Le grand quotidien vespéral est en grève lundi 14 avril. Pourquoi ? Il fait son ménage de printemps, sous la guillerette forme d’un plan social. Mais pas touche aux placards, postes inopérants et autres dépenses somptuaires de ses dirigeants !
Que c’est dur d’être patron. Eric Fottorino en fait l’expérience. Président du directoire du groupe constitué autour du journal Le Monde depuis le début de l’année, l’ancien journaliste se démène depuis plusieurs semaines pour gagner ses galons de baron de la presse. Il a montré de bonnes dispositions en trahissant le président de la Société des rédacteurs du Monde (SRM), Jean-Michel Dumay, pour pouvoir recevoir l’onction des nombreux patrons, dont un certain Guillaume Sarkozy, qui siègent au conseil de surveillance et qui assurent les fins de mois du quotidien du soir depuis des années. Puis, il s’est attelé à un « plan de redressement ».
Le Monde perd de l’argent avec une régularité qui force l’admiration depuis quelques années : encore un déficit de 16 millions d’euros en 2007. L’ancien patron Jean-Marie Colombani et le talentueux consultant Alain Minc, surnommé le champion d’Europe des OPA ratées, avaient trouvé une solution pour combler le trou : racheter à vil prix des entreprises sur lesquelles on se paie. Il en fut ainsi du Midi Libre et, surtout, des Publications de la Vie Catholique, propriétaire de Télérama.
Cette logique, qui a fait croire à « JMC » qu’il était un vrai patron, a atteint ses limites et il faut maintenant trouver de vraies solutions pour assurer la survie du Monde, autoproclamé « quotidien de référence ». Et là, Fottorino, aidé de son nouveau bras droit David Guiraud – qui vient des Échos –, a décidé de manier la hache : 130 suppressions d’emplois, dont les deux tiers à la rédaction, et vente d’actifs déficitaires. Le métier rentre.
Conséquence : une grève votée pour ce lundi 14 avril. Le nouveau président du directoire « regrette » cette décision, mais pas question de renoncer aux mesures car « il y a une réalité économique ». Voilà qu’il parle comme un dirigeant du Medef. Mais, promis, « ce projet de plan sera mené de façon la plus efficace, mais aussi la plus équitable ».
Il vaudrait mieux car les journaleux de base sont particulièrement remontés. La SRM a récemment lu un texte d’une rare violence lors du conseil de surveillance : « Nous demandons la fin de certaines pratiques, notamment en matière de rémunérations, de primes et de train de vie. Le travail doit être mieux partagé, ses fruits aussi. Trop souvent depuis ces dernières années, l’intérêt général est passé à l’arrière-plan, au bénéfice de quelques-uns. Lorsque l’entreprise va mal, les sacrifices doivent être consentis par tous ».
Cela ressemble à une déclaration de guerre. Le Monde est un exemple de formidable d’entreprise citoyenne : à peine nommé, Fottorino a demandé à ce que son salaire de 110 000 euros annuels soit aligné sur celui de JMC, soit plus de 300 000 euros. Guiraud, pourtant limogé des Échos, a négocié plus : 400 000 euros, selon des mauvaises langues. Surtout, il aurait un parachute de 400 000 euros s’il était viré avant un délai de six mois et de 800 000 s’il l’était après. Qui a dit que les licenciements étaient traumatisants ?
Les journalistes de base pointent aussi le nombre de « directeurs » qui peuplent les étages supérieurs du somptueux siège du boulevard Blanqui, dans le XIIIe arrondissement. À l’époque de Colombani, les cadres dirigeants se sont multipliés de sorte que chaque journal ou magazine du groupe a son propre directeur général.
La rédaction n’est pas indemne puisque des postes comme « directeur éditorial » ou « directeur des relations internationales » ont été créés pour des placardisés. Selon un râleur de la rédaction, la suppression des deux tiers des postes de directeurs suffiraient à trouver la moitié des 15 millions d’économies que Fottorino veut trouver. Mais ces manants n’ont rien compris à la gestion d’entreprise.