Wade l’avait annoncé : Idrissa Seck réintègre son parti, le PDS… mais il reste néanmoins toujours candidat à l’élection présidentielle, contre son vieux mentor…
Sept heures, la nuit tombe le vent soulève le sable. L’heure est aux gazelles. 0,8 litres de fraîcheur alcoolisée pour quatre cents francs CFA. Pas de chance, c’est aussi le moment où les politiques se réveillent. Le directeur de campagne d’Idrissa Seck notamment. « Venez à son domicile, demandez aux taxis, ils connaissent ». Ben voyons, Dakar, quasi deux millions et demi d’habitants, des milliers de taxis et tous connaissent la maison de l’ancien Premier ministre. Après tout qui ne tente rien….
Une épave s’arrête. Au volant, un vieillard édenté et encaftanné. Déjà prêt pour l’au-delà. Un regard un peu trop voilé pour être d’une acuité parfaite. Trois mots de wolof, histoire de faire baisser les prix. Il connaît. M’enfin. À croire qu’avoir été l’âme damnée de Wade, son fils spirituel disent les plus respectueux, pendant vingt ans, semble procurer une certaine notoriété. Et le statut de martyr du wadisme, décerné après son passage en cabane, a dû améliorer encore sa popularité.
La bicoque n’a rien d’extraordinaire. Deux étages et une cour certes, mais pauvrement décorée. Humblement, selon ses thuriféraires. Un gardien, de sa loge, me dévisage. Vient le préposé à ma réception, ledit Thionguane. Homme rabelais, encravaté et peu souriant. Ce 31 janvier au soir, il a de quoi être heureux pourtant. Deux semaines que le pays attends que son leader parle de ses rencontres diurnes avec Abdoulaye Wade. Même l’actuel Premier ministre Macky Sall a reporté sine die sa grande conférence de presse, ce jour. Avec le ministre Ousmane Ngom et le président de l’Assemblée nationale, le toujours directeur de campagne du candidat Wade a été convoqué au palais présidentiel. Juste au moment où Seck en sortait.
Sans rien dire Sourire convenu, puis léger soupir. « Oui, nous aussi on attend qu’il parle », avoue Thionguane. « Mais il nous a rassurés. S’il va à la présidence c’est pour discuter de son départ ». Et au passage, se faire blanchir par le président, devant la presse, de tout soupçon dans l’affaire des chantiers de Thiès, humilier les faucons du palais qui ont juré sa perte et récupérer son passeport diplomatique. Précieux sésame. Désormais, « Idy » peut voyager… et rapatrier son grisbi disséminé entre Europe et États-Unis, et notamment en France. Jusque là un sans faute pour « Brutus » dans ses négociations face au père. D’autant que son garde du corps, emprisonné à Saint-Louis, est sur le point d’être libéré, comme Bara Tall. Accusé de faux, usages de faux et escroquerie, le président de la filiale Sénégal du constructeur de BTP Jean Lefebvre a croupi en cabane trois mois. Avant d’être libéré, le jour de la dernière audience entre Wade et Idy, jeudi 1er février. Sans doute un hasard. « Il a compris le message des Sénégalais qui s’inquiétaient de ces entrevues. Mais qu’ils sachent que nous ne rejoindrons pas Wade et que nous marcherons avec Aar Sénégal vendredi ». Raté. Les directeurs de campagne font de mauvais prophète.
Jeudi 15 heures, Idy parle enfin. « Je maintiens ma candidature et je compte bien battre Wade ». Soulagement pour ses proches. « Mon parti et ma famille ont toujours été le PDS ». Champagne au palais présidentiel. Tout le monde il est beau (version de la chanson de Zazie en wolof assez hallucinante) ? Non. « La marche de l’opposition ce vendredi n’a aucun sens […] La coalition Jamm-Ji (qui regroupe Seck, la LD/MPT et le PS) n’a un sens que pour les législatives ». Les alliés de circonstance apprécieront. « Je l’ai dit dès le début, ce n’était qu’une histoire d’argent, ils gèrent juste leurs fonds ensemble », s’énerve déjà Amath Dansokho, l’un des leaders de l’opposition. Si le nounours à la voix fluette, orateur au débit incontrôlable s’emporte souvent, son analyse rejoint celle de la population. Et, pour la première fois en deux semaines, Ngorsi (le gars) Seck a peut-être perdu l’avantage sur Gorgui (le vieux) Wade.
En louvoyant trop. « Seck donne l’impression de ne pas savoir ce qu’il veut, glapissent les habitués du palais. L’opposition va lui tomber dessus, la population se sent trahie. Le Vieux a encore réussi un coup. » Jusqu’au prochain sursaut de la télénovela Wade-Seck, couple fort instable. « Les deux doivent se retrouver, ne serait-ce que pour ne pas vexer les marabouts qui les réunit. Reste à savoir quand ». Avant l’hypothétique élection du 25 février, dans un entre deux tours, sur un éventuel report de 18 mois des élections assorti d’une démission du président au profit d’Idy ?
Un luxueux bureau, au quatrième étage du building administratif, les jambes de Me Madicke Niang, ministre de l’Énergie, sont prises de frénétiques convulsions. L’avocat de Me Wade est pourtant fatigué. Depuis le début de la semaine, les réunions au palais présidentiel se sont multipliées. Une lassitude béate sur le visage. « Il a parlé », prévient-il. Ses missions de bons offices auprès de Seck n’ont pas été vaines. « Désolé, s’excuse le maître des lieux, je dois à nouveau me rendre au palais ». L’équation Seck en partie résolue, reste à gérer l’opposition. Et son mot d’ordre, qui résonne dans les taxis de Dakar. « Tous sauf Wade ».