Si les petits arrangements financiers de l’UIMM ont été (en partie) mis au jour, ceux des syndicats censés défendre les salariés restent à ce jour encore tabous. Dans un livre, « L’argent noir des syndicats » (Fayard), le philosophe et journaliste Roger Lenglet, et deux syndicalistes, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont, révèlent, preuves à l’appui, les magouilles des syndicats, qui dépendent notamment un peu trop… du patronat.
C’est une enquête stupéfiante, qui devrait faire du bruit. Pour la première fois, le voile se lève sur un sujet tabou, « l’argent noir des syndicats ».
Depuis le début de l’affaire des fonds secrets patronaux de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), le doute se propage.
Qui a été arrosé par l’UIMM, notamment avec les 20 millions d’euros en espèces destinés à « fluidifier les relations sociales », selon l’expression imagée de Denis Gautier-Sauvagnac, le puissant boss de l’organisation patronale, éjecté de son poste ? Les syndicats de salariés, mal à l’aise, ont tous protesté de leur bonne foi et DGS a promis de ne rien dire.
Le livre du journaliste Roger Lenglet, et des syndicalistes Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont n’apporte pas de révélations majeures sur ce scandale entre les mains de la justice. En revanche, l’affaire de l’UIMM n’est visiblement qu’un révélateur de pratiques plus générales entre patronat et syndicats, qui vont de la subvention déguisée à la corruption pure et simple… Dans une absence totale de transparence. Il est vrai que la loi Waldeck-Rousseau de 1884 sur les syndicats leur permet de se dispenser de toute justification sur l’origine de leurs fonds et sur l’identité de leurs adhérents. Ils ont même le droit de détruire chaque année leur comptabilité afin de ne pas laisser de trace ! Un comble. Censé protéger les syndiqués de toutes représailles ciblées, ce système légal est aujourd’hui totalement archaïque.
La réalité, telle que la narrent les auteurs, est bien plus accablante qu’on ne le croit. Les syndicats ont besoin d’argent. Or, ils ont de moins en moins d’adhérents, puisque les cotisations couvrent probablement moins de la moitié de leurs dépenses. La désyndicalisation et la bureaucratisation de syndicats émiettés vont de pair. Résultat : le système D règne. Et les dérives se multiplient.
L’UIMM, par exemple, reste muette sur les subsides qu’elle verse discrètement aux syndicats depuis des années. Or elles existent bel et bien, selon les auteurs. (Bakchich, dès demain, en révélera d’ailleurs quelques exemples très concrets) !
D’autres PDG anonymes, cités dans le livre, évoquent des pratiques plus tangentes, des petits cadeaux qui entretiennent l’amitié… et permettent d’assurer un climat social très calme dans l’entreprise : « Je reçois moi-même, lors de chaque élection professionnelle de délégués du personnel, les salariés élus pour leur proposer des petits cadeaux, un véhicule de fonction et un téléphone portable. En contrepartie, ce que je demande, c’est qu’ils me préviennent afin de régler en amont et en petit comité tout litige qui pourrait déraper. » Pis : les permanents de certains syndicats viennent demander quelques services, en échange de leur promesse de calmer les revendications.
Daniel Guerrier, délégué CGT jusqu’en 2000, témoigne, lui, à visage découvert : « j’ai souvent vu des délégués du personnel prendre leurs ordres auprès de la direction pendant des repas régulièrement offerts par les cadres dirigeants, au cours desquels on se tutoie et on baisse un peu la voix en abordant certains sujets comme le renouvellement du portable ou de la voiture, en passant par les primes spéciales et les horaires allégés, l’embauche de parents ou amis. »
Ces pratiques seraient, selon les auteurs, très répandues, par exemple, dans le secteur de la construction ou du nettoyage. Là, les employeurs désigneraient carrément eux-mêmes certains syndicalistes de manière à éviter les soucis. Moyennant quelques avantages salariaux et appartements attribués aux heureux délégués. Même la CGT a du mal à discipliner ses troupes dans le monde atomisé du nettoyage…
Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. Les syndicats sont aussi gentiment arrosés par des pages de pub dans leurs revues internes. Pages qui peuvent êtres payées jusqu’à 100 000 euros « sans que personne ne puisse expliquer leur intérêt commercial ». Les auteurs notent que la presse CGT a un « penchant prononcé » pour les pubs venant notamment des assureurs Satec, Macif, Axa, MMM, Assurance Sport et Tourisme, les groupes Dassault, EDF, SNCF, Air France, Suez, Veolia, France Télécom, l’alcoolier Pernod-Ricard, le Patis 51 et le champagne Henri-Guiraud…
Par ailleurs, les collectivités locales, les caisses de retraite complémentaires et l’argent de la formation professionnelle (voir l’encadré) contribuent, eux aussi, à irriguer les syndicats, de manière directe ou indirecte, comme plusieurs rapports de l’Inspection des affaires sociales et de la cour des comptes l’ont déjà dénoncé, sans véritable suites. Pire : les 400 millions d’euros de subventions destinées à l’insertion professionnelles des personnes handicapées seraient en partie détournées vers d’obscurs « conseillers techniques ». Sans que personne ne s’en émeuve vraiment !
« Chaque branche professionnelle (agro-alimentaire, chimie, commerce, métallurgie, etc) possède son organisme agréé collecteur de taxes : Agefos PME, Fongecif, Opcareg… On en compte une centaine, lesquels sont gérés de façon paritaire par les syndicats patronaux et les syndicats de salariés.
Cette gestion paritaire favorise-t-elle le contrôle mutuel de l’emploi de cet argent par les partenaires sociaux ? En principe, oui. D’ailleurs, on s’attendrait à entendre de temps en temps quelque cri marquant des désaccords,… Mais non, aussi étonnant que cela puisse paraître, les partenaires sociaux semblent aspirer à la concorde et ne souffrir d’aucun conflit. Chacun d’eux choisit ses centres formateurs en fonction de sa sensibilité et décide de l’orientation des formations, de leur contenu, du nombre réel de stagiaires… L’existence de ces centres est organiquement lié au syndicat qui fait appel à leur service, dès leur création. Et l’allégeance est complète.
"Pour récupérer en partie l’argent de la formation professionnelle, on s’arrange avec les centres formateurs qui surfacturent leurs prestations – ou facturent carrément des formations fictives – et l’on reverse ensuite discrètement aux syndicats une partie des bénéfices indus" nous explique un témoin direct (…)
Dans un rapport remis en 2007, la Cour des comptes montrait plus d’assurance : "rares sont les organisations professionnelles qui présentent de véritables justificatifs même plus ou moins détaillés, correspondant à des services effectivement rendus". »
© « L’argent noir des syndicats », Fayard 2008
A l’arrivée, le constat du livre est accablant, que ce soit dans les entreprises privées comme dans le cas des entreprises publiques, tels qu’EDF ou la SNCF, où les abus – narrés en détail – sont légion. Le système de financement des syndicats – patronaux et de salariés – est bancal, opaque, perméable à la corruption, sans règles ni contrôles. Il serait grand temps de le réformer, au moins pour lui donner plus de transparence. Et éviter de désespérer ceux qui continuent de militer en toute bonne foi.
« L’argent noir des syndicats », Roger Lenglet, Jean-Luc Touly, Christophe Mongermont (Fayard) sortie le 17 mai, 302 pages, 19 euros
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