Suspecté d’avoir vendu des infos sur les enquêtes policières à des barbouzes, un commissaire parisien dort en prison. Au ministère de l’Intérieur, on veut profiter de ces affaires d’officines nauséabondes pour faire le ménage. Mais il n’y a pas qu’à Paris que la maison poulaga souffre de ces procédés douteux. En Suisse, une affaire d’espionnage menée avec l’aide de flics véreux sur l’entourage des patrons d’Elf, le groupe pétrolier bien de chez nous, remonte à la surface.
Rappelez-vous. En 1998, la juge Eva Joly, qui a hérité de l’instruction de la gigantesque affaire Elf, fait office de Nouvelle star ; les Français apprennent à connaître les coulisses de l’exploration pétrolière et du trading de l’or noir. Ils s’ébahissent devant les Berluti de Roland Dumas et les frasques d’une certaine Christine Deviers-Joncour, sa maîtresse dépensière. Les commissions évaporées à l’occasion d’opérations en forme d’usines à gaz se retrouvent à la Une des gazettes et la justice suisse estime qu’Alfred Sirven, l’homme de l’ombre, aurait reçu 150 millions d’euros de pots-de-vin. L’année précédente, un casse a même été commis dans les locaux de la brigade financière, chargée de l’enquête. Du jamais vu.
En novembre 1998, une opération de surveillance et d’espionnage est menée sur des proches du monsieur Afrique d’Elf, André Tarallo et de Jack Sigolet, son bras droit, tous deux installés en Suisse. Grâce à des documents issus du fichier CALVIN, le fichier interne à la police de Genève, dont Bakchich a obtenu copie, une équipe barbouzarde s’est procurée les « état civil », les « historiques permis » et les fiches « véhicule » d’Yves Baeumlin, de Pierre-Yves Gilleron et d’Alexandre Djouhri. Les deux premiers personnages sont des anciens de la DST et ont fondé une entreprise de sécurité à Genève, Intelynx. Le troisième, qui dirige la société suisse DIM, s’est fait connaître depuis par son entregent dans divers réseaux du pouvoir et des affaires. Un autre, Stéphane Valentini, fils d’un homme clé du dispositif financier d’Elf, alors récemment écarté de l’entourage de Tarallo, fait aussi l’objet de ces curiosités déplacées.
Tous quatre ont pour point commun de fréquenter André Tarallo, dit « Tonton », confident des chefs d’État africains et futur condamné du scandale autour du groupe pétrolier. Pourquoi font-ils l’objet d’attentions si pressantes ? Mystère. Contactés par le biais de proches, Djouhri et Valentini assurent n’être au courant de rien. Des rivalités exacerbées dans l’entourage de l’influent monsieur Afrique d’Elf, des règlements de comptes (Jack Sigolet n’avait-il pas eu auparavant des attentats contre ses voitures ?), voire un business lié d’une manière ou d’une autre à l’Angola, ont peut-être suscité des convoitises et ce besoin impérieux de mieux connaître l’emploi du temps et la vie quotidienne de ces messieurs.
Les documents ont tous été extraits des fichiers de la police suisse le 13 novembre 1998. Deux jours avant, le 11, les barbouzes, vraisemblablement sous la houlette d’un certain Jean-Paul C., ont pénétré à l’hôtel Hilton pour assister à la réception donnée par l’ambassadeur d’Angola à l’occasion de la fête de l’Indépendance, munis de fausses cartes de presse. Mais l’une des « cibles » présente s’aperçoit de l’entourloupe, l’affaire aurait failli dégénérer en baston… Le lendemain, le 12 novembre, les barbouzes sont passés au registre du commerce de Genève se renseigner sur les sociétés des uns et des autres. Pendant plusieurs jours, ils surveillent, suivent les uns et les autres, pénètrent chez eux en se faisant passer pour des policiers auprès du personnel pour grappiller des infos. Untel gare sa BMW noire dans le parking Rive-Centre, à 200 mètres de son domicile, notent-ils. Tel autre, vêtu d’un blouson de cuir bleu et de jeans, arrive à midi chez lui et y passe une partie de l’après-midi, rapportent-ils dans leur rapport, photos à l’appui. Concernant une de leur cible, les barbouzes ont reçu pour instruction de « prendre des précautions avec l’individu ». Rien que ça.
La première mission était planifiée pour trois semaines, mais l’équipe de surveillance – réglée environ 4000 euros par jour - reçoit rapidement l’ordre de stopper l’opération. L’affaire appartient désormais à l’histoire. Mais quelques lumières supplémentaires braquées sur la face cachée du scandale Elf, l’une des plus grosses affaires de la République, ne font de mal à personne…
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