Le festival du film policier de Beaune fut l’occasion de découvrir comment une boîte de relation publique, Public Système, fait la pluie et le beau temps en mélangeant allègrement les genres…
Les paris allaient bon train dans le petit monde de la critique cinéma. Quels prix recevront les films « Solo Quiero Caminar » et « Bronson » ? Outre le fait que ces deux longs métrages étaient présentés parmi d’autres au festival du film policier de Beaune dont le palmarès a été dévoilé dimanche, ils partagent un point commun. Leur promotion est assurée par la même agence de communication et marketing, Le Public Système, l’un des poids lourds de la com’ qui balaie actifs dans bien des domaines sport, industrie du luxe, « entertainment ». Au rayon cinéma, l’agence a un talent particulier pour mélanger les genres. Le Public Système se trouve également être l’organisateur du festival de Beaune !
Ce mélange des genres n’a rien d’une coïncidence. C’est le résultat d’un système bâti patiemment par Lionel Chouchan, le président de l’agence précédemment baptisée Promo 2000. On doit à ce « Parrain », la création ou la co-création du Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1973, puis du Festival du film américain de Deauville en 1975 et, enfin, le Festival du film policier de Cognac en 1982. Aujourd’hui, Gérardmer a remplacé Avoriaz, Beaune a succédé à Cognac, et Deauville s’est enrichi d’un autre festival, consacré au film asiatique. Mais la situation n’a pas changé : tous ces festivals sont organisés par Le Public Système. A l’exception du festival de Cannes, aucun festival majeur en France ne lui échappe ! Une stratégie payante.
Le Public Système assure en effet chaque année la promotion de nombreux films qui se retrouvent souvent présents en compétition dans ses propres festivals. Et encore plus souvent dans le palmarès ! En 2009, « The Chaser » obtient le Grand Prix Action du Festival du film asiatique de Deauville. En 2008, « REC » reçoit le Prix spécial du jury du Festival du film fantastique de Gérardmer. En 2007, « A Very British Gangster » est couronné Grand Prix du Festival du film policier de Cognac. Ces trois œuvres n’ont pas forcément volé leurs récompenses : elles ont chacune, dans un registre très différent, bénéficié de critiques favorables dans la presse et d’un bon accueil du public.
Mais on peut légitimement s’interroger sur l’indépendance du jury nommé par les organisateurs… D’autant que certains jurés semblent abonnés aux Festivals, comme l’actrice Ludivine Sagnier, membre du jury du Festival du film asiatique en 2004 puis en 2008. D’autres font la « tournée » de plusieurs festivals, comme Fred Cavaye, passant du jury de celui du film asiatique à celui de Beaune. On comprend que loin d’être des manifestations visant à promouvoir le cinoche en général, tous ces raouts sont désormais destinés aussi à promouvoir les films dont Le Public Système… assure la promotion. Un festival est désormais un outil de communication, au même titre, par exemple qu’une affiche, une bande-annonce ou un spot publicitaire.
D’ailleurs, si des bonnes âmes en doutent encore, ce grand ordonnateur hexagonal de la promotion du 7éme art en apporte lui-même la preuve noir sur blanc : « Depuis plus de 30 ans, à travers la création des festivals d’Avoriaz, de Deauville et de Cognac, Le Public Système Cinéma est reconnu dans tous les milieux professionnels internationaux », peut-on lire dans le rapport annuel 2004 de l’agence. Et celle-ci de vanter son rôle sans vergogne : « La maîtrise des métiers de la création, de la promotion, des relations presse et relations publiques, de l’achat d’espaces publicitaires et de la recherche de partenariats développée depuis 12 ans fait qu’aujourd’hui l’agence intervient naturellement à tous les stades d’un film, de sa conception à sa diffusion en salles. Le regroupement sous la même enseigne de toutes ces expertises dédiées au cinéma est unique sur le marché de la communication. » Ça va mieux en le disant.
Tous les films récompensés ici ou là ne sont pas toujours des longs-métrages dont Le Public Système fait la pub, heureusement. Mais lorsqu’un film maison est en compétition, il repart rarement les mains vides…
Ce système de promotion est extrêmement bien rodé. Ainsi, la remise du Grand Prix du Festival du film asiatique à « The Chaser », le dimanche 15 mars dernier, coïncidait avec la sortie du film le mercredi suivant ! Sachant que les dates de sortie d’un film sont décidées des mois à l’avance, l’attribution du prix fut-elle vraiment une surprise pour les dirigeants du Public Système ? Des mauvais esprits en doutent.
Cette liaison dangereuse entre l’art et le marketing se répercute aussi sur les critiques de cinéma. Pour avoir une chambre dans un Cinq étoiles à Deauville, mieux vaut avoir fait allégeance au Public Système et lui avoir promis de bons papiers. Les journalistes sont traités différemment selon le poids de leur couverture médiatique du Festival : « Depuis cinq ans que je traite le Festival du film asiatique de Deauville, sur plusieurs pages, en faisant des comptes-rendus de presque tous les films, Le Public Système n’a jamais pris en charge mon hébergement, explique ce journaliste d’un site internet spécialisé dans le cinéma d’Extrême-orient. Je me loge donc à mes frais, parce que mon site n’a pas les moyens de me défrayer. Alors que le moindre pigiste d’un quotidien ou d’un hebdo est logé à l’hôtel Normandy, par le Festival. Il suffit qu’il fasse dix lignes dans son journal, il n’a même pas besoin de voir les films. » De curieuses pratiques confirmées à Bakchich par un journaliste de la presse écrite qui a préféré garder l’anonymat. Dimanche le jury du festival de Beaune a rendu son verdict. « Bronson » a remporté le prix sang neuf et « Solo Quiero Caminar » est reparti avec le prix du jury…
Lire ou relire dans Bakchich :
Il existe néanmoins d’authentiques festivals, qui savent prendre des risques en proposant des films que ses organisateurs vont chercher là où personne ne va, et qu’ils sous titrent parfois eux-mêmes, pour le plaisir des cinéphiles. Par exemple le Festival International des Cinémas d’Asie, de Vesoul. 15° édition cette année, 25 000 entrées, 75 films. Reconnu en Iran, en Indonésie, au Tadjikistan… de l’Asie au musée Guimet. Mais pas dans la presse.
Courriel : festival.vesoul@wanadoo.fr
Web : cinemas-asie.com
D’accord,le polar, c’est cool…
Pendant ce temps, la destruction concertée de la planète continue…
Vous feriez peut-être mieux d’orienter vos lecteurs vers un film INDISPENSABLE : « Let’s make money ! », du dénommé Wagenhofer, qui leur fera toucher du doigt l’étendue du désastre qui se prépare.
(Bien sûr, c’est moins rigolo qu’OSS…)