Souvent Alain (Finkielkraut) ne varie pas, fût-ce à intervalle de plus d’une (longue) décennie. En 1995, il avait, crânement, démoli dans Le Monde un film d’Emir Kusturica qui venait d’obtenir la Palme d’Or du Festival du Cannes, et qu’il présentait comme « de la propagande serbe la plus raboteuse et la plus mensongère » – mais dont il oubliait, il est vrai que ce n’était qu’un minuscule détail, de préciser qu’il ne l’avait pas (du tout) vu.
Et le voilà, treize ans plus tard, admirable fidélité aux rigueurs de l’esprit, qui dans Le Monde s’en prend aujourd’hui à un film, de Laurent Cantet cette fois-ci, qui vient lui aussi d’obtenir la Palme d’Or à Cannes et qu’il n’a pas vu non plus (du moins ne s’en cache-t-il pas), mais dont cependant il sait qu’il « symbolise la crise d’une civilisation où les grands textes n’ont plus leur place ». La récidive pourrait n’être que divertissante (et pourrait même inaugurer le genre, nouveau, de la critique préventive), mais elle a ici une valeur doublement documentaire.
D’une part, en effet, elle établit que s’il était un hôpital (plutôt que le penseur fin que le monde nous envie), Finkie n’hésiterait jamais à moquer la charité : car il excelle à déceler à ses pareils des ridicules dont lui-même n’est pas toujours exempt. Il estime, ainsi, que François Bégaudeau, qui est l’auteur du livre d’où Laurent Cantet a tiré son film, « a à ses pieds le chef de l’Etat », Nicolas Sarkozy, et on ne sait de quoi se nourrit exactement cette ahurissante assertion – mais ce qui est certain, c’est que ce n’est pas (du tout) à François Bégaudeau que le chef de l’Etat en question a prodigué en 2005 une très jolie flatterie, en affirmant qu’il « (faisait) honneur à l’intelligence française » et qu’il « (disait) des choses justes », mais bel et bien à Finkie.
De sorte que si vraiment Nicolas Sarkozy était aux pieds de Bégaudeau, alors il serait aussi, et par comparaison, la descente de lit de Finkie. Autre exemple, non moins probant, de cette propension à réclamer parfois ce dont soi-même on s’exonère : notre philosophe énonce que « la civilisation réclame le scrupule, la précision, la nuance et la courtoisie ».
Mais, scrupule ? Précision ? Nuance ? Courtoisie ? Précisément ce sont les disciplines, entre toutes, où Finkie, certaines fois, est un peu en deçà de son propre niveau d’exigence(s) – comme lorsqu’il se lance, impromptu, dans le commentaire sportif, et pose que : « On nous dit que l’équipe de France est admirée parce qu’elle est black-bkanc-beur (…). En fait, aujourd’hui, elle est black-black-black, ce qui fait ricaner toute l’Europe. Si on fait une telle remarque en France aujourd’hui, on va en prison, mais c’est quand même intéressant que l’équipe de France de football soit composée presque uniquement de joueurs noirs… »
L’autre intérêt documentaire de la tribune que Le Monde publie aujourd’hui est de rappeler, pour qui l’aurait par inadvertance oublié, que Finkie, c’est assez cocasse, continue de se vivre, nonobstant la faveur d’un homme qui n’est pas exactement ultraminoritaire, puisqu’il s’agit de Sarkozy (et comme si justement cet homme ne régnait pas sur le pays), comme une espèce de résistant à une imaginaire tyrannie altermondialiste.
Usant d’une ironie où s’entrevoit une longue fréquentation de l’humour des Monty Python, il déclare ainsi qu’ « il incombe désormais aux créateurs de nous révéler que Bush est atroce, que la planète a trop chaud, que les discriminations sévissent toujours et que le métissage est l’avenir de l’homme ».
Puis Finkie trouve, pour conclure, des accents orwelliens (il a décidément l’inspiration anglaise), et (nous) prévient gravement que : « Portée par un désir de propagande décidément insatiable, l’idéologie règne et veille à ce que notre vie tout entière se déroule entre les murs du social » (qui est comme on sait une prison).
Dans le monde réel, évidemment, et sous le règne de l’homme-qui-trouvait-que-Finkie-disait-des-choses-justes, les cadeaux faits aux riches et la traque des sans-papiers nous prémunissent contre l’excès de sensibilité au « métissage » et au « social » contre quoi Finkie nous fait un rempart de sa pensée. Mais ne pas lui dire que la droite est partout : il croit, très manifestement, que de belles idées sont au pouvoir…
Très courageux ce billet sur Finkie ! Vraiment ! On imagine les risques qu’a dû prendre son auteur pour l’écrire… C’est vrai qu’il n’y a rien de plus risqué de nos jours que de s’en prendre aux "intellectuels médiatiques"…
Mais au fait Sébastien, avant de parler d’un type qui a parlé d’un film qu’il a pas vu, t’as vu le film en question ? T’as vu Underground ? T’as vu Entre les murs ?Ha ! Ca ça serait intéressant ! D’ailleurs t’en penses quoi toi ? Est-ce que t’en "penses" seulement quelque chose ?
C’est peut-être ça qui fait que tu seras jamais autre chose que ce que tu es : un commentateur frileux qui n’aime pas se mouiller mais qui se gêne pas pour cracher son fiel tout autour de lui. Toi, tu parles de Finkie à longueur de temps, c’est ton fond de commerce, t’as même écrit un bouquin sur lui. Lui, il n’a jamais rien écrit sur toi (si si, je t’assure). Ta personne ne l’inspire pas. Il n’en pense rien. Ben ouais quoi, t’écris un papier - un peu long en plus - en t’épargnant la controverse, l’échange d’idées. Si tu lisais les livres de ton copain Finkie plutôt que de t’ulcérer sur 3 phrases parues dans la presse, là il y aurait peut-être - je dis bien peut-être - matière à hausser le niveau du débat. Mais pour ça, il faudrait que tu commences par aller ouvrir ses livres… a moins que tu n’attendes qu’il n’aille ouvrir le tien (les tiens ?). Là c’est vrai, ça peut prendre du temps…
bonjour
Et bien, c’est dommage que je ne sois pas tombé sur cet article plus tôt car je me serais répandu en fiel et je n’aurais pas cette amertume qui m’étreint aujourd’hui.
Aujourd’hui, je n’ai qu’une chose à dire : par quel sorte d’aveuglement peut-on évoquer "Entre les murs" seulement à travers l’article de Finkielkraut ?
Le discours idéologique tenu par Laurent Cantet et François Bégaudeau sur l’éducation est autrement plus inquiétant que ce que pense Alain Finkielkraut.
Une preuve extraordinaire existe, c’est la distance que prend aujourd’hui Philippe Meirieu avec le film dans un entretien accordé à Politis, avec cette phrase en forme d’aveu : "j’ai peur que l’on dise voilà donc l’école de Meirieu".
Et bien oui, l’école de Meirieu, c’est ça : des profs désabusés à qui il ne reste plus que l’affectif dans les relations avec les élèves pour trouver un sens à leur métier, tellement ils sont livrés à eux-mêmes face à la connerie pédagogiste et IUFMesque.
que Bégaudeau veuile transformer son échec personnel de professeur en victoire au travers d’un roman puis d’une fiction en dit assez long sur la démesure de l’égo de cet homme.
Mais on n’est pas obligé d’être dupe et surtout de continuer à croire qu’il existe une pédagogie de gauche, humaniste, et une pédagogie de droite, autoritariste.
Ce discours, c’est le seul qui peut encore sauver l’usine à gaz de Meirieu, la loi Jospin de 1989, les méthodes mixtes de lecture, l’élève au centre du système et tout ce qui détruit la transmission du savoir.
La grossière erreur de perspective de cet article a quelque chose de criminelle : Finkielkraut et les louanges que lui chantent Sarkozy, on s’en fout ! C’est de la mort de l’instruction publique dont on parle.