Le très médiatique procès du braqueur Antonio Ferrara a permis d’attirer l’attention sur les conditions de détention des détenus particulièrement surveillés et sur l’état des prisons françaises.
D’incidents d’audience en incidents d’audience, le procès Ferrara prend l’eau. La défense d’Antonio Ferrara - jugé pour son évasion de la prison de Fresnes en mars 2003 par la cour d’assises de Paris - vient de signifier à la cour une requête en suspicion légitime. Pour les avocats, « l’administration pénitentiaire relevant du pouvoir exécutif a créé les conditions d’un procès inéquitable de nature à entraver l’indépendance de la Cour ». Ils demandent la suspension du procès et le renvoi devant une nouvelle juridiction. Parmi les arguments développés dans le document que Bakchich a pu consulter, figurent les conditions d’isolement d’Antonio Ferrara (lire encadré ci-dessous).
« Attendu que Monsieur Antonio FERRARA est placé sous le régime carcéral de l’isolement depuis le 11 juillet 2003, soit depuis plus de cinq années, ce qui est contraire à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen et la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Attendu que ces conditions de détention sont illégales.
Attendu que cela est si vrai que les anciens Quartiers de Haute Sécurité ont été supprimés pour cause d’incompatibilité avec les règles de droit. Que force est de constater que le régime carcéral de Monsieur FERRARA Antonio démontre que dans les faits ce régime n’a pas été supprimé, ce qu’a admis explicitement Monsieur SAINT JEAN, Directeur Régional de l’Administration Pénitentiaire entendu à la barre de la Cour d’Assises de Paris en qualité de témoin.
Que l’isolement total de Monsieur FERRARA Antonio constitue une « prison dans la prison » que le Docteur CARRIERE, témoin psychiatre, a qualifiée à l’audience de « torture blanche ».
Attendu qu’il en résulte une violence morale empêchant le requérant d’exercer ses droits dans la sérénité.
Attendu que la défense de Monsieur FERRARA Antonio a demandé par écrit à Madame le Président de la Cour d’Assises de Paris d’user de son pouvoir discrétionnaire pour suspendre l’isolement injustifié de Monsieur FERRARA Antonio pendant la durée du procès.
Attendu que Madame le Président de la Cour d’Assises dans sa sagacité a transmis cette demande au Directeur de l’Administration Pénitentiaire pour avis.
Attendu que Madame le Ministre de la Justice a répondu à cette demande par une fin de non recevoir précisant que les mesures d’isolement relevaient « de la compétence exclusive du garde des sceaux », ajoutant qu’elles ne constituaient pas un obstacle à la découverte de la vérité. Attendu qu’en outre l’Administration Pénitentiaire fait état pour justifier cette mesure exceptionnelle et dégradante de l’article D 283-1 du Code de Procédure Pénale qui fixe la durée du placement à l’isolement pour une période maximum de 3 mois.
Que toutefois cet article ajoute que la décision de placement à l’isolement peut être renouvelée pour la même durée, soit un total de six mois. Attendu que l’article D 283-1-1 du Code de Procédure Pénale édicte que lorsque l’isolement est prolongé au-delà d’un an, le Chef d’Etablissement doit solliciter l’avis du magistrat chargé du dossier.
Attendu que Monsieur FERRARA Antonio est pourtant détenu depuis 5 ans et demi, ce qui constitue un danger pour sa santé psychique et physique. Attendu notamment qu’en raison de ce régime d’isolement dégradant, Monsieur FERRARA Antonio et d’autres accusés ont été amenés à quitter la salle d’audience, circonstance qui a entravé la manifestation de la vérité. Attendu que l’intransigeance du Ministre de la Justice et de la Direction de l’Administration Pénitentiaire est seule responsable de cette situation. Attendu qu’il est inadmissible que le Ministère de la Justice puisse soutenir que cet isolement ne constitue pas un obstacle à la découverte de la vérité dans le cadre de ce procès.
Attendu de surcroît que cet isolement n’est plus justifié puisque Monsieur FERRARA a une excellente conduite en détention et n’a plus de contact dans et à l’extérieur de la Maison d’Arrêt depuis plus de 5 ans ».
Les conditions de détention imposées à Antonio Ferrara et à certains des complices présumés de son évasion de 2003 ont donc ressurgi au cœur du procès devant la cour, qui a accepté jeudi soir un transport inédit dans les geôles du palais de justice. C’est là que Ferrara et trois autres co-accusés passent leurs journées depuis qu’ils ont refusé de se présenter à l’audience. Ce déplacement d’une cour d’assises pour constater les conditions d’enfermement dans des lieux sous l’autorité de l’administration pénitentiaire est une première en France.
Interrogé par l’AFP, Françoise Cotta, qui défend un des complices présumés de l’évasion du 12 mars 2003 à Fresnes, a confié avoir découvert « un univers extrêmement inquiétant », composé d’un total de 80 cellules de moins de 3m2, « extrêmement sales ». « Si on n’a pas les nerfs extrêmement solides c’est une ambiance qui peut rendre fou », a-t-elle ajouté.
Un joli coup pour la défense d’Antonio Ferrara qui, depuis le début des débats, n’a eu de cesse de dénoncer les conditions de détention de leur client. Avec l’objectif d’attirer l’attention de l’opinion publique sur ce terrain et d’emporter la conviction des jurés de la cour.
« Je suis isolé des isolés », affirmait au procès, il y a peu, le fantasque Antonio Ferrara. Détenu depuis cinq ans et demi à l’isolement à la prison de Fleury-Mérogis, dans une aile réservée de l’enceinte, l’homme qui a défié l’administration pénitentiaire en se faisant la belle un jour de 2003, doit supporter des conditions s’apparentant à de la « torture blanche », comme l’a indiqué un expert psychiatre à la cour. « Petit à petit, on arrive à des situations de mort psychique », avait ajouté ce même psychiatre. Certains, comme Gabriel Mouesca, président de l’Observatoire international des Prisons (OIP) qui est intervenu au procès Ferrara affirment carrément qu’il est un « cobaye de l’administration pénitentiaire ».
Paul Deodato, l’avocat historique d’Antonio Ferrara, raconte à Bakchich une journée type de son client : « Il se lève vers 8/9h. Sauf pendant la durée du procès où il doit se lever bien plus tôt pour se rendre au palais. Il fait 11 km de course à pied sur un tapis roulant dont l’administration pénitentiaire n’a pas manqué de lui reprocher le coût. Il regarde la télévision, lit la presse et voit ses proches deux à trois fois par semaine. Quand il voit des hommes, son frère par exemple, c’est derrière une vitre. Pour les femmes, mais seulement depuis juillet dernier, il n’y pas d’hygiaphone. Lui vit dans une cellule de 9 m2, dont on le change régulièrement. Et une demi-heure de promenade dans une courette bâchée. Antonio Ferrara n’a pas vu la lumière du jour depuis 5 ans. »
Claude Charles-Catherine, proche de la famille Ferrara et présidente de l’Association pour le Respect des Proches des Personnes Incarcérées (ARPPI) connaît bien l’univers carcéral. Ses deux fils, Christophe et Cyril Khider sont incarcérés depuis de nombreuses années et l’un d’eux a aussi connu l’isolement. Elle raconte à Bakchich : « Est-ce que ce traitement est équilibré, alors qu’il n’a fait qu’un trou dans un mur même si c’est spectaculaire dans les moyens employés, il n’a pas tué d’enfants ni découpé de personnes âgées ? Pour Nino (Antonio Ferrara, NDLR) près de 30 surveillants sont mobilisés et tout cela au frais du contribuable. Vingt-deux heures par jour à cogiter tout seul dans une cellule sans aucun contact avec l’extérieur, comment voulez-vous qu’ils n’imaginent pas tous les moyens possibles pour quitter cet enfer. Avant 1981, on condamnait à mort, aujourd’hui on condamne à vie. La société a la conscience tranquille, mais elle fabrique des bombes humaines. On peut tout enlever à un homme sauf l’espoir. »
Et quand on lui demande quelle pourrait être l’alternative pour ces détenus particulièrement surveillés, elle s’insurge : « C’est incroyable. Voilà l’argument que l’on nous ressort à chaque fois. Nous dénonçons les conditions de détention, mais ce n’est pas à nous de nous substituer aux devoirs de l’État. C’est aux politiques de se poser la question ! »
Pascal Garbarini, avocat de Doumé Battini, l’un des accusés du procès Ferrara, raconte à Bakchich : « Nous sommes parvenus à faire lever les mesures d’isolement qui pesaient sur mon client pour trois raisons. Une bataille judiciaire devant le tribunal administratif. La volonté d’un directeur de prison. Et une coïncidence heureuse. Fin décembre 2007, alors que je rends visite à mon client, toujours à l’isolement, nous tombons sur des représentants de la chancellerie et de l’administration pénitentiaire venus visiter le quartier d’isolement de la prison de Nanterre. Ils ont pris le temps de discuter avec mon client pour se rendre compte de ses conditions d’incarcération. »
Et quand les avocats sollicitent les hommes politiques pour attirer leur attention sur le sujet et ne pas être tributaires de « coïncidence heureuse », le message a plutôt du mal à passer. Ainsi lorsque Philippe Ohayon, l’un des conseils d’Antonio Ferrara a sollicité pour un entretien Serge Blisko, président socialiste du groupe d’études prisons et conditions carcérales, il s’est vu répondre : « Mon action ne peut être que bien faible face aux problèmes que vous soulevez. » Et la rencontre a été reportée aux calendes grecques… Contacté par Bakchich, Serge Blisko assure que le groupe d’études « s’est donné pour règle de ne pas se pencher sur des cas particuliers » et indique que « les conditions d’incarcération à l’isolement sont il est vrai sévères ».
Jeudi, la classe politique française s’est à nouveau fait taper sur les doigts. Thomas Hammarberg, le commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rendu un rapport détonnant sur les prisons françaises. Il y dénonce la « surpopulation », la « promiscuité », la « vétusté des installations » et les mauvaises conditions d’hygiène. Pour lui, « le nombre élevé de suicides dans les prisons françaises est un symptôme » de ces « déficiences ». Il résume la situation en un mot : « inacceptable ». Au même moment, des avocats obtenaient des juges de Créteil l’annulation de procédures visant leurs clients en comparution immédiate, en arguant des conditions d’insalubrité du dépôt. Le début d’une prise de conscience ?
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