Ce lundi, le tribunal de grande instance de Paris doit se prononcer sur l’affaire qui oppose Hervé Morin, ministre de la Défense, ainsi que Guy Parayre, directeur de la gendarmerie nationale, aux animateurs de l’association « Forum gendarmes et citoyens ». Ces rebelles, contraints à la démission après avoir introduit un peu de débat au sein de la Grande Muette, ont décidé d’en référer à la justice.
Gendarmerie et citoyenneté ne font pas bon ménage. C’est pour avoir osé soutenir l’inverse que l’association « Forum gendarmes et citoyens » ferraille sec aujourd’hui contre son ministre de tutelle, Hervé Morin, et contre le général Guy Parayre, directeur de la gendarmerie nationale. Tout ce beau monde s’est donc retrouvé – par avocats interposés – dans le prétoire, jeudi 5 juin, une heure durant, devant le vice-président du tribunal de grande instance de Paris. Le TGI doit rendre sa décision, lundi 9 juin, et faire droit ou pas aux adhérents de cette association qui demande l’annulation de l’ordre qui leur a été intimé de démissionner. En clair, les insolents gendarmes visent à poursuivre leur activité associative « dans le respect de leur statut de militaires », affirment-ils.
Signe de leur détermination, ils n’ont pas hésité à traîner leur hiérarchie en référé devant le juge judiciaire, cet intrus garant des libertés, pas franchement familier de la grande famille peu diserte de l’armée. Une grande première pour cette association surgit et dûment enregistrée en préfecture de Brest, début avril 2008, et dont l’objet consiste, selon Jean-Hugues Matelly, son vice-président, « à ce que tout le monde puisse s’exprimer sur la transparence, la qualité et l’information du service public qu’est la gendarmerie. » Et non pas, comme le dénonce sa tutelle, « d’agir en groupement à caractère syndical », assène M. Matelly, qui tient à s’exprimer « en tant que civil », bien que commandant de gendarmerie, en poste, à Amiens.
Une association de type loi 1901 chez les gendarmes ?! Tonnerre de Brest ! Après quelque atermoiement, Guy Parayre, le patron de la gendarmerie nationale, a opté pour la manière forte. Histoire de faire cesser l’intolérable trouble, les huit gendarmes, membres du conseil d’administration du Forum, ont reçu, fin mai, une missive aussi brève que limpide. Ordre leur a été donné de démissionner sous huit jours et de rendre compte devant leurs supérieurs ! Ni plus, ni moins. Pas question que les langues se délient au sein de la Grande Muette qui décèle dans cette association un embryon de syndicat qu’il faut stopper net, au moment où les pandores s’apprêtent à passer, au 1er janvier 2009, sous le contrôle de l’Intérieur. Une promesse réitérée par le président de la République en personne, le 29 octobre 2007, sous la bien nommée Arche de la défense. Le commandant Matelly a beau s’en défendre, sa hiérarchie voit dans l’article 2 de l’association qu’il préside un péril revendicatif qu’il faut coûte que coûte tuer dans l’œuf. « Les militaires n’ont pas le droit d’adhérer à un groupement professionnel à caractère syndical », soliloque-t-on aussi bien à l’Hôtel de Brienne, qu’au 35 rue St Didier, siège de la direction de la gendarmerie nationale. Rompez !
Qu’à cela ne tienne, ces obstinés, touchés dans leur dignité d’officiers et arguant de leur bon droit, ont osé une défiance supplémentaire, le 2 juin, en assignant en référé devant le TGI de Paris, Hervé Morin, en qualité de ministre de la défense, ainsi que le général Guy Parayre, leur patron. Une première dans les annales de la justice et une petite victoire en soi pour les adhérents du Forum, le juge judiciaire leur ayant reconnu qualité pour agir. Obstinés, ils contestent mordicus l’injonction qui leur a été faite de démissionner. Rien que ça. Et pour ce faire, les malfaisants ont usé d’une procédure fort peu répandue chez les galonnés, celle dite de « la voie de fait », dont l’originalité, que goûte fort peu l’administration, consiste à saisir le juge judiciaire garant des libertés, celle d’association au premier chef. « Nous soutenons que l’ordre de démissionner, au motif que l’association serait un groupement professionnel à caractère syndical, est une voie de fait. Ce n’est pas à l’administration de dire si l’association est de nature syndicale ou pas », assure David Dassa Le Deixt, l’avocat du commandant Matelly. La procédure choisie fait, elle, l’unanimité. « C’est inédit dans l’histoire de la gendarmerie, reconnaît le lieutenant-colonel Pierre Bouquin, responsable du service de presse du SIRPA. Mais ça n’est pas parce qu’il a accepté l’assignation que le juge judiciaire va s’estimer compétent », relativise-t-il, goguenard, guettant de pied ferme la décision du lundi 9 juin.
Même son de cloche de la part de Me François Steinmetz, conseil du ministre de la défense et du patron de la gendarmerie nationale, accessoirement rejeton de Pierre, ancien directeur de la maison pandore. « Les militaires ne sont pas des citoyens comme les autres. Ils doivent respecter les textes applicables, pas plus, pas moins. En tout état de cause, mes clients n’ont pas la volonté de s’acharner sur qui que ce soit. » Vite dit. Car le matricule de Jean-Hugues Matelly n’est pas inconnu au ministère de la défense. Pour la noble institution, le gradé récalcitrant incarne un dangereux récidiviste. Pour s’être exprimé au micro de RTL les 23 octobre et 12 novembre 2007, le commandant a hérité, le 8 janvier 2008, d’un « blâme » du ministre de la défense lui-même. La sanction la plus élevée dans celles de premier niveau, infligée en son temps au général Henri Poncet coupable, pour peccadilles, d’avoir couvert le meurtre d’un ressortissant ivoirien. Qui aime bien, châtie bien. C’est dire si la hiérarchie apprécie le commandant Matelly qui a aussitôt formé un recours pour excès de pouvoir contre la sanction du ministre…
Poussés dans leurs derniers retranchements, les militaires se sont découverts une soudaine passion pour la procédure. Ainsi, pour faire bonne mesure, le préfet de police de Paris Michel Gaudin a déposé illico un déclinatoire de compétence destiné à contester la compétence de l’ordre judiciaire. On n’est jamais trop prudent… Respectueux de leur statut, le commandant Matelly et ses sept collègues du Forum ont vite fait d’obtempérer à l’ultimatum de leur chefferie. Ils ont tous démissionné de l’association mais attendent, eux aussi, gourmands, la décision du juge judiciaire. Que celui-ci se déclare compétent et le risque est grand qu’il annule l’ordre du général Parayre, retraité au 30 juin. Pas de pot pour Roland Gilles, son second, qui devrait hériter de la patate chaude. Dans la négative, les képis recalés pourront toujours saisir les tribunaux de l’ordre…administratif. N’empêche. De mémoire de gradés, c’est bien la première fois que l’institution reçoit pareil camouflet. Pas de sitôt qu’on oubliera l’audience du 5 juin 2008 et l’audace de renégats, pas mécontents d’avoir convié la hiérarchie devant un intrus, fut-il juge ! Si maintenant on ne peut même plus laver son linge en famille, alors…
Pour connaître la suite des aventures des gendarmes rebelles, lire dans Bakchich :
Le gouvernement va essayer de virer le chef d’escadron Jean-Hugues Matelly, mais cela pourrait se révéler extrêmement déstabilisant pour « Bling-bling ».
Je vous recommande la note intitulée « IL FAUT SAUVER LE GENDARME MATELLY !… » sur le Blog Alerte éthique :
http://euroclippers.typepad.fr/alerte_ethique/
Jean-Charles Duboc