Pour la tentative d’avortement forcé sur son ex-compagne, Cheb Mami vient d’être condamné à 5 ans de prison. Madame le procureur en avait requis sept, un quantum qu’elle jugeait « à la hauteur des faits imputés ».
Hier à l’audience, le prévenu n’a cessé de se défiler, rejetant la faute sur ses co-prévenus ou surjouant le sanglot pathétique.
« Ce soir-là normalement, je devais loger chez une amie, raconte-t-elle. Hicham Lazaar, le directeur artistique de Mami, m’y a conduit. On y a déposé ma fille de trois ans, et puis il a insisté pour me faire visiter un bungalow en bord de mer. J’ai accepté d’aller voir, me disant qu’avec la petite, ce serait sympa de loger près de la plage » . Camille*, photographe pour l’agence SIPA Presse de 45 ans, est une femme au physique plutôt banal. La silhouette fine et frêle, le cheveu court et acajou, le visage masculin souligné par de sévères lunettes, cette femme revient sur cette nuit du 28 août 2005 à Alger, où elle a subi des actes qu’elle qualifie « de tortures et de barbarie ». Une qualification passible de quinze ans de réclusion criminelle devant une cour d’assises, mais qui n’a pas été retenue par le parquet. Celui-ci a préféré poursuivre Cheb Mami, Michel Lévy, son manager, Hicham Lazaar, collaborateur de celui-ci, et Abdelkader Lallali, son homme de main, pour « violences aggravées ». Pour des raisons pratiques, ce procès s’est pourtant déroulé dans la grande salle d’assises du TGI de Bobigny. Curieux mélange des genres, comme si l’on n’avait pu trancher symboliquement entre le délit et le crime.
Digne, droite comme un i face au tribunal, point d’apitoiement ni de vengeance dans l’attitude de Camille qui dit simplement « vouloir comprendre ce qui s’est passé ». Sur le ton de celle qui a maintes et maintes fois raconté son histoire, elle reprend : « En arrivant au bungalow, Hicham m’a proposé un jus d’orange. Il faisait si chaud, que j’ai bu deux verres, coup sur coup. Un quart d’heure après, j’ai commencé à me sentir engourdie. J’étais tellement dans le cirage, que je ne pouvais pratiquement plus parler ». La victime raconte posément la suite. Hicham qui appelle un taxi – soi-disant pour qu’elle puisse rentrer chez son amie. Elle qui monte dans le véhicule où elle aperçoit Abdelkader Lallali, l’homme à tout faire de Cheb Mami : « Quand j’ai vu Kader, j’ai compris, dit-elle froidement. J’ai su que quelque chose se tramait ». Elle raconte le véhicule qui roule et s’arrête devant une propriété : « J’ai eu le réflexe de regarder tous les détails, de me forcer à les enregistrer ». Et puis, cette pièce avec un « matelas par terre » sur lequel on la « balance ». Cette main qui lui baisse brusquement son pantalon. Ou ces insultes : « Alors, sale chienne ! Tu t’épiles pas la chatte ? »
Sur les heures qui suivront, Camille relate rapidement et simplement : « Deux femmes étaient à califourchon sur moi. Pendant six heures, elles se relayaient. L’une me grattait à l’intérieur, pendant que l’autre m’appuyait sur le ventre. On me faisait régulièrement des piqûres. Un morceau de chair sanguinolente a fini par sortir. Elles étaient silencieuses, elles devaient êtres payées pour gratter et récurer. Kader, lui, rajoutait ses commentaires. Ça a duré comme ça toute la nuit. Au petit matin, ils m’ont remise dans un taxi en me disant : “Tu n’as rien vu, tu ne dis rien, ou l’on s’en prend à ta fille” ».
Le lendemain, Camille saigne, souffre et passe la journée « entre la salle de bain et le canapé ». Le surlendemain, la victime trouvera la force de travailler : « J’ai fait mes photos comme prévu, c’est pour ça que j’étais venu en Algérie à l’origine ». Pour les protéger dans ce pays étranger où « le clan Cheb Mami régnait », il fallait selon elle ne rien laisser paraître.
De retour en France, une consultation chez son gynéco confirme l’hémorragie et les hématomes importants : trente jours d’ITT sont prononcés. L’échographie annonce surtout un miracle : le fœtus de 14 semaines se porte à merveille. C’est la forme particulière de l’utérus de la victime, « rétroversé » selon les médecins, qui a protégé la poche des eaux et donc l’enfant : « Ce petit bébé est parfaitement tonique », lui dit le gynécologue. Mais l’excellente nouvelle ne calme pas l’angoisse : « Au début, je ne voulais pas porter plainte, raconte Camille. J’avais l’impression d’avoir affaire à une importante organisation, presque une mafia. J’avais peur pour moi, peur pour ma fille et peur pour ce bébé qui allait un jour savoir que son père avait voulu le tuer avant même qu’il soit né. Je pensais que le retentissement médiatique d’une plainte ne pouvait que rajouter du drame au drame ».
Pas de plainte, mais Camille cogite : « Je me disais que je n’étais pas un chien, que ce qui s’était passé n’était pas rien, et je voulais qu’il paye, d’une façon ou d’une autre ». Le 6 octobre, un accord est signé entre les partis par l’intermédiaire de Michel Levy, le producteur de Mami. En échange de 30 000 euros, Camille renonce à toute procédure. La victime touche un premier chèque de 5000 €, ce sera le seul. Car cet arrangement décuple la rage de Cheb Mami, persuadé d’être manipulé par Camille, « pour l’argent ». Kader menace à nouveau de s’en prendre à la fille de la victime qui, terrorisée, décide enfin de porter plainte. Le président Jean-Dominique Launay lit ainsi la transcription d’une écoute téléphonique entre la victime et le principal prévenu. Alors que la jeune femme dépose plainte au commissariat, le chanteur l’appelle, refusant d’admettre que la boucherie n’a pas mis fin à la grossesse. Les policiers l’entendent : « Le sang, je l’ai vu, chez moi, ils t’ont grattée avec les doigts, on a rentré les cinq mains, euh, les cinq doigts, on m’a apporté un truc qui ressemble à un foie. T’es une malade, y’a plus de bébé ! »
Pleurant sur lui-même, Cheb Mami le reconnaît : « J’ai fait une faute ». Il se reprend aussitôt et rejette cette faute sur ses comparses : c’est Lévy qui aurait eu l’idée d’un avortement dans une clinique privée en Algérie, c’est ce même Lévy qui aurait suggéré de profiter du voyage professionnel de Camille à Alger pour éviter d’éveiller ses soupçons. Et puis, face au refus de la clinique, c’est Kader qui aurait organisé l’avortement clandestin, embauché les avorteuses et déniché le fameux GHB, cette « drogue du viol qu’on utilise dans les cités ». Enfin, c’est Hicham qui aurait drogué la victime. Lui, Cheb Mami, n’y est pour rien. Sa seule responsabilité peut-être, c’est d’avoir laissé faire : « J’étais pris au piège ». Acculé par le président Launay, il avoue cependant avoir su et n’avoir rien fait. Il avoue que les faits se sont bien passés chez lui. Il avoue avoir tenté à maintes reprises de faire avorter Camille et même de lui avoir proposé 100 000 € pour avorter en Angleterre où les délais n’étaient pas encore dépassés. Cet enfant, il n’en voulait pas : « Par rapport à ma culture, à ma religion et à ma famille, c’était la honte pour moi d’avoir un enfant illégitime – les valeurs, c’est dans mes gènes ».
Les écoutes téléphoniques prouvent que Camille ne lui a pourtant pas fait cet enfant « dans le dos ». Lors d’une conversation enregistrée le 24 octobre, elle lui dit sans qu’il ne la contredise : « On en avait parlé avant, avant que je ne sois enceinte, je ne t’ai pas piégé, on en avait parlé ». À la barre, la victime explique : « Je n’étais pas sous pilule et j’achetais des préservatifs qu’il refusait de mettre. Il savait que nous n’étions pas protégés. Je lui ai même dit à plusieurs reprises que si je tombais enceinte, je garderai l’enfant. Je suis persuadée au fond de moi qu’il pensait pouvoir m’imposer l’avortement ».
* Le prénom a été changé
Lire ou relire sur Bakchich :
Demander de l’argent pour ne pas deposer une plainte penale puis en voyant que l’argent n’est pas verse, porter plainte ?
Cela ressemble a du chantage, non ?
Le GHB a forte dose rends inconscient et amnesique…
Finalement quels sont les elements au dossier :
des conversations telephoniques enregistrees illegalement par la police ;
un temoignage ;
Avec les techniques de police scientifiques actuelles, cela semble un peu leger..
Les 2 femmes mises en cause ne sont pas aux proces ?
Pour le Royaume Uni, les avortements sont gratuits et anonymes en NHS.
Pourquoi proposer 100 000 euros ?
Beaucoup de questions sans reponses…