À événement exceptionnel, mesures exceptionnelles. Pour la Coupe du monde de foot, l’Afrique du Sud a créé des tribunaux spéciaux. Du 28 mai au 25 juillet, c’est une justice pour le moins expéditive et on ne peut plus sévère qui est appliquée au pays de Mandela.
En s’aventurant, en pleine Coupe du monde, en Afrique du Sud, Bakchich s’est exposé à bien des dangers. Pas à celui de l’insécurité, dans un pays où la moyenne des homicides s’établit à 50 par jour, pour 18 000 cambriolages et 15 000 braquages de voitures par an. Bakchich a bravé un péril bien plus grand, qui peut vous donner, au moindre contrôle de police, l’envie d’uriner dans un endroit inapproprié. Il s’agit de la dernière trouvaille de la justice sud-africaine : les tribunaux spéciaux Coupe du monde.
Des cours de justice spécialement créées par le gouvernement de Jacob Zuma – pourtant peu à l’aise avec la justice – pour parer à toutes les infractions pénales en lien avec le Mondial de foot. Du recel de tickets au non-respect des sponsors de la Fifa, en passant par le vol à la tire. Le décret, paru au journal officiel local le 21 mai dernier, est fort explicite sur la nature de cette justice aussi ronde que ballonnée : « Des mesures exceptionnelles pour s’assurer que les effractions contre la multitude de fans de foot et des équipes présentes soient rapidement traitées. » Cinquante-six tribunaux pour les neuf villes hôtes de la compétition, avec 260 procureurs et 93 traducteurs, ouverts du 28 mai au 25 juillet, et un budget de 45 millions de rands (5 millions d’euros). Pour une justice expéditive. « Malgré l’interdiction du dopage, la justice sud-africaine semble agir sous stéroïdes », ricane le Mail and Guardian, l’un des journaux les plus fouineurs du pays.
Quinze ans de prison ferme pour les braqueurs de deux journalistes portugais, arrêtés et condamnés en quarante- huit heures à Johannesburg. Trois ans de taule pour un Nigérian qui a recelé 30 tickets volés à Pretoria. Deux ans au trou pour un jeune de 21 ans qui a piqué une couverture, trois bouteilles de bière et un guide touristique à un fan allemand perdu à Rustenburg. Cas réglés en moins d’un jour. Une « fast justice » qui commence à inquiéter les pontes des tribunaux arc-enciel. Particulièrement après le cas emblématique d’un jeune de 22 ans, condamné à Johannesburg, en vingt minutes, à trois ans de cabane pour avoir volé le téléphone portable d’un fan argentin. Le tout sans arme… et avec un casier vierge. « On a 400 000 vols chaque année dans le pays. Que va-t-il se passer si on continue d’infliger d’aussi lourdes peines pour un délit aussi mineur ? » pointe, dans les colonnes du Mail and Guardian, Barbara Holtmann, une huile de la criminologie locale. « Je ne vois pas quel bénéfice cette sorte de justice va avoir sur le pays. »
Jugement de plus en plus partagé par les ONG locales et la presse anglo-saxonne, qui commence à tirer à boulets rouges. Car l’un des siens a été touché ! Un journaliste britannique a été condamné, le 28 juin, à 3 000 rands (320 euros) d’amende pour ne pas avoir donné sa bonne adresse de logement au Cap… Il est soupçonné d’avoir voulu critiquer le tout-sécuritaire mis en place par l’Afrique du Sud pendant le tournoi. Bref, un pisse-copie doublé d’un pissefroid. Rien qu’un malfaisant qui voulait embêter la Fifa, pourtant protégée depuis le 1er septembre 2006 ( !) par le « 2010 Fifa World Cup South Africa Special Measures Act », un texte qui portait déjà les germes de la « fast justice » censée préserver la Fédé et ses sponsors des désagréments de la compétition (lire, ci-dessous, l’encadré « Mini-jupes interdites »). Des terres occupées, une justice mise au pas… Seize ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud retrouve les joies de l’état d’exception.
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