Hommage en demie teinte à Pierre Messmer, chez certains Camerounais…
Moïse, la cinquantaine bien avancée, passe ses journées sur un banc à attendre le chaland. Il vend des cigarettes et autres bricoles sur le bord d’une route anonyme de Yaoundé. Lui, ne fume pas. Trop cher. Sa drogue c’est RFI, qu’il écoute du matin au soir en regardant dans le vide. Quand le client s’arrête, il commente l’actualité. Moïse est un éditorialiste de rue. Le thème aujourd’hui, c’est la mort de Pierre Messmer. Haut-commissaire à Yaoundé entre avril 1956 et janvier 1958, Messmer a gardé quelques attaches au Cameroun. En témoigne, par exemple, un récent livre de Jacques Famé Ndongo, ministre de l’Enseignement supérieur et flagorneur patenté du Seigneur Paul Biya, que Pierrot a gentiment préfacé en tant que « chancelier de l’Institut de France et membre de l’Académie française » [1].
Mais le nom du grand homme ne figure pas qu’en couverture de quelque livre obscur. On le retrouve aussi sur certaines cartes d’identité : « Messmer » – ou « Mesmer » – est devenu prénom camerounais. Hier encore, le 28 août, le quotidien Mutations interviewait un certain Mesmer Gueuyou, consultant à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle [2]. L’autre fois, c’était La Nouvelle Expression qui nous parlait d’un chauffeur de bus de Douala dont les parents avaient eu la bonne idée de refiler au rejeton le nom de l’ancien patron du Cameroun.
Moïse, le vendeur de cigarettes, connaît donc Pierre Messmer. Mais son éditorial du jour est moins lyrique que les hommages vaporeux qui se dégagent de son transistor rafistolé. Point de référence, chez lui, au « héros de la France libre » ou au « vieux lion à la crinière d’argent ».
Point d’élucubrations sur ce que le « continent noir » apporta à la brillante carrière de « Messmer l’Africain ». Point de larmes non plus sur l’« illustre enfant de notre République et de notre pays » (Sarkozy). Pour Moïse, Messmer n’était rien d’autre qu’un « tortionnaire », et un des « fossoyeurs » de l’indépendance camerounaise. Et notre éditorialiste de rappeler comment le haut-commissaire installa (en décembre 1957) un solide appareil répressif politico-militaire pour mater les « communistes » de l’UPC [3] et consolider le pouvoir des marionnettes placées à la tête du pays par une métropole acculée à octroyer « l’indépendance » (1er janvier 1960).
C’était l’époque, en effet, de la « chasse aux rouges », des « camps de regroupement » et du « quadrillage psychologique » des populations indociles. Une époque aussi – celle de la guerre d’Algérie – où la torture pouvait occasionnellement avoir un certain charme… « Mon expérience de l’Indochine m’avait appris comment traiter une insurrection communiste (…), expliquait Messmer dans un de ses derniers livres : on ne peut discuter utilement avec des dirigeants communistes que si l’on est en position de force, politique et militaire ; dans la négociation, il faut être net et carré, ne jamais faire dans la dentelle. » [4] Une « négociation » qui, comme le rappelle Moïse, a laissé quelques marques dans la mémoire, et dans la chair, de milliers de Camerounais.
[1] « Jacques Famé Ndongo, le nègre de Biya », Le Messager, 19 octobre 2006
[2] « Mesmer Gueuyou : Donner aux agents les moyens de faire correctement leur travail », Mutations, 28 août 2007
[3] Taxé de « communiste », l’Union des Populations du Cameroun, dirigée à l’époque par Ruben Um Nyobé, était en fait le seul mouvement politique camerounais qui demandait l’indépendance réelle du pays
[4] Les Blancs s’en vont. Récit de décolonisation, Albin Michel, 1998, p. 119