Les nouvelles dispositions quant aux prélèvements ADN obligent même les personnalités à tâter du coton tige. Petit exemple avec les hauts dirigeants du foot français.
Le 9 juillet, dans une quasi indifférence estivale, la France a (de nouveau) été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour traitement dégradant envers un prisonnier. Dans le cas d’espèce, il s’agit de Cyril Khider. Pour la CEDH, les transfèrements répétitifs du garçon (16 établissements pénitentiaires en 4 ans), les prolongations successives de sa mise en isolement et les fouilles corporelles systématiques auxquelles il a été soumis constituent bel et bien un traitement inhumain et dégradant. Certes on relèvera que la « victime » ne présente pas un curriculum vitae susceptible de lui valoir le tableau d’honneur et la médaille du mérite ; mais tout de même…
Sur le fondement de cette affaire, la Cour européenne pourrait bien être saisie dans les mois à venir de recours autrement plus nombreux, formés par les gardés à vue français de tous bords. Une population hétéroclite, en progression doucement mais sûrement, et qui découvre au cours de cette mémorable expérience les subtilités des articles 706-54 et 706-55 du Code de procédure pénale.
De quoi s’agit-il ?
De la faculté donnée par la loi à un officier de police judiciaire de procéder sur une personne gardée à vue à un prélèvement d’ADN en vue de sa comparaison avec les empreintes ADN contenues dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Pour ce faire, il suffit que les keufs considèrent qu’il existe, au moment du placement en garde à vue, une ou des raisons plausibles de soupçonner leurs « visiteurs » d’un jour de s’être rendus coupables de l’une des infractions donnant lieu à enregistrement d’un peu de bave dans le FNAEG.
Les honnêtes citoyens pensent évidemment d’abord aux affaires de sexe, aux atteintes volontaires à la vie de la personne, voire à sa version haut de gamme, à savoir les crimes, petits et grands, contre l’humanité.
Naïfs que nous sommes : dans sa grande sagesse, le législateur est allé bien au-delà de nos cauchemars les plus fous ; en effet, le FNAEG contient également les empreintes ADN des auteurs de vol, d’extorsion, d’escroquerie, de destruction, dégradation, détérioration et de menaces diverses d’atteinte aux biens ; même de ceux qui se sont livrés à des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ( !), c’est dire ; sans parler des mauvais français qui se sont livrés à des infractions au Code de la défense ; et pour faire bonne mesure, de tous ceux qui se sont rendus coupables de recel ou de blanchiment…N’en jetez plus la coupe est pleine…
Vous me direz que les mis en garde à vue ont une vague idée de la raison pour laquelle on les « invite » ; ce faisant, et connaissant la longue liste des crimes et délits justifiant l’enregistrement d’empreintes génétiques dans le FNAEG, tout gardé à vue qui se respecte un tant soit peu sait très exactement si les faits qui lui seront éventuellement reprochés à l’issue de sa garde à vue justifient qu’on lui racle la gorge en quête de ses miasmes. Il peut donc théoriquement s’y opposer.
Hélas pour le justiciable, l’article 706-56 a prévu ces hésitations de vierge effarouchée : le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique est passible d’une modeste année d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ; dans le doute, mieux vaut obtempérer, quitte à saisir plus tard la Cour européenne des droits de l’homme pour traitement dégradant si l’on est, par exemple, gardé à vue pour soupçon d’abus de biens sociaux, un délit n’entrant théoriquement pas dans le champ d’enregistrement du FIEG…
La conscience peut-être un brin pas tranquille, c’est sans sourciller par exemple que des personnalités aussi illustres que les émérites dirigeants du football français, pas vraiment des braqueurs de fourgons blindés, impliqués dans une scabreuse affaire de sponsoring de la Coupe de France 2002-2003, ont craché au bâtonnet.
L’affaire, connue sous le nom de « Force Bureautique » du nom du sponsor incriminé, avait vu la FFF, via son grand argentier Jean-Claude Darmon qu’on ne présente plus, convaincre la jeune société d’exploitation de photocopieurs France Bureautique de financer un peu en catastrophe l’épreuve reine de la Fédé. Pour lui permettre de se refaire la cerise à coups de vases communicants, la Fédé avait imprudemment passé à France Bureautique commande de quelques photocopieurs à des tarifs de location laissant supposer qu’ils étaient dotés de calandres en platine.
Des excès de générosité dont eurent notamment à répondre Claude Simonet, ex-président de la Fédération, Gérard Enault, son directeur général et l’adjoint de ce dernier, Jean-Pierre Georges, de même que Jean-Claude Darmon, ex-président de Sportfive et Robert Benaïm, son adjoint en charge de la commercialisation de la Coupe de France auprès des sponsors.
Placé en garde à vue le 13 mai 2008, « au vu d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenter de commettre l’infraction de complicité d’escroquerie et d’abus de confiance », le président Simonet échappera néanmoins au prélèvement salivaire. Jean-Pierre Georges, directeur général adjoint de la Fédé aura moins de chance : le 13 mai à 16h10, l’OPJ Lachaise l’informe qu’il souhaite procéder à un prélèvement de matériel biologique… Son supérieur hiérarchique, Gérard Enault, passera lui aussi au travers de la mesure dégradante le 4 juin.
Le 19 mai à 17h25 par contre, c’est au tour du « financier du foot français », l’immense Jean-Claude Darmon, d’ouvrir la bouche et de tirer la langue à l’OPJ chargé de le badigeonner. Quand on connaît l’ego de l’homme, le souvenir est sûrement impérissable. Qui plus est, bien mal récompensé le Jean-Claude, malgré la confidence cocardière faite à son interlocuteur au cours de son audition et selon laquelle « … la vente de la totalité de mes actions depuis l’origine de ma société m’a rapporté environ 300 millions d’euros. J’ai payé 100 millions d’euros que j’aurais pu éviter d’une façon légale en séjournant 6 mois en Belgique, chose que je n’ai pas faite par responsabilité civique… ». Le 5 juin, son directeur du marketing et neveu, Robert Benaïm, ne demandera pas son reste lui non plus et ouvrira grand la bouche sans demander conseil à son « baveux »…
Une même affaire, des traitements très inégaux. Qui doivent mettre singulièrement mal à l’aise ceux dont les empreintes génétiques pourraient côtoyer, s’ils n’ont demandé la destruction des échantillons, celles des violeurs en série et autres pédophiles multirécidivistes.
Qu’ils s’estiment heureux néanmoins ; au rythme où vont les choses, la palpation de sécurité qui ouvre la période de garde à vue pourrait rapidement se voir complétée d’un toucher rectal, histoire de rendre l’exercice encore un peu plus dégradant et inhumain…
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