Suspecté d’avoir revendu des infos sur les enquêtes policières à diverses barbouzes, le commissaire Moigne ne faisait peut-être que perpétuer une tradition bien ancrée dans la maison Poulaga, la « tricoche ».
Même mis en examen le 14 mars dernier pour « corruption passive d’une personne dépositaire de l’autorité publique », le commissaire divisionnaire Moigne restait il y a encore quelques jours un fonctionnaire à « la bonne réputation » (voir son itinéraire en cliquant ici). Ce que rappelait Le Parisien citant une source policière, laquelle invitait à la prudence comme à la présomption d’innocence : « Les faits ne sont, peut-être, pas aussi clairs qu’on pourrait le dire ». Une semaine plus tard, guère plus de clarté mais un climat qui a déjà bien changé. Le patron de la brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP), l’un des fleurons de la prestigieuse brigade financière de la rue du Château-des-Rentiers, à Paris, a non seulement été écroué à la Santé, mais le commissaire est désormais décrit comme un fonctionnaire « moyen » par Le Monde (26/03).
On sait qu’il est reproché au policier d’avoir monnayé des informations confidentielles, ce au profit notamment de cabinets d’intelligence économique. Moigne aurait notamment consulté plusieurs centaines de fois le STIC, un fichier de police qui recense, de façon d’ailleurs approximative, les infractions commises. Il est aussi soupçonné d’avoir transmis des informations sur des enquêtes en cours. Et ceci indirectement au profit de grands groupes et, notamment, de Total, dont le nom a immédiatement été avancé dans ce dossier. Le groupe pétrolier aurait pu être informé à l’avance de perquisitions dans des affaires sensibles tel que le dossier « pétrole contre nourriture » instruit par le juge Courroye.
Dans le jargon policier, on appelle les faits reprochés au flic « de la tricoche ». Une pratique très solidement ancrée dans les mœurs policières à mesure que pullulent les cabinets d’intelligence économique, eux-mêmes peuplés d’anciens policiers, ou membres de services secrets, et recrutés pour leur capacité à puiser des informations au sein des services dont ils sont issus.
Faire de la tricoche, pour un fonctionnaire, permet donc de mettre du beurre dans les épinards comme de préparer sa reconversion à l’heure de la retraite. Situation parfaitement connue des autorités et même tolérée (voir encadré ci-dessous). Cela ne signifie pas pour autant que la situation ne soit pas sous contrôle, comme l’explique à Bakchich le responsable d’un important syndicat de police. « Si, comme Moigne, je consulte plusieurs centaines de fois le fichier du STIC, je sais pertinemment que tous les clignotants vont s’allumer au rouge et que je vais être immédiatement repéré. Moigne le sait évidemment aussi. S’il le fait, c’est qu’il pense pouvoir se le permettre ».
Et de rappeler que, dans une précédente affaire de tricoche – qui avait défrayé la chronique au profit de la famille royale saoudienne –, le cabinet privé mis en cause avait son siège à deux pas de la place Beauvau…
Placé à la tête de la brigade des fraudes aux moyens de paiement, le commissaire Moigne occupait un poste justifiant un recours intensif au STIC et lui permettant l’accès à de nombreuses investigations financières. Ajoutons que les bricolages du commissaire semblaient relever du secret de polichinelle sur la place de Paris. Et, selon des proches, il n’ignorait pas que, depuis des mois, des investigations poussées étaient en cours au Château-des-Rentiers. « Il savait que la financière était sur écoute, mais se croyait intouchable », assure à Bakchich l’une de ses bonnes connaissances.
Pas dupe, l’un de ses collègues de la brigade financière déclare : « On voyait bien que Moigne grenouillait autour des brigades sensibles, comme pour avoir des infos. On s’en méfiait un peu ». Le ministère de l’intérieur, par la voix même de Mme Alliot-Marie, a réagi à sa mise en examen avec une promptitude inhabituelle. La ministre justifiant sa suspension du fonctionnaire en évoquant « la gravité des faits ».
Rares sont les commissaires à être jeté en prison. Subite volonté du gouvernement de mettre un coup d’arrêt brutal à des pratiques connues et tolérées depuis des années ? Ou bien règlement de comptes bien plus sérieux au sein de la « haute police » et dont le commissaire présumé « ripoux » ne serait que la cible apparente ?
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Le commissaire Moigne, ses états de service
150 000 salariés et plus de 5 milliards de CA, le marché de l’intelligence économique offre d’innombrables possibilités de reconversion ou de seconde carrière aux policiers ou aux gendarmes.
En 2000, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, avait tenté de contenir ce phénomène qui met à la disposition du secteur privé des informations censées être contrôlées par l’État.
Un projet de loi avait été voté pour interdire les cinq ans suivant leur départ de l’administration leur embauche par un cabinet d’intelligence économique.
Distraction ? « Le décret d’application de ce texte n’a jamais vu le jour », relèvent les auteurs du livre Place Beauvau, la face cachée de la police (Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé, Ed. Robert Laffont, 2006)
A la fin du mois un procès se tient à Marseille sur une affaire datant de 2005 et d’une ampleur bien plus grave (10 personnes inculpées).
Un policier vendait des info depuis plus de 3 ans et aurait gagné 150 K€ sous la table selon la presse.
Bakchich devrait s’y intéresser…