La relaxe des détenus français de Guantanamo n’a pas fait plaisir au parquet qui se pourvoit en cassation. En jouant sur les mots, il tente de faire passer des interrogatoires pour de l’ humanitaire.
L’odyssée judiciaire des Français de Guantanamo, arrêtés, condamnés, pour terrorisme puis relaxés et relâchés le 24 février dernier, n’est pas encore achevée. Ainsi en a décidé le taquin parquet, qui s’est pourvu en cassation.
Sans doute vexé de s’être pris un violent camouflet par la cour d’appel, qui a jugé déloyale et illégale la procédure d’enquête, le ministère public a déposé son recours le 16 mars dernier. Assorti d’un petit mémoire de huit pages, que Bakchich a pu parcourir avec délectation.
Assez obstiné, le proc’ s’échine à expliquer que les interrogatoires subis par les cinq suspects français à Guantanamo par la DST et la DGSE étaient tout ce qu’il y avait de plus valable et légal. Bref du bel et bon boulot dans des circonstances et un cadre tout ce qu’il y a de plus normal, à savoir la base militaire américaine à Cuba… Or, ce sont précisément ces interrogatoires, menés du 26 au 29 janvier 2002, du 26 au 31 mars 2002 et du 17 au 24 janvier 2004, que la cour d’appel a jugé déloyaux et qui ont permis la relaxe des prévenus.
Finaud, le parquet essaie de jouer sur les mots. Les interrogatoires menés par les barbouzes françaises sous couvert de mission diplomatique à trois reprises à Guantanamo n’en étaient pas. Il s’agissait simplement de « débriefings » de charmants garçons précise le mémoire, qui au passage se pique d’étymologie. « Débriefer », explique le dictionnaire Larousse, c’est « dresser le bilan d’une mission (…), c’est encore questionner, faire parler quelqu’un dans le but de renseignement ou d’assistance psychologique ».
Bref, si des barbouzes françaises se sont déplacées vers Cuba, ce n’est pas pour mener une enquête sur d’éventuels terroristes mais bien pour « s’enquérir de la situation de chacun des ressortissants français (…) [et de leur] situation personnelle ». Et de poursuivre, ingénu, « rien n’interdit en effet à une mission pilotée par le MAE [ministère des Affaires Etrangères] dont font partis des membres des deux services de renseignement susvisés, de s’entretenir dans un cadre consulaire, administratif et de recueil de renseignements, avec ses propres ressortissants captifs ».
De l’humanitaire en bonne et due forme que la cour d’appel a mal jugé, estime le parquet, en déclarant le procédé « déloyal » et « en violation des droits de la défense ».
« Des affirmations péremptoires et conjectures spéculatives au sujet d’un service de renseignement spécialisé », s’émeut le Procureur général.
Las, trois fois las pour le Parquet. Les visites de la DST et de la DGSE à Guantanamo n’ont pas été considérées comme des interrogatoires par les seuls juges de la Cour d’appel.
Un télégramme diplomatique, qui avait été révélé par Le Canard Enchaîné et Libération en 2005, décrit les courtoises entrevues entre la DST, la DGSE et les détenus français comme des interrogatoires. « Des fiches d’interrogatoires sur leur parcours seront remises aux différents services concernés », décrit le télex de l’ambassade de Washington, en date du 1er avril 2002.
Et en ces temps de dissension avec les Etats-Unis, les diplomates saluaient la bonne collaboration établie avec les autorités américaines dans ce dossier. Les diatribes anti-Bush du président Chirac étaient en effet définitivement enterrées…
Mais peut-être le parquet, avec ce pourvoi en cassation, lance-t-il ce baroud d’honneur au nom de l’indécrottable exception culturelle française. En Angleterre par exemple, sitôt rapatriés, les ex-détenus de Guantanamo étaient libérés. Un sort que n’a pas connu la bande des cinq français, aussitôt alpagués par la justice…
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Quelle naïveté de penser, si bien sûr vous le pensez sincèrement, que le dossier Coupat est vide…
Certes, aucun mis en examen n’y ayant intérêt (et pour cause), leurs avocats n’ont pas fait fuité le contenu réel du dossier.
Vertueux (ce qui n’est pas toujours le cas), l’accusation au sens large non plus.
Mais le jour où le contenu du dossier sera débattu publiquement, ça risque de vous faire vraiment tout drôle…