Il y a toujours quelques fantômes quand on parle de la politique française avec les Africains : De Gaulle, Mitterrand, Chirac et quelques autres. Pour la génération de Camerounais qui ont passé la trentaine, ces spectres françafricains orientent leur réflexion sur la présidentielle française…
Jean-Paul et Théophile ne se connaissent pas, mais ils se ressemblent beaucoup. Aujourd’hui trentenaires, au « crépuscule de la jeunesse » comme dit l’un des deux, ils font partie de ces milliers de Camerounais qui ont poussé des études à l’université… sans parvenir à décrocher un emploi décent.
Malgré leur modestes statuts, Jean-Paul et Théophile sont des experts de la politique française qu’ils suivent sur RFI, TF1 ou Canal Plus. Empruntant parfois des raisonnements déroutants, ils peuvent disserter des heures [1]. Et dénoncent sans relâche les barbouzeries françafricaines, le pillage des richesses du continent noir et les bassesses des présidents prédateurs. À commencer, bien sûr, par Paul Biya.
Jean-Paul et Théophile font partie de la même génération, celle qui s’est éveillée à la politique à la fin des années 1980 et qui s’est activée pendant des mois, au début des années 1990, pour dégager le potentat (cf. Grosso Modo, une interview). En vain. Quinze ans plus tard, rien n’a changé. Leurs espoirs d’ascension sociale sont ruinés : le premier vend des pop-corn aux passants, le second est taximan à 200 F cfa (0,3 euros, Ndlr) la course. Et Paupaul est toujours président. Alors, quand on leur demande leur candidat favori pour la présidentielle française, la réponse ne manque pas de surprendre étant donné leur pedigree politique : Nicolas Sarkozy.
Car la génération Biya est aussi celle de François Mitterrand. Le fossoyeur Mitterrand ! « Lorsque Mitterrand a pris le pouvoir en France, raconte Théophile, le taximan, les Africains se sont dit : “Enfin la gauche anti-De Gaulle arrive au pouvoir ! L’Afrique noire francophone va voir son destin changer !” Lorsque Mitterrand a prononcé le discours à La Baule en 1990, on s’est dit qu’on avait eu raison d’attendre : “on va pouvoir voter et les dictateurs vont enfin partir !” Et puis, rien. Avec Mitterrand rien n’a changé : les dictateurs sont toujours en place, les contestataires ont été matés et les élections sont toujours truquées. Avec la bénédiction des Français ». On pardonne difficilement à ceux qui ont trahi. Et, dix ans après la mort de Mitterrand, c’est Ségolène qui essuie les plâtres.
« J’ai comme une sorte de rancune vis-à-vis du parti socialiste, poursuit Jean-Paul, le vendeur de pop-corn. Et je doute vraiment que le parti de Mitterrand ait changé en profondeur. Ils ont mis une femme, d’accord, mais je crois que les socialistes n’ont fait qu’appliquer la mode de l’heure qui consiste à mettre les femmes aux responsabilités. Mais, au fond, tout ça n’est qu’une farce : on essaie de nous revendre un vieux produit, mais avec un nouvel emballage. Ségolène Royal, c’est un emballage ». Les journaux progressistes camerounais auront beau imprimer les belles promesses de Ségo [2], la réticence de Jean-Paul et Théophile à l’endroit du PS n’est pas prête de disparaître .
[1] sur les méfaits de Jacques Foccart ou de Guy Penne Conseiller pour les Affaires africaines de 1981 à 1986
[2] « Ségolène Royal contre Biya et Cie », Le Messager, 21 février 2007