Pour "rassurer" les institutions financières, et lui-même, Paul Biya vire sans préavis ses ministres à la radio nationale.
Au Cameroun, c’est par un décret présidentiel diffusé sans préavis sur les ondes de la CRTV (Cameroon Radio and Television) que se font et se défont les gouvernements. Ce jour-là, les ministres en fonction lâchent séance tenante leurs dossiers et se ruent sur leur poste de radio pour savoir s’ils ont été, ou non, chassés. La vie politique camerounaise fonctionne comme une grande loterie dont le président, qui nomme et limoge sans autre justification, est le seul chef d’orchestre.
Le rituel a été respecté vendredi 7 septembre, lorsque fut nommé le 32e gouvernement de Paul Biya (depuis 1982). À peine le « décret 2007/269 portant réaménagement du Gouvernement » diffusé, les heureux « élus » ont arrosé de champagne leurs courtisans prestement accourus dans leurs villas cossues, et se sont répandus sur les ondes de la CRTV en remerciements serviles au chef de l’État1. Ambiance différente, on s’en doute, chez les désormais ex-ministres qui ont du débarrasser le plancher en quatrième vitesse (et mettre à l’abri les milliards détournés). Car il ne fait pas bon, au Cameroun, être déchu de sa fonction ministérielle. Les flatteurs de tout poil, jusque-là si prévenants, vous abandonnent subitement. Et l’on vous découvre soudainement, et cette fois officiellement, toutes les tares du monde : incompétence, corruption, ambitions déplacées, etc. En faisant sauter quelques fusibles, le père Biya fait ainsi une pierre deux coups : « rassurer » les institutions financières internationales (qui se plaignent constamment de la « mauvaise gestion » du pays [1]) et se débarrasser de tous les petits barons qui lorgnent avec trop d’insistance sur son fauteuil présidentiel (dont la Constitution prévoit la vacance en 2011).
Principale cible du « réaménagement gouvernemental » du 7 septembre, l’ex-tout puissant ministre de l’Economie et des Finances (2004-2007), Polycarpe Abah Abah, est en passe subir le contrecoup de son « licenciement ». Réputé membre de « Génération 2011 », une mystérieuse nébuleuse de hiérarques RDPCistes accusés par la presse de nourrir de trop grandes ambitions personnelles, l’infortuné Polycarpe – façon de parler puisqu’il ferait partie, selon des sources américaines, des plus grosses fortunes du Cameroun – aurait déjà été convoqué au Secrétariat d’Etat à la Défense (SED), première étape, dit-on, vers une arrestation.
D’autres « ex » seraient également « dans le viseur » : Urbain Olanguena Owono (ancien ministre de la Santé publique), Jean-Marie Atangana Mebara (ancien ministre des Relations extérieures), Paulin Abono Moampamb (ex-secrétaire d’État aux Travaux publics) ou Gervais Mendo Ze (ministre délégué auprès du ministre de la Communication). Les passeports de certains d’entre eux leur auraient déjà été retirés [2]… Au Cameroun, la frontière est floue entre le ministre et le fugitif.
En bonus : Remaniements, le remix.
[1] Les représentants du FMI et de la Banque Mondiale étaient justement en visite au Cameroun au moment du « réaménagement gouvernemental »
[2] Lire « Contre les gestionnaires indélicats : Abah Abah et Cie annoncés au SED », Le Messager, 10 septembre 2007