En banlieue, Adjani, prof de français énervée, prend ses élèves en otage. Sous des airs de thriller, un vrai film politique.
Ca ne pouvait pas continuer, c’est sûr. Après des semaines de bons films, voire de très bons films (dans le désordre L’Etrange histoire de Benjamin Button, Morse, The Wrestler, Gran Torino, Milk, Les Watchmen, The Chaser, 24 City ou encore le très expérimental Un lac), voici le grand vide, le néant cinématographique précédant Cannes. En effet, avant le festival, les distributeurs gardent sous le coude leurs meilleures bobines et le spectateur doit se fader un paquet de comédies mongolos (Coco, si tu m’entends), de séries Z pour ados style Fast and Furious 45 et de trucs improbables comme Le Chihuahua de Beverly Hills ou Cécile de France en Sœur Sourire. Pour le grand cinéma, on attendra mai…
J’avais bien envie de vous parler du John Woo, mais je n’ai pas été invité à la projo de Trois royaumes. Et je me suis rappelé que je n’aime pas DU TOUT John Woo et ses films crypto-homos où des mecs en costumes et avec des Ray-ban se mettent leurs gros engins sous le nez, se regardent langoureusement avant de décharger… C’était déjà incompréhensible, niais et maniéré il y a 20 ans, c’est maintenant impossible de résister plus de trois minutes sans se tenir les côtes.
Grand formaliste, John Woo n’a pas compris qu’un film, c’est aussi une histoire, pas seulement des ralentis, la mèche de Tom Cruise au vent et des colombes qui s’envolent. C’est pour cela que les films de Sam Peckinpah sont toujours aussi puissants et que seuls les gunfights d’A toute épreuve ou de The Killer peuvent faire illusion. Passons (même si je crois que vous allez vous déchaîner, là. Oser critiquer John Woo, rendez-vous compte…).
Il y avait bien la reprise de L’Etrangleur de Boston , un véritable diamant noir du cinéma, mais j’ai décidé de regarder sur Arte un téléfilm au titre improbable, La Journée de la jupe (ils avaient d’abord pensé à Tiens, voilà du boudin, mais Jérôme Clément n’a pas voulu) qui sort en salles dans la foulée. Isabelle Adjani, dont c’est le quinzième grand retour, incarne Sonia Bergerac, prof de français énervée en ZEP. Dans la salle de théâtre au sous-sol de son collège, elle tente de faire bosser ses élèves, ados rebelles et réfractaires à l’école, sur le thème du jour, Jean-Baptiste Poquelin, alias DJ Molière. Bousculée et insultée (« Va niquer ta mère la pute »), elle va péter les plombs comme on dit chez les djeuns, confisquer un gros gun et donner une leçon à ses (presque) chères têtes blondes. Un dramatique compte à rebours commence…
Le premier choc, c’est Isabelle Adjani, 54 ans en juin prochain. Depuis des années, elle se fait rare, se terre ou se montre en conférence de presse les deux mains collées sur les joues. Pathétique ! On comprend aujourd’hui : on dirait qu’elle a avalé un hamster ! En fait, Isabelle est comme tout le monde, elle vieillit. Et son volte-face devant la caméra dans La Journée de la jupe est plutôt plein de panache, vu qu’elle est habillée comme un sac et qu’elle s’offre à la caméra sans maquillage. Rare, car Adjani est une star. Et une énigme. Comédienne prodigieuse, elle a flingué sa carrière avec des kilomètres de daubes (Toxic Affair, Ishtar, Diabolique, La Repentie, Bon voyage…), tourné avec des manchots comme Laetitia Masson, Philomene Esposito, Jeremiah Chechick ou Luc Besson, refusé des tonnes de projets fabuleux avec Buñuel, Godard, Pialat (notamment Loulou), laissé parfois filer cinq ou six ans entre deux films. Dans La Journée de la jupe, Adjani est en terrain connu, celui de l’hystérie, comme dans Possession ou Camille Claudel. Avec ce visage nouveau mais si familier, Adjani est dans la même seconde flippée, inquiétante, touchante, se métamorphosant à cause l’insulte de trop en grenade dégoupillée. Avec un réalisateur d’un autre calibre que Jean-Paul Lilienfeld, cette performance électrique se classait directement auprès de celle d’Al Pacino dans Un après-midi de chien.
Dans Entre les murs, François Bégaudeau le démago nous présentait une classe blanche, black, beur, avec ses petits problèmes et son prof incapable, mais l’on apprenait, in fine, qu’une élève particulièrement nulle avait lu La République de Platon. Ouf, il y a donc de l’espoir en banlieue ! Ici, c’est nettement plus noir. Lilienfeld nous confronte à des mômes paumés, violents, et pour certains, des violeurs irrécupérables. Plus fort, il évoque - dans ce film refusé par tous les producteurs de cinéma - l’islam, la misogynie, la drogue, le racisme, le viol… On est dans du lourd et, à chaque fois, Lilienfeld s’en sort avec beaucoup de justesse. Avec une économie de moyen, sans pathos, Lilienfeld décrit juste l’enfer quotidien de la banlieue (quand une maman d’élève déclare : « Pourquoi on nous met tous ensemble comme des animaux ? », tu as tout compris), où les filles ne peuvent plus porter de jupes sous peine de se faire traiter de putes, où certains profs démagos débattent du coran avec les élèves, où des mômes de 15 ans ne pensent qu’au business… Des sujets tabous que Lilienfeld dégueule sur l’écran et qui transforment son petit thriller prévisible en un vrai film politique (avec le port du pantalon en métaphore du voile), d’une force invraisemblable en cette période tiède et morne.
Malheureusement, son propos est desservi par une mise en scène peu inspirée, pataude… L’esthétique est vraiment celle d’un téléfilm, avec une image couleur pisse, une chanson finale insoutenable et surtout des ados pas toujours très justes (alors qu’ils étaient prodigieux de naturel dans Entre les murs). Malgré ses treize jours de tournage, Lilienfeld aurait dû soigner un peu plus sa direction d’acteur et ses quelques « scènes d’action », comme celle - grotesque - où Adjani donne un coup de boule à un môme (« Zidane, il a marqué ! »). Pour finir, une question. Maintenant qu’Adjani a dévoilé son étrange visage rond et sans ride sur grand écran, il sera passionnant de voir quelle impulsion elle va donner à sa carrière. Va-t-elle rebondir, se confronter à de bons cinéastes et accepter de se faire diriger, ou disparaître une nouvelle fois ?
A lire ou relire sur Bakchich.info
La Journée de la jupe, de Jean-Paul Lilienfeld avec Isabelle Adjani, Denis Podalydès,. Yann Collette, Jackie Berroyer.
En salles le 25 mars
D accord sur Woo, d ailleurs j ai toujours cru qu il faisait des films à visée comique.
"Le premier choc, c’est Isabelle Adjani, 54 ans en juin prochain. Depuis des années, elle se fait rare, se terre ou se montre en conférence de presse les deux mains collées sur les joues. Pathétique ! On comprend aujourd’hui : on dirait qu’elle a avalé un hamster ! En fait, Isabelle est comme tout le monde, elle vieillit. Et son volte-face devant la caméra dans La Journée de la jupe est plutôt plein de panache, vu qu’elle est habillée comme un sac et qu’elle s’offre à la caméra sans maquillage."
Y en a marre des remarques sur sa prise de poids ! Jamais on ne fait de remarques sur le vieillissement des hommes connus en revanche les femmes, c est des coups de matraque à répétition dès qu elles arrivent à 50 ans !
On l a tous vu qu elle a grossi, on l a tous vu qu elle le vit mal et fait tout le contraire de ce qu elle devrait faire - assumer ses rondeurs, la beauté est multiple- en attirant l attention du coup sur son "problème" à force de maladresse pour le cacher. Pas la peine d en rajouter des louches ; son attitude montre surtout sa fragilité et ce n est pas parcequ elle est célèbre qu’elle doit payer pour ne plus correspondre tout à fait à l’image - la fameuse image- qu’elle avait et au désir de certains hommes de voir les femmes comme des images et des images immuables.
Vous le dites vous meme, elle vieillit comme tout le monde et on a rien à rajouter là dessus. Et comme vous le dites aussi, elle n hesite pas à se montrer telle quelle dans l exercice de son métier. Ca, c est du pro.
Elle n a jamais fait partie des actrices que je prefere, mais j admire cette capacité à faire fi de ses tourments persos quant à son évolution physique, au service de ce rôle.
Quant aux thèmes abordés, ils sont une bouffée d oxygène en cette époque où la bien pensance et l auto censure règnent. Et la médiocrité, quand je vois les affiches de "coco" et le rabattage médiatique sur ce "film" et son acteur principal, c’est à se chopper de l urticaire pendant des années.
Donc bravo pour ce film et bravo à Isabelle Adjani.
M. Godin,
Puisque vous relevez l’âge d’Adjani, il ne vous aura pas échappé qu’à 54 ans, une femme traverse ou a traversé une période dite ménopause. Ce qui a pour inconvénient des changements voire des bouleversements physiques et physiologiques. Alors, fichez la paix aux femmes quelles qu’elles soient. Adjani a grossi et alors ? Cela n’a pas affecté son talent que je sache. et qd bien même… Elle a joué à cache chache et alors ? Pour mémoire, Adjani a subi les foudres de la rumeur sur un hypothétique sida savamment orchestré. Ca me parait pas difficile de comprendre sa réaction et son attitude après tant d’avanies.
je dirai meme que quand on évoque l age des hommes acteurs, c est pour encenser leur gain en charme et en épaisseur (je ne parle pas d epaisseur physique). Les fameuses tempes grisonnantes (ou blanchissantes), toujours un atout pour les hommes et strictement interdites aux femmes.
comment ça "cela pose probleme" ? Mais elle a parfaitement le droit d arreter de tourner et de parler à la presse ! C est un être humain, elle fait sa vie comme elle l entend ! Un acteur n appartient pas aux autres !
"obsédée par sa jeunesse" et alors ? C est surtout triste pour elle, mais c’est aussi le cas de centaines de millions de gens ! La presse dite "féminine" je ne la lis pas, il m arrive de la feuilleter dans les salles d attente et je fais toujours le meme constat ; je suis femme et ne me sens nullement concernée par cette presse, juste consternée par les diktats qu’elle sert à imposer, celui d’un type de beauté, celui du fric et de la glorification d’un système de castes.
Des photos d elle retouchées ? Mais la plupart des gens savent tres bien que la plupart des photos le sont, en ce siècle de mensonge publicitaire généralisé, de l humain objetisé, réduit, encore une fois, à une image. "ses photos sont juste ridicules". Je ne les ai pas vues, mais ce que ça m inspire c’est juste que c est dommage, pour elle comme pour tous les gens qui subissent les figures imposées de l’époque.
Partant de là, oui, ce qu elle a fait pour ce film est "courageux. Et très beau.". J’espère que cela l aidera à comprendre qu’elle a le droit d être telle qu elle est et que le regard des autres n’est pas forcément assassin.
J’adore le cinéma chinois et je n’ai pas vu le film dont vous parlez mais j’ai vu l’apparition d’Adjani à la télévision et je suis tout à fait d’accord avec votre critique de Woo.
C’est dire que votre papier me donne envie d’aller voir La journée de la jupe …