Le 21 mars dernier, le service de presse de l’ambassade de France en Chine faisait part sur son site web de son admiration pour la couverture des émeutes au Tibet par les médias chinois…
Fidèle au poste, le service de presse de la vénérable ambassade de France en Chine a pondu, le 21 mars, une lettre d’information consacrée à la couverture des émeutes au Tibet par les médias chinois. Vaste programme. Si la description des articles de presse et images diffusées à la télévision est conforme à la réalité, l’analyse de l’ambassade dérape, elle, en beauté. La position officielle de la France a beau être « filer doux avec l’ami chinois », rien n’obligeait la représentation diplomatique à s’extasier de la sorte devant la nouvelle « communication de crise » de Pékin.
Après avoir rappelé à juste titre que la CCTV, la télé nationale chinoise, figure parmi les premières à avoir diffusé des images triées des émeutes, l’ambassade passe vite sur les commentaires accusant « la clique [1] du Dalaï Lama » d’avoir fomenté les troubles, avant de s’embourber. Pour de bon. En clair dans le texte : « en choisissant de montrer autant, il semble que celui-ci [le régime chinois] ait résolument pris le risque que les émeutes s’étendent par mimétisme. (…) Elles [les images de la télé chinoise] étaient par ailleurs moins terrifiantes que celles qu’on pouvait voir dans le reste du monde sur les télévisions ou sur internet. » Brrrr… Et la cerise sur le gâteau : « il y avait ainsi quelque audace sur le plan intérieur à publier ces images. Un tel niveau de transparence était en tout cas inédit. »
À ce stade, c’est plutôt l’internaute français expatrié en Chine qui doit trouver inédite la prose de son ambassade. Mais poursuivons, le reste vaut son pesant d’or…
Suffoquant d’admiration devant l’audace de la stratégie de communication chinoise, la vénérable représentation tricolore se devait d’en remettre une couche : « quelle que soit l’interprétation que l’on a des évènements, il faut donc constater que l’opinion publique chinoise a depuis le 20 mars librement accès à la plupart de l’information visuelle que l’on peut voir par ailleurs dans le reste du monde. » Bien entendu, à part une petite allusion au site de partage de vidéos YouTube devenu « soudain inaccessible depuis la Chine », par l’opération du saint-esprit sans doute, pas un mot sur les censures intermittentes dont ont été victimes des médias tels que la BBC ou CNN.
Même topo pour le traitement des émeutes sur le Net par les principaux sites chinois. Après avoir osé rappeler que les évènements au Tibet ont déferlé avec un brin de retard sur le web chinois, l’ambassade de France à Pékin se presse de chanter les louanges du « vent libéral » qui « a soufflé sur l’internet chinois » où « on a pu y lire des commentaires pour le moins audacieux » ! Des messages qui l’étaient parfois, comme celui-ci qui a visiblement échappé à la censure : « suivons l’exemple du peuple tibétain ! Respect au peuple tibétain ! ». Ou encore « avant, je ne regardais jamais les actualités politiques. Mais à midi j’ai vu le premier ministre Wen qui rencontrait des journalistes étrangers. Je trouve que c’est très excitant. J’ai soudain l’impression d’être fier d’être chinois ». Et l’ambassade de France est-elle fière d’elle ?
Lire ou relire dans Bakchich.info :
Entre la Chine et le dalaï lama, la guerre de com’ est lancée
[1] Au sujet de l’expression « clique du Dalaï Lama », il est intéressant de noter que dans sa version en chinois, Pékin a utilisé l’expression « ti tuan », qui se traduit en français par « le regroupement de gens ». L’agence officielle Xinhua (Chine Nouvelle) en a décidé autrement, préférant le mot péjoratif de « clique ».
Indispensable avis ? heu…pas vraiment …
Cet article me fait penser au titre d’un album de SuperTramp "Crisis, what crisis ?", sauf que la trempe est ici administrée sans être correctement relatée.
Dire que le bouquet des chaines chinoises sur FreeTV en France s’appelle "la Grande Muraille"…
tout un programme qui annonce l’ouverture !
Ici, un billet qui n’a aucune prétention journalistique mais dont émanent quelques humeurs lhassées…
Bonjour Lara Mace,
Merci de parler de mon article. Cependant, il est signé, n’est pas sensé représenté l’opinion de l’ambassade de France, et toutes les erreurs qui pourraient s’y trouver sont donc exclusivement miennes.
Suivant la Chine de près depuis 1988, je n’avais jamais vu une communication aussi importante sur un sujet sensible, notamment à la télévision, et c’est ce dont j’ai voulu témoigner. J’ai la faiblesse de croire que la diffusion de ces images, ces confrontations d’idées, constituent peut-être un tournant pour l’opinion publique chinoise.
Sur le fond de la question tibétaine et de ce qui s’est exactement passé, je n’ai pris aucun parti dans cet article, donc merci de ne pas m’en prêter.
On voit encore une fois que le sujet est tellement émotionnel, qu’on ne peut que se faire critiquer en écrivant dessus. J’ai pris le risque de le faire, parce que j’aurais trouvé ridicule que ma revue de presse ne mentionne pas ces évènements importants.
Au plaisir de vous lire, de vous rencontrer et tenter de vous convaincre que nous sommes du même bord,
P.S : pour les autres commentateurs : je ne fais pas partie du Quai d’Orsay et ne suis pas diplomate.
Je précise que lorsque j’écris que "le niveau de transparence" de ces informations est inédit, je ne veux absolument pas dire qu’elles sont transparentes, mais qu’on n’avait jamais vu auparavant autant d’images sensibles à la télévision chinoise.
J’ai la faiblesse de croire, après de nombreuses recherches, que ce c’est un fait et non pas une opinion.
On n’avait tout simplement jamais vu d’images d’émeutes chinoises à la télévision ici. Et ce genre d’évènement n’avait jamais encore suscité un buzz internet aussi important. Il y a donc bien "quelque chose de nouveau sous le soleil" de Pékin.
Sur le fond, c’est à dire si ces images sont ou pas manipulées et ce qui s’est passé exactement, merci de noter que je n’ai exprimé aucun avis, ce qui est bien normal pour une lettre paraissant sur le site d’une ambassade. Vous êtes donc tout à fait dans votre rôle pour le faire, mais n’interprétez pas mon silence je vous prie.
Lorsque les premières images ont été diffusées à la télévision, je participais à un banquet familial avec une quinzaine d’amis chinois appartenant à plusieurs minorités, et j’ai vu leur réaction fascinée.
Par ailleurs, Pierre Haski, ancien correspondant de Libération en Chine, co-fondateur de Rue89, arrive à peu près aux mêmes conclusions dans le dernier ’Arrêt sur Image’. On ne peut pas non plus lui reprocher de flatter la censure chinoise !
Bien à vous,
Cher Renaud de Spens,
Je vous remercie pour votre message : rares sont les membres d’une ambassade qui ont le courage de répondre ouvertement et en leur nom propre à un article sur un forum internet.
J’ai bien noté que votre texte était signé de votre nom et que, dans votre message, vous signalez que "toutes les erreurs qui pourraient s’y trouver sont donc exclusivement miennes". Mais permettez-moi de préciser à nos lecteurs que votre texte est, d’une part, publié sur le site web officiel de l’ambassade de France en Chine et, d’autre part, qu’il est dûment estampillé "République Française" et "Ministère des Affaires Etrangères" ! De plus, dans le contexte ultra-sensible de la crise tibétaine, j’ai du mal à croire que le contenu du site internet de l’ambassade et à fortiori votre revue de presse n’ait pas été au moins validé par le conseiller politique en charge des affaires intérieures et/ou celui des affaires extérieures. Et si tel était le cas, est-ce normal pour une ambassade de cette importance ?
Vous pouvez nous contacter via cette adresse mail : redac@bakchich.info
Sincères salutations,
Lara Mace