Au coeur autrefois de la contestation contre les communistes, Leipzig n’a pas quitté la grisaille pour célébrer les 20 ans de la chute du mur.
Novembre 2009, grisaille sur Leipzig. Alors que cette ville fut le fleuron de la contestation du régime de RDA et devrait célébrer les vingt ans de la chute du mur, le cœur n’est pas à la fête, de toute façon. Arcandor va fermer Quelle, une des filiales du groupe. 2000 postes sont menacés à Leipzig. D’autres pourraient suivre. Vingt ans après la chute du mur, le capitalisme débridé donne des rides aux salariés allemands.
Il y a vingt ans, pourtant, personne n’avait douté de la déclaration du Chancelier Helmut Kohl. A l’Est, il y aurait des « paysages florissants ». Les quelques bourgeons n’auront pas résisté au premier gel de la crise économique. Arcandor emporte avec lui un rêve, cette image de l’Allemagne de l’Ouest d’avant 1989, bénéficiant des vertus de « l’économie sociale de marché » : temps de travail et salaires décents, niveau de vie correct, et négociations régulières, et aimables, entre patronat et syndicat, pour définir les augmentation du pouvoir d’achat. Cette recette aurait-elle péri avec la chute du mur ?
A regarder de près Arcandor, c’est possible. Né, en fait, en 1881, son fondateur est Rudolf Karstadt. Son magasin marche bien, il tisse des ramifications. En 1931, 89 arborent cette enseigne. Après la Seconde Guerre Mondiale, le miracle économique fait décoller l’Allemagne de l’Ouest, Karstadt aussi. Il s’étend sans cesse et, lorsqu’en 1991, la réunification est scellée, Karstadt s’empare des « Centrum », une des deux chaînes de distribution d’Allemagne de l’Est. L’organisme fiduciaire qui gérait la privatisation des biens est-allemands, la Treuhand, peut se montrer satisfait, il a bien fait son boulot en privatisant les commerces.
Et Karstadt fit une affaire : la famille acquit ainsi des bâtiments placés en centre-ville, et poursuit en achetant des filiales : Quelle pour la vente par catalogue et en ligne lié au distributeur Primondo, le voyagiste Thomas Cook. Et surtout Karstadt, la branche initiale, se développe.
Comme « soldes », « prix cassés », « nouveautés » étaient des mots provoquant des étincelles dans les yeux des Allemands de l’Est longtemps privés du libre-marché, l’entreprise prospéra. Jusqu’à ce qu’apparaissent les premières fissures. Pour répondre aux impératifs des investisseurs, le groupe s’est lancé dans des stratégies changeantes, de la vente de l’immobilier à l’achat de filiales. Et arrivent les flots de licenciements. Les entrepôts de stockage et de conditionnement refaits à neuf, à Leipzig se mettent à tourner avec moins de personnel. Ça dégraisse sec dans l’empire de la distribution que rien ne semblait arrêté.
Les 56 000 employés ne sont pas dupes. Parler avec ceux de l’Est et, vingt ans après l’effondrement de la RDA, les mots « travail » et « sécurité de l’emploi » sont ceux qui, désormais, provoquent des étincelles dans leurs yeux. « Est-ce ce que nous avons mérité, en provoquant la réunification de nos deux pays ? », nous demandera une caissière… Avant de conclure : « c’est ça, le visage du capitalisme ? ». Avec Karstadt, avec la crise, un nouveau mur apparaît : celui dressé contre le rêve d’un monde meilleur.
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