela reste à prouver. Il est encore plus hasardeux de prétendre que Gérard Mestrallet nourrit le projet de mettre la main sur GDF depuis la fusion entre Suez et la Lyonnaise, en 1995. Quelle idée visionnaire ! C’est oublier les nombreuses hésitations stratégiques du groupe qui a cherché à mettre la main sur Air Liquide en 2001, le champion des gaz industriels, avant d’envisager de reprendre le pôle environnement de Vivendi à l’international ou de tenter de prendre pied dans la téléphonie mobile. En dépit des obstacles, il a été, au final, plus simple de faire jouer l’endogamie.
À lire ou relire sur Bakchich :
[1] Albin Michel, 2003 et 2006
[2] At Any Cost : Jack Welch, General Electric and the Pursuit of Profit, Thomas O’Boyle, New York, Alfred A.Knopf, 1998