L’Irlande est le premier pays d’Europe à entrer en récession. Les prix de l’immobilier s’effondrent, le chômage monte en flèche. Et les cochons ne sont plus comestibles.
Après les vaches grasses, les cochons malades ? Le slogan est réducteur. Mais la découverte de traces de dioxine dans de la graisse de porc provenant de neuf élevages irlandais arrive au plus mauvais moment pour le petit « tigre celtique ». Avec 130 000 tonnes de viande par an, l’Irlande est un gros exportateur de porc, notamment vers la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Les côtelettes contaminées risquent de porter un sale coup, non seulement à la filière porcine, mais à l’image du pays au trèfle. Et le pays n’a guère besoin de ce sale coup (toxique) en ce moment.
Pendant deux décennies, l’île a été bénie des dieux. Un taux de croissance à faire pâlir Singapour, des multinationales qui se bousculent pour investir à Dublin ou à Cork, un PIB par habitant dépassant ceux de la Suisse et du Luxembourg. Petit-fils et fils de paysan pauvre, l’Irlandais est devenu ingénieur, professeur d’université, chef d’entreprise. Roulant carrosse et rêvant de villas toujours plus cossues. Et puis patatras, en septembre, les autorités ont été contraintes de reconnaître que le pays était entré en récession, après deux trimestres consécutifs de croissance négative. Le PIB devrait reculer en 2008 d’au moins 2 %.
Ce n’est pas une catastrophe. Seulement voilà, un vent de panique, presque irraisonné, s’est emparé de la population. En quelques semaines, la bulle immobilière éclate. Les prix des habitations chutent de 20, 30, 40 %. « Je ne suis même plus capable de vous donner une estimation. Une maison proposée à 385 000 euros la semaine dernière, est offerte à 325 000 aujourd’hui », constate le patron d’une agence immobilière dans le centre de la ville de Cork. Or, le secteur du bâtiment représente 20 % du PIB et 14 % de l’emploi. La chute de l’immobilier a aussitôt entraîné une baisse de la consommation des ménages et une réduction massive de l’investissement.
Pour tenter de comprendre les vieux démons irlandais, une visite à Cobh s’impose. Un petit port, autrefois baptisé Queenstown, sur Great Island, à l’est de Cork. Le musée, installé dans l’ancienne gare, raconte le passé tragique de ce pays longtemps misérable. Trois millions d’Irlandais, fuyant la famine, la colonisation anglaise, ont embarqué à Cobh, s’entassant sur des navires à destination de l’Amérique ou de l’Australie, dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. L’Irlande n’a pas de matières premières. Elle n’a connu ni révolution industrielle ni industrialisation comme la Grande-Bretagne.
C’est d’abord l’entrée dans le marché commun, en 1973, qui permet au pays de sortir la tête de l’eau, grâce aux généreux fonds structurels européens. Mais son véritable décollage économique, l’île le doit à une politique de dumping fiscal. Non pour attirer les riches particuliers comme en Suisse, mais les multinationales. Le taux d’impôt sur les bénéfices sur les sociétés n’est que de 12,5 % contre 30 % en moyenne en Europe. Les entreprises américaines sont les premières à s’installer dans la verte Irlande.
« L’Irlande est devenue la plate-forme européenne de l’industrie informatique mondiale et une zone de sous-traitance de services associés comme les centres d’appel, les "hot lines" ou encore la traduction de logiciels », souligne un document du Centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry. Résultat, le PIB double en dix ans, triple en vingt ans. Le taux de croissance flirte certaines années avec les 10 %. Le chômage dégringole de 16,8 % en 1985 à 4,4 % en 2007.
« Il y a une génération, les Irlandais n’avaient rien, mais partageaient tout. Aujourd’hui, c’est à celui qui fera construire la maison la plus somptueuse pour impressionner ses voisins », constate Odile Nelligan, une Française installée en Irlande depuis les années soixante dix. Pourquoi se gêner ? Les banques prêtent sans regarder. L’endettement moyen des ménages atteint 166 % des revenus disponibles !
Seulement voilà, le pays est particulièrement dépendant des investissements étrangers. Le coup d’arrêt de l’économie américaine plombe brutalement la petite Irlande. « Pour faire venir les entreprises, le gouvernement a restreint le droit de grève, il a rendu les licenciements très faciles. Les employeurs ne sont même pas contraints de négocier avec les syndicats », rappelle un syndicaliste employé dans l’industrie pharmaceutique. Résultat, en une année, le taux de chômage a grimpé de 2 %. Et que vont devenir les 400 000 travailleurs étrangers, notamment polonais, accourus à l’époque des vaches grasses ?
A lire ou relire sur Bakchich.info