Seafrance, la compagnie de ferries transmanche, premier employeur privé de la ville, est au bord du dépôt de bilan. La direction a fixé au 30 septembre un ultimatum pour que les syndicats acceptent un plan de redressement.
Calais, son port, ses clandestins. Pour ces derniers, Eric Besson, notre philanthrope ministre de l’Intégration et de l’Identité nationale, avait, le 22 septembre, sorti sa panoplie répressive pour évacuer les migrants de leur « Jungle ». Pour le port, la question de son avenir économique ou du moins celui de la dernière compagnie française, Seafrance, à assurer encore la liaison avec l’Angleterre va se jouer dans les prochaines semaines. Un enjeu énorme pour la ville déjà frappée par un fort chômage puisque la compagnie transmanche qui compte quelque 1500 salariés est le premier employeur privé.
La direction de Seafrance a fixé aux organisations syndicales un ultimatum au 30 septembre pour accepter le plan de redressement de l’entreprise qui perd, selon ses chiffres, près de 100 000 euros par jour.
Sinon, affirment les dirigeants de l’entreprise ce sera la liquidation judiciaire. La SNCF actionnaire à 100% de l’entreprise a laissé entendre que faute d’accord, elle ne remettrait pas une fois de plus la main au portefeuille pour sauver sa filiale hautement déficitaire de la faillite. Ce plan qui prévoit la suppression de 543 postes a été jusque-là retoqué par la CFDT majoritaire. Le syndicat, rejoint par la CGT conteste le bilan économique désastreux dressé par la direction. Et avance que, malgré un cru 2008 difficile, la compagnie est viable.
« Vous avez déjà vu une filiale de la SNCF déposer le bilan, vous ? » lance, serein, Didier Capelle ancien délégué syndical CFDT, officiellement en retraite mais toujours à la manœuvre. Pour lui, comme une grande partie des salariés de l’entreprise, il s’agit simplement de faire passer aux forceps un plan social pour vendre la compagnie dans les meilleures conditions. Il ne croit donc pas à l’ultimatum du 30 septembre : « La direction en avait déjà fixé un fin août, et puis…Rien », souligne « C’est une partie de poker menteur » renchérit de son côté l’ancien maire PC de Calais, Jacky Hénin. « Seafrance n’est pas plus en difficulté que les autres compagnies maritimes en ce moment. La SNCF ne peut pas, d’autre part, se désengager puisque la liaison avec l’Angleterre est une mission de service public ».
Un discours accueilli avec un brin de sarcasme par la direction. « S’ils se croient immortels, tant mieux pour eux. Nous savons, nous, que la compagnie est proche du dépôt de bilan et que, quelle que soit la bonne volonté de la SNCF, Bruxelles ne permettra pas indéfiniment ces entorses à la libre concurrence », affirme un cadre dirigeant préférant rester anonyme. La compagnie était déficitaire de près de 20 millions d’euros en 2008. Le ralentissement du trafic du à la crise ( le fret a baissé de 20% l’an passé) mais aussi l’acquisition ces dernières années de nouveaux ferries ont plombé les comptes. Alors que pour beaucoup de salariés, il ne s’agit là que d’une mauvaise passe que la compagnie devrait pouvoir dépasser, pour Pierre Fa arrivé à la tête de l’entreprise il y a un an, la situation est beaucoup plus grave.
Son entourage pointe aussi la gestion hasardeuse de ces dernières années, dénonçant le poids acquis par le syndicat majoritaire, la CFDT, qui a eu pendant longtemps la haute main sur les embauches. La question des recettes des ventes à bord est également un sujet de litige, la direction regrettant une certaine « évaporation », quand côté salariés, on rappelle les usages en vigueur dans la marine. Ces derniers mois, le climat social dans l’entreprise s’est considérablement dégradé. « La direction nous harcèle. Elle envoie des fax à bord depuis des semaines pour annoncer le dépôt de bilan. Beaucoup de salariés sont en dépression. », raconte un steward à bord du Berlioz. Les propositions de reclassement, 413 postes à la SNCF, ne les emballent guère. « On annonce chez eux des milliers de postes supprimés dans le fret, alors je vois pas comment ils pourraient nous recaser », s’étonne un marin. « Je suis steward, vous croyez que j’ai envie d’aller casser des cailloux à Lyon ou je ne sais où… ». Affaire à suivre.
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