Le 6 novembre dernier, le président Paul Biya fêtait ses 25 ans à la tête de l’Etat camerounais. Il se verrait bien rempiler pour un quart de siècle de plus.
Une belle fête. Sur le parvis du Palais de l’Unité de Yaoundé, le 6 novembre, le père Biya, 74 ans, ne cachait pas sa satisfaction. La moustache guillerette et la voix chevrotante, il remercia la petite troupe de RDPCistes venus « spontanément » lui souhaiter « un joyeux anniversaire ». Il s’auto-félicita aussi « des résultats obtenus dans tous les domaines » au cours de ses 25 ans de règne. Depuis le 6 novembre 1982, date de son « accession à la magistrature suprême » (merci François Mitterrand), le Cameroun nage dans la joie, le bonheur et la prospérité. « Sans entrer dans le détail, [parce qu’] on serait là jusqu’à ce soir ou à demain », le bilan est « largement positif », apprit-il à ses compatriotes avant d’enchaîner une série de blagues – grassement applaudies par sa vigoureuse épouse – sur la démocratie-qui-se-consolide, l’économie-qui-retrouve-le-chemin-de-la-croissance et la-lutte-contre-la-corruption-qui-mobilise-tous-les-efforts-du-gouvernement. « Nous avons ensemble beaucoup fait, conclut le grand homme, modeste, après six minutes de cette puissante rhétorique. Mais il nous reste beaucoup à faire ». Et le couple présidentiel de se jeter goulument sur un épais cake d’anniversaire.
Sans surprise, la presse gouvernementale ne se fit pas prier pour célébrer comme il se doit « le 25e anniversaire du Renouveau » (sic) et rabâcher les slogans flétris de « l’Homme-Lion ». C’est l’objet d’un supplément grandguignolesque de l’inimitable quotidien Cameroon Tribune. Intitulé “Paul Biya, 25 ans après : l’homme, l’œuvre, l’ambition”, toujours en kiosque depuis le 9 novembre 2007, ce supplément consacré à « l’œuvre » magistrale de l’Homme du 6 novembre. Journalistes et universitaires à gage y lèchent à pleine langue les orteils de leur bienfaiteur présidentiel et brossent Maman Chantal dans le sens du brushing. Pour ne pas rester sur la touche, d’autres caciques se payent de pleines pages dans les journaux pour rendre publique leur fierté d’être si bien « gouvernés ». Tout ce cirque n’a évidemment rien à voir avec le bilan, désastreux, de Paul Biya. Comme l’explique sèchement le quotidien français Libération du 14 novembre 2007 : « Aujourd’hui, [le Cameroun] ne ressemble plus à rien ». La grande farce du « 25e anniversaire » a en fait un autre but : préparer l’opinion à la reconduction infinie du Guide au pouvoir. Et tester sa réaction. Les « hommages », « remerciements » et « félicitations » se sont donc rapidement métamorphosés en « appels solennels » en faveur de la modification de la Constitution, et plus spécifiquement en faveur de « la suppression de l’article 6.2 qui limite le nombre de mandats présidentiels ». Des appels « spontanés », là encore, puisque ce ne sont autres qu’une brochette de ministres en poste qui lancèrent le mouvement, auquel se joignent depuis quelques jours, à tour de rôle et avec force publicité, toutes les sections, sous-sections, sous-sous-sections de l’ex-parti unique, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC).
Tout démocrate et soucieux des aspirations de son peuple qu’il soit, Paul Biya n’a pas encore répondu à ce touchant cri du cœur. Mais l’interview qu’il a accordée le 28 octobre dernier à la chaîne française France 24 (il n’en accorde jamais aux journalistes camerounais qui ont le désavantage de connaître leur pays) a de quoi rassurer ses thuriféraires. Bien qu’il soit « prématuré » d’évoquer cette question constitutionnelle, a-t-il insisté face à son docile intervieweur (Ulysse Gosset), le Président a tout de même poétiquement noté que « les constitutions ne sont pas faites ne varietur ». En clair : la constitution camerounaise est faite pour être modifiée. Un refrain immédiatement repris au Cameroun par d’émérites « juristes » et autres apparatchiks qui expliquent en boucle, et sur tous les tons, combien « antidémocratique » est le fâcheux article « 6.2 » qui contrevient au désir populaire de voir le Père de la Nation s’éterniser sur le trône pour parachever son grand « œuvre »… Il existe bien, çà et là, quelques hurluberlus qui ne partagent pas cette patriotique volonté d’aider le Chef camerounais à concurrencer, sur le terrain de la longévité, son voisin gabonais (Omar Bongo, qui fête cette année son « 40e anniversaire »). Mais ces « rares » contestataires savent qu’il leur sera difficile de contrer efficacement la puissante opération médiatique lancée par le régime Biya. Car celui-ci est plus que chatouilleux lorsque la population ose exprimer son ras-le-bol autrement que par des bavardages alcoolisés à la terrasse des bars ou par des interventions solitaires sur les ondes saturées de quelque radio privée. En témoignent les récentes fusillades à Abong Mbang (Est) en septembre, puis à Kumba (Sud-Ouest) en novembre, qui ont coûté la vie à au moins quatre jeunes manifestants, et en ont blessé de nombreux autres, qui réclamaient le rétablissement l’électricité dans leurs villes, plongées dans le noir pendant des semaines. Une façon originale, pour les « forces de l’ordre », de célébrer les impressionnantes « avancées » démocratique, sociale et économique des vingt-cinq dernières années…
Mais le son des fusils fut soigneusement amorti par une presse française qui, lors de la virée parisienne du président camerounais, fin octobre, préféra dérouler le tapis rouge sous ses souliers vernis plutôt que d’écouter les Camerounais mitraillés dès qu’ils commettent le crime de se manifester. Des balles d’avertissement et un silence étouffant qui permettent, au final, au Maître de Yaoundé d’envisager avec sérénité son prochain quart de siècle. Joyeux anniversaire.