Clin d’oeil sur la manifestation des lycéens du mardi 15 avril, qui protestent contre les suppressions de postes prévues par le ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos.
Mardi 15 avril. Ligne 5 du métro parisien, station gare du nord. Il est exactement 14 h. Aïe, c’est l’heure du début de la manif, vous êtes en retard ma chère. Un groupe de lycéens venus des banlieues rouges grimpe dans le tromé en criant… rien, en criant, c’est tout. Et ça fait du bien. Sauf pour la mémère du siège d’en face qui grogne, « c’est quoi ça, qu’est-ce qu’ils font ici ? Y avait pas une manif de sans-papiers ou j’sais pas trop quoi, si si, ils ont dit ça ce matin aux infos… ah non, c’est les lycéens cette fois ». Un peu confuse la mémère.
Sortie Place de la République, des gentils gendarmes guettent la sortie du métro, et fouillent certains sacs à dos. Pas le mien. Vache de monde. 20 000 à 40 000 personnes en vérité. Zut, j’aurai dit plus.
Courons jusqu’à la tête du cortège. Oberkampf… tiens, toutes les rues perpendiculaires au boulevard Voltaire sont barricadées par des CRS. Saint-Ambroise, c’est là. Les gardes-mobiles sont en rang, et guident la manif’, vraiment très près des manifestants. J’en attrape un. Pourquoi si près ? Question de sécurité, on sait jamais. Et vous allez faire tout le trajet en marche arrière comme ça ? Ça, c’est vous qui verrez. C’est pas un peu provocateur ? Gros blanc, la conversation est déjà terminée.
Le cortège est sacrément organisé, hiérarchisé même. Les syndicats devant, précédés de quelques gars un peu agités (chaud devant ! 5 mecs déboulent en hurlant 9-3-9-3-9-3 !), puis les lycéens parisiens, plutôt blancs, suivis des lycéens des banlieues, beaucoup plus blacks.
Naïma, d’Aulnay-sous-Bois : « Ça n’a rien à voir avec notre manif ».
Quoi donc ?
« Il y en a qui brandissent des drapeaux tunisiens, turcs et marocains… C’est bien de défendre sa communauté, mais c’est pas l’endroit ».
Et toi, tu es là pour quoi ?
« A cause des suppressions de postes dans mon bahut, je suis là pour défendre mon éducation »
Je m’adresse à ses consoeurs autour : Et vous les filles ?
« Pareil »
Tu es à quel lycée Fathia ?
« Au lycée Pablo Picasso à Aulnay-sous-Bois ».
Il y a beaucoup de suppressions de postes ?
« Un prof d’Arts plastiques qui n’est pas remplacé. L’année prochaine, on n’aura plus qu’une classe d’Arts plastiques au lieu de deux, ce n’est pas possible d’avoir un cours normal dans ces conditions-là ».
Même pour une et une seule matière – qui, à tort, est sous-estimée – ces lycéennes se sont déplacées à Paris pour manifester. C’est que le malaise est plus lourd que la classe en moins. Dans le 93, par exemple, selon un porte-parole du Syndicat National Unitaire des Instituteurs (SNUIPP), 94 classes du premier degré devraient fermer à la rentrée 2008.
Alors, pour pallier le manque d’enseignants, le ministre de l’Education nationale propose ? « Les heures sup’ bien sûr et, pour remplacer les arrêts maladie, les étudiants des listes complémentaires des concours de l’enseignement, vaguement formés à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres ».
Plus lourd malaise encore, la peur du chômage, de la précarité de l’emploi, que beaucoup ici vivent au quotidien par leur famille et / ou leurs amis, les difficultés pour boucler les fins de mois aussi, et surtout la peur de ne pas pouvoir sortir (de la cité), de ne pas s’en sortir. Et l’éducation est, encore un peu, le moyen d’y parvenir.
Cette pancarte, aperçue : Avec une bonne éducation, on aura des slogans moins cons.
Slogans communs aux manifestants :
Ecoles en danger
Maintien des BEP
Avec Darcos, Le pire devient possible
Sarkozy au kärcher
Darcos, au mois de mai, Tu feras pas ce qu’il te plaît
Chant commun aux manifestants :
Darcos, si tu savais, ta réforme, ta réforme, Darcos, si tu savais, ta réforme où on s’la met… Non, non, non, aux suppressions, Oui, oui, oui, à notre éducation.
Syndicat Force Ouvrière :
Darcos, rend-nous nos postes, nos places et nos options
Des programmes de 1923, on n’en veut pas
Syndicat Sud :
Non à l’école du patronat A l’école, la morale, on n’en veut pas, C’est la morale du patronat, C’est la morale du capital
Juste une remarque sur le travail des CRS et de la police sur la manifs de mardi et celles depuis le début du mouvement.
Ils sont présents c’est vrai, mais leur positionement proche empèchait les casseurs de foutre le bordel comme pour le CPE, alors qu’ils sont plus nombreux qu’a l’époque.
Espérons que les propos de DARCOS sur le danger de mettre les jeunes dans la rue ne vont pas entrainer un retrait des forces de l’ordre comme les évènements autour de la manif de jeudi le laisse envisager.
La PEEP et l’UNI qui s’offusquent des blocages, quelques bonnes images de casseur en action, quoi de mieux pour discréditer un mouvement.
Pouvez vous décrypter s’il vous plait ?
Darcos dit :
"Il n’y aura pas de perte de qualité du service… tout est dans l’épaisseur du trait… on ne supprime pas 11 200 postes… toutes ces suppressions seront compensées par des heures sups et on recrute 18 000 postes en 2009"
Je vous aide :
Pourquoi supprimer tant de postes pour en recruter 18 000 ?
Les 18 000 créations de postes seront des profs sans statut de titulaires, ils seront précaires. Le but est simplement de ne plus laisser le statut de prof sous sa forme actuelle.
Pourquoi tout ça et dans l’urgence ?
Pour démanteler le service public pour appliquer l’AGCS.
Pourquoi on n’en a jamais débatu avant de l’appliquer en France ?
La seule personne qui s’est présentée à une élection sous une étiquette libérale était Alain Madelain, il a fait mois de 2%
Les français n’en veulent pas pourquoi le leur imposer ?
L’enseignement en crise (refrain) :
Dans son bouquin « L’enseignement de l’ignorance » (éditions Climats), le philosophe et footballeur Jean-Claude Michéa écrit des choses bien intéressantes. « La présente « crise de l’école »dont le grand public prend progressivement conscience, doit … être comprise, avant tout, comme l’effet qui se prolonge d’une situation devenue contradictoire. D’un côté l’Ecole, parce qu’elle était la pièce centrale du dispositif « républicain » - c’est-à-dire d’une époque et d’un système où le marché auto-régulé n’était pas encore en mesure de plier à ses lois la totalité des choses – se trouve être un des derniers lieux officiels où subsistent – à côté d’habitudes et de structures parfaitement absurdes – des véritables fragments d’esprit non-capitaliste et quelques possibilités réelles de transmettre du savoir ainsi qu’une partie des vertus sans lesquelles il ne peut y avoir de société décente. Mais de l’autre, sous la vague déferlante des réformes libérales-libertaires (1), l’institution tend mécaniquement à devenir l’ensemble intégré des différents obstacles matériels et moraux qu’un enseignant est obligé d’affronter s’il a le malheur de s’obstiner, par une étrange perversion, à vouloir transmettre encore un peu de lumière et de civilité ; une telle contradiction, on l’imagine, ne peut définir qu’un très mauvais climat : et de fait, il devient chaque jour plus irrespirable. »
(1) Sous ce rapport, le point de non-retour a évidemment été atteint en 1990, avec la mise en place par Lionel Jospin, selon le modèle inventé par le capitalisme américain, des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres.