Une ferme en Afrique, une guerre civile, une famille en danger. Signé Claire Denis, un poème cinématographique d’une fulgurante beauté. Plus qu’un film, un rêve.
Pas grand-chose à se mettre sous la rétine cette semaine.
C’est la dernière ligne droite avant Cannes, bienvenue dans le désert cinématographique. Pour les chefs-d’œuvre, tu peux maintenant attendre le 12 mai. En attendant, je te conseille deux films. Tout d’abord le sublime A Single Man.
Le premier long-métrage de Tom Ford ? Tout le monde a parlé de la forme, de l’élégance, du style, mais aussi de la pauvreté du fond.
Ford est un metteur en scène, un créateur de forme qui fait vraiment du cinéma. Dès les premiers plans du générique - un homme sous l’eau au ralenti – tu sais que c’est gagné. Avec un cadrage, Ford créé l’émotion. Un plan sur un œil, une bouche, une main et tu plonges dans la mélancolie. La forme est le fond. Sanglé dans son costume-armure, Colin Firth t’arrache des larmes quand il apprend la mort de son amant et demande « Et les chiens qui étaient dans la voiture ? » Un homme en sursis, un homme perdu…
Et l’autre film ?
C’est White Material bien sûr, le nouveau Claire Denis.
Sur un scénario de Marie NDiaye ?
C’est ça. Je n’ai pas lu le scénario, mais j’ai l’impression que Claire Denis l’a complètement réécrit au montage, dissous. Avec Claire Denis, on est dans le pays du cinéma, dans la sidération. Elle filme l’émotion, un continent, les corps, un geste. C’est le règne du polysensualisme, de la sensation, de la poésie en mouvement.
Et l’histoire ?
Un prétexte, une esquisse. Quelque part en Afrique, dans un pays en proie à la guerre civile, une femme, Maria, refuse de quitter sa plantation de café avant la fin de la récolte. Alors que la région s’embrase et que des enfants soldats patrouillent dans la brousse machette à la main, l’entêtement de Maria va mettre sa famille en péril.
Alors ?
Tu te souviens de Trouble Every Day, avec la vampire Béatrice Dalle, ce magnifique conte rouge sang, où l’amour, dévorant, ronge comme une maladie, et où le désir sonne comme une effroyable menace ? White Material fonctionne exactement de la même façon, c’est une expérience hallucinogène, sauvage et belle. On se croirait dans un roman de Duras. La narration tient sur un fil, avec une petite voix qui t’embarque, un personnage débarque, un autre disparaît. Comme dans un rêve. Ce que Claire Denis fait le mieux, c’est t’emporter. Elle filme Isabelle Huppert sur sa moto et tout à coup, elle réinvente le cinéma. Les cheveux au vent, l’air de l’Afrique, la chaleur qui tombe, une main devant le soleil, un ombre sur le visage, un hélico qui plane. Tu as compris que cette femme ne pourra jamais échapper à ce continent mystérieux. Et toi non plus, d’ailleurs.
Et les acteurs ?
Magnifiques. Huppert est impériale dans ce rôle très physique. Nicolas Duvauchelle joue son fils. Tu as l’impression qu’il incarne le fantasme de la réalisatrice qui le cadre torse nu dès qu’elle peut : le personnage le moins inspiré du film.
Et il y a Christophe Lambert.
Tu imagines, le mec qui a tourné dans Vercingétorix, Fortress 28 ou Highlander 53 ! Et tu sais quoi, il est simplement prodigieux. Comme quoi, Claire Denis est sacrément douée.
White Material de Claire Denis avec Isabelle Huppert, Christophe Lambert, Nicolas Duvauchelle, Michel Subor. En salles.
Tête de turc Fatigué d’enchaîner les daubes, Pascal Elbé, acteur pas vraiment passionnant, réalise un premier long-métrage sec et ambitieux qui louche du côté de Collision de Paul Haggis. On y croise un médecin urgentiste, son frère flic, une racaille de banlieue, un veuf. Servi par une pléiade d’acteurs en ébullition, un polar social fort comme un uppercut, polaroïd d’une France en plein chaos.
Dragons Pour devenir un membre à part entière de sa tribu, Harold, jeune fils d’un chef Viking, doit tuer un dragon. Serial malchanceux, gaffeur, Harold blesse et apprivoise une de ces bébêtes énervées et va prendre son destin en main. Film d’animation 3D en relief, Dragons est la nouvelle pépite des studios DreamWorks (Shrek, Madagascar), bourrée d’humour et de séquences de vol à dos de dragon absolument époustouflantes. Un régal.
Lifeboat (reprise) Un navire américain est coulé par un sous-marin allemand. Neuf survivants parviennent à monter dans un canot de sauvetage. Parmi eux, un nazi. Écrit par John Steinbeck et Ben Hecht, un huis-clos en pleine mer goupillé par Hitchcock.
Manolete Le nanar de la semaine. Gominé, les yeux d’un Droopy neurasthénique, Adrien Brody tente de se faire passer pour le célèbre toréador Manuel Rodríguez Sánchez, dit « Manolette » et tombe amoureux de la très olé olé Penélope Cruz. Le néant cinématographique.