La discussion sur le projet de loi pénitentiaire se poursuit aujourd’hui au Sénat avec la lecture de dispositions importantes traitant des droits des personnes détenues.
L’OIP prend acte de l’introduction dans le texte de la notion de dignité des personnes détenues, notion fondamentale sous-jacente à l’exercice des droits de l’homme (article 10). Bien que de portée concrète limitée dans l’actuelle rédaction, la force de cette reconnaissance est notable, car « en précisant que chaque personne détenue a droit au respect de sa dignité, nous nous engageons tous à garantir ce droit », a dit le sénateur LECERF, rapporteur du projet de loi.
En revanche, le Sénat a entériné hier soir la marge de manoeuvre laissée à l’administration pénitentiaire pour restreindre l’exercice des droits des personnes détenues, ces restrictions pouvant désormais, avec un tel texte, être justifiées par la « personnalité » de la personne, et/ou résulter « des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes » (article 10). Un « énoncé flou [qui] confère depuis longtemps une autonomie considérable aux établissements pénitentiaires, qui peuvent en déduire ce qu’ils souhaitent », pour reprendre les termes du sénateur MERMAZ. Au vu d’une telle rédaction, l’OIP ne peut que craindre que, sous couvert d’une reconnaissance purement formelle, la personne détenue demeurera subordonnée au bon vouloir de l’administration pénitentiaire pour l’exercice de ses droits alors même que seule la liberté d’aller et de venir lui est retirée du fait de sa peine de prison.
Autre introduction déplorable, l’obligation d’activité : « Toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée » (article 11 ter). Une obligation qui vise la personne détenue, sous peine de s’exposer à des sanctions disciplinaires, sans pour autant imposer à l’administration pénitentiaire l’obligation d’offrir un véritable choix d’activités intéressantes. Pire encore, l’autonomie de la personne détenue s’annonce bafouée avec l’adoption d’un disposition obligeant les personnes « ne maîtris[ant] pas les enseignements fondamentaux » à apprendre la lecture, l’écriture et le calcul, et à celles ne « maîtris[ant] pas la langue française » de l’apprendre.
Enfin, le texte reste grandement à améliorer sur le volet du droit du travail applicable aux personnes détenues. Écartées de la législation du travail, celles-ci restent privées du bénéfice de tous les droits et de toutes les protections individuelles et collectives qui sont attachées au droit commun : salaire décent, encadrement des procédures d’embauche, de la durée du travail, ou des modalités de licenciement, à la formation, aux congés-payés, ou aux indemnités journalières en cas d’accident du travail ou de maladie ; possibilité de cotiser à l’assurance-chômage, d’émettre une réclamation, ou d’être représenté auprès de l’employeur. Pourtant, il a bien été réaffirmé au cours du débat qu’ « il faut garantir les droits des détenus en les rapprochant plus possible du droit commun » (Sénateur ABOUT). Seule avancée, la reconnaissance d’un taux horaire minimum de rémunération indexé sur le SMIC. L’OIP restera attentif à ce que cet apport minimum soit suivi d’effet. Et au-delà de cette garantie de base conditionnant le versement d’un salaire décent aujourd’hui nié aux personnes détenues, l’OIP rappelle que la France est aujourd’hui dotée d’une des législations les plus archaïques d’Europe pour ce qui est du travail en prison. En l’état le texte ne remédie pas à cette situation. Car « un travail sans droit et sans contrat n’est pas un travail. Trop éloigné du régime du travail à l’extérieur, il ne peut préparer une future réinsertion » soulignait en 2002 le sénateur Paul Loridant dans son rapport Prisons : le travail à la peine.
Le débat se poursuit actuellement avec l’examen de dispositions relatives au maintien des liens familiaux des personnes détenues. L’OIP sera également particulièrement vigilant aux débats cruciaux portant sur la procédure disciplinaire, les fouilles, les voies de recours, et les régimes différenciés, demandant aux sénateurs de ne pas entériner des régressions considérables à l’exercice du droit des personnes détenues, la garantie de ces droits étant pourtant un enjeu pourtant fondamental de ce projet de loi, comme l’a indiqué la Garde des Sceaux dans son intervention introductive.
Reste à espérer que la procédure d’urgence décidée par le Gouvernement sera levée , car "la navette parlementaire est l’une des conditions de l’approfondissement du débat politique et de l’amélioration du travail législatif.", comme le disait le Président Hyest dans son rapport du 11 juin 2008 fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Une demande soutenue par de nombreux parlementaires, y compris les Présidents des deux assemblées, et le rapporteur du projet de loi pénitentiaire au Sénat.
Lire ou relire dans Bakchich :
Les Sénateurs ont infligé un camouflet à Rachida Dati en adoptant contre l’avis du gouvernement le principe de la détention en cellule individuelle.
Si cette partie est inscrite dans la future loi pénitentiaire, au vu de la surpopulation carcérale actuelle, il va falloir faire de nombreuses libérations. Et si on commencait par celle de Coupat et Colonna… ?!
"Pire encore, l’autonomie de la personne détenue s’annonce bafouée avec l’adoption d’un disposition obligeant les personnes « ne maîtris[ant] pas les enseignements fondamentaux » à apprendre la lecture, l’écriture et le calcul, et à celles ne « maîtris[ant] pas la langue française » de l’apprendre."
Amusant comme on peut dire tout et son contraire.
Il me semble que tout le monde est d’accord pour dire que la période d’emprisonnement doit être mise à profit pour préparer un retour réussi au sein de la société …
Il me semble que savoir lire, écrire, compter ou parler français est un atout important dans cette perspective.
Critiquer cette mesure est donc un non-sens. Il faut choisir : être constructif ou pleurnicher pour un oui ou un non
Sans vouloir interpréter les positions de l’OIP, il me semble à moi que la punition consiste en la privation de liberté. Obliger les personnes emprisonnées à effectuer une activité qu’elles ne choisiraient pas forcément spontanément peut être perçu comme une nouvelle punition. Préparer un retour réussi à la vie sociale suppose aussi que le détenu est placé dans des conditions qui lui fassent souhaiter de se réinsérer. Si une personne est contrainte à se former, peut-être en nourrira-t-elle du ressentiment et utilisera-t-elle sa nouvelle compétence à devenir criminelle de manière plus efficace.
Ce n’est donc pas forcément souhaitable, même si on supposait une administration pénitentiaire parfaitement compétente et dotée de tous les moyens souhaitables, ce qui est une hypothèse comme une autre ; mais on peut aussi imaginer des formations dérisoires et humiliantes par leur nullité même.
Il ne suffit pas d’avoir mauvais esprit, il faut aussi s’en servir pour réfléchir.
Vous m’avez convaincu !
Mieux vaut ne pas chercher à préparer une sortie de prison réussie. On ne sait jamais, ça pourrait braquer (ah ben, elle est bien bonne celle-là !)les détenus ce qui n’est pas souhaitable.
De plus, je pense comme vous qu’il n’est pas souhaitable de proposer une formation de serrurier à un cambrioleur ou des cours de médecine légale à un tueur en serie…
PS : J’adore votre conclusion !