Le journal de 20h, fleuron du service public, dessine chaque jour le tableau idyllique d’une école rêvée : sans profs.
Notre télévision nationale n’est jamais en reste de curiosité pédagogique. Le journal de vingt heures, fleuron du service public, dessine quotidiennement le tableau idyllique d’une école telle qu’on la rêve : libérée des profs.
Inutile de récapituler les aspects repoussants de cette caste de contestataires privilégiés. La question urgente est celle-ci : comment s’en débarrasser ? Certes, le gouvernement prend le problème à bras le corps en subtilisant une dizaine de milliers de profs par an, ce qui n’est pas négligeable mais à peine suffisant. Pourtant, il existe des solutions d’éradication que la télévision au service de l’effort national s’empresse chaque soir de rappeler. La grippe A, dont on parle moins depuis qu’elle ne justifie plus la fermeture de ces nids à profs que sont les établissements scolaires, fournit l’occasion d’informer le téléspectateur sur les innovations académiques.
Relayée par des journalistes vantant la modernité du bidule, l’académie de Créteil, à la pointe du combat, nous ressort le phantasme cyber-rectoral du cartable électronique. Chacun devant son portable et le prof se métamorphose. Il n’est plus cet individu autoritaire et rébarbatif que nous abhorrons tous mais une petite icône ludique qui glisse sur un écran, une adresse mail toujours disponible. Ne l’appelez plus prof, c’est un guide, un metteur en scène des savoirs.
Il y a mieux. Les téléspectateurs ont appris récemment comment lutter à la fois contre le chômage et pour l’extinction des profs. La solution est simple et fleure bon les vieilles recettes : madame arrête de travailler pour faire la classe à ses gamins ravis des activités « scolaires » taillées sur mesure par maman. Et le journaliste d’insister sur le nombre croissant de familles qui optent pour l’instruction maison.
Régulièrement, des reportages nous présentent des coachs en éducation qui remontent le moral de nos enfants démotivés par les profs. Le précepteur-psychologue, véritable révélateur de potentiel, saura aider nos têtes blondes à atteindre leurs objectifs. La télévision publique l’affirme : libérer l’école des profs n’est qu’une affaire d’imagination et de volonté.
Le cartable électronique fonctionne mal quand on n’a pas Internet chez soi et pas toujours l’électricité ? La maman dévouée sait à peine lire, doit partir tôt et rentrer tard pour nourrir quatre enfants entassés dans un trois-pièces ? Les honoraires du coach égalent le salaire mensuel plus les allocations ? Ces sujets misérabilistes ne seront pas abordés, ils gâteraient l’appétit des téléspectateurs.
D’ailleurs, les mômes des banlieues n’ont pas besoin de profs. Il leur suffit de policiers référents pour le maintien de l’ordre et d’intervenants pour le conditionnement aux tâches élémentaires auxquelles ils sont destinés. On voit bien qu’ils n’aiment pas l’école : l’académie de Créteil va les payer pour qu’ils s’y rendent. « Les élèves semblent prêts à jouer le jeu », annonce résolument la journaliste.
Télévision nationale : à qui t’adresses-tu ?
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