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banlieues

Montréal-Nord, le feu aux poudres

28 août 2009 à 12h39
Non, France t’es pas toute seule ! Le Québec a aussi de menus soucis avec ses quartiers pauvres. En particulier dans l’arrondissement de Montréal-nord, où même les terrains de foot sont privatisés.

À l’instar des tristement célèbres incidents de Clichy-sous-Bois (banlieue de Paris), en 2005, voilà que les zones laissées pour compte de la métropole québécoise explosent de part en part. Le 09 août 2008 constitue, hors de tout doute, un détonateur alors que la force constabulaire abattait sans trop de formalités un jeune homme de 18 ans surpris en train de jouer aux dés avec des camarades dans un des secteurs chauds de l’arrondissement de Montréal-Nord.

Le jeune contrevenant (…) ne possédait pas de casier judiciaire et n’aurait jamais eu maille à partir avec les autorités. Toutefois, son frère ainé, lui, était bien connu pour ses frasques et certaines accointances avec les milieux interlopes. Peu de temps après, des émeutes auront éclatées dans les secteurs les plus chauds de l’arrondissement, témoignant de la colère larvée de larges pans de la population locale.

Forte d’une population d’environ 18 000 jeunes gens, l’arrondissement de Montréal-Nord constitue le pendant québécois des cités de la banlieue parisienne, une « zone de non-droit », selon l’expression reprise en boucle par les médias dominants. Mal desservies par les transports en commun, à cent lieux du centre-ville, certaines cités montréalaises ressemblent à des hameaux où les moins fortunés sont entassés dans des unités d’habitation à bon marché. Si les gangs de rue font régner une certaine terreur, il semblerait que la classe politique ait opté pour la répression sans autre forme de procès.

Instrumentaliser de nobles causes

Une année plus tard Montréal-Nord est, à nouveau, sous les feux de la rampe. Un mois avant la commémoration du 09 août 2008, les politiques ont tenté de calmer le jeu dans un contexte où la colère populaire gronde. Sentant la soupe chaude, les édiles de cet arrondissement excentrique auraient décidé de se faire du capital politique, selon certaines mauvaises langues.

Il est plus facile de prêcher de bonnes actions envers les populations du tiers monde que de prendre la peine de solutionner ce qui se passe chez nous. C’est ainsi que Zinédine Zidane est venu visiter les jeunes de Montréal-Nord, le samedi 27 juin 2009, dans le cadre d’un évènement-bénéfice au profit de l’UNICEF. Il apparait que cette visite aurait été instrumentalisée au bénéfice d’intérêts politiques et partisans.

En effet, un organisateur communautaire, Oscar Elimby, n’hésite pas à soutenir que « ceux qui profitent du passage de Zidane pour nous parler des efforts de l’UNICEF en faveur des camps de réfugiés ferment les yeux sur la pauvreté qui frappe nos jeunes d’ici. Mon UNICEF, à moi, c’est le mouvement populaire des gens de Montréal-Nord en faveur d’une meilleure équité en termes de justice sociale ! ». M. Elimby fait allusion, ici, à la brève allocution de la directrice générale d’UNICEF Québec, laquelle affirmait que « des enfants comme vous sont en train de jouer au soccer avec des ballons fournis par notre organisme… rajoutant qu’au moment où l’on se parle, il y a des enfants qui réclament le droit à l’éducation, au jeu, à la vie ». (…)

Retour sur une crise larvée

Alors que les médias locaux parlaient d’environ 1400 personnes à s’être déplacées pour « voir l’icône du ballon rond », des observateurs présents sur les lieux affirment qu’il y avait moins de 300 enfants… un grand nombre ayant été refoulé aux portes de l’Aréna Henri-Bourassa, en plein cœur de Montréal-Nord. Comble de l’ironie, c’est dans le périmètre de cet aréna que se trouve le seul terrain de soccer professionnel de l’arrondissement. Cet espace béni des dieux est le lieu de toutes les convoitises, ce qui expliquerait bien des tensions locales.

C’est, d’ailleurs, à deux pas du stationnement de l’aréna que Fredy Villanueva aura été abattu par la force constabulaire. Une année plus tard, la poussière retombée, certains témoignages nous permettent de comprendre un peu mieux les tenants et les aboutissants d’une crise larvée qui remonterait à quelques années au moins. Oscar Elimby est le président de Mener Autrement, un organisme qui s’occupe d’offrir de l’aide aux devoirs et des activités de sports et de loisirs aux jeunes les plus démunis du secteur nord-est de l’arrondissement. Or, ce dernier tente, depuis 2005, de faire en sorte que les jeunes qu’il a pris en charge puissent se prévaloir des infrastructures d’un arrondissement où c’est la loi du plus fort qui semble s’imposer.

M. Elimby et les quelques parents qui l’appuient dans sa croisade dénoncent le fait que seul le Club de soccer de Montréal-Nord, un club d’élite, ait un accès prioritaire aux quelques terrains de soccer de l’arrondissement. Après consultation de certains documents, il appert que les frais d’inscription pour la saison 2009 sont de l’ordre de 350 dollars (autour de 225 euros) pour les joueurs âgés entre 15 et 18 ans. Peu de familles peuvent débourser de tels montants, surtout celles qui comptent plusieurs adolescents. Qui plus est, seule une frange d’élites pourra accéder au rang de l’équipe, ce qui fait qu’environ 1000 jeunes ont accès en priorité aux fameux terrains convoités, plus particulièrement celui situé à proximité de l’Aréna Henri-Bourassa.

Une problématique qui risque de s’envenimer

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis les émeutes de l’été dernier. C’est ce qui a poussé les pouvoirs publics à multiplier commissions, tables rondes et autres mesures de consultation afin de mieux cerner une problématique qui risque de s’envenimer si on n’y prend garde. Profitant d’une table ronde, tenue l’automne dernier à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le professeur Frank Remiggi soulignait que 40 % des 84 000 habitants de l’arrondissement de Montréal-Nord vivent sous le seuil de la pauvreté et que près de la moitié des familles sont monoparentales.

S’occupant d’une centaine de jeunes, dont un certain nombre sont atteints de déficiences légères, l’organisme Mener Autrement œuvre dans le périmètre le plus explosif de l’arrondissement. En effet, c’est dans le quadrilatère formé par les rues Lacordaire, Langelier, Henri-Bourassa et Léger que des émeutes ont éclaté l’été dernier, avec les tragiques conséquences que l’on sait. En fait, il semblerait qu’hormis les camps d’été pour les plus jeunes (les moins de 13 ans), presque rien ne serait offert à une frange importante d’adolescents du secteur.

Déni de la part de la classe dirigeante

Une autre intervenante, la candidate du parti Projet Montréal (un parti municipal qui défend une certaine vision de l’« écologie urbaine » et le droit à des conditions de vie décentes) pour un des districts de l’arrondissement de Montréal-Nord, va jusqu’à affirmer que « nos édiles osent dire que tout allait bien au lendemain des émeutes, voulant sans doute mettre le couvercle sur la colère des communautés concernées par l’évènement. Je ne sais pas s’il s’agit d’une question d’ignorance ou de déni, poursuit Judith Houedjissin, mais nos édiles réagissent comme si on avait affaire à une collectivité de jeunes qui se plaint le vendre plein ».

Tous les observateurs s’entendent pour dire qu’une majorité des jeunes vivants dans ce secteur n’a, pour ainsi dire, accès à rien. Madame Houedjissin n’en revient tout simplement pas. La ressortissante du Bénin constate qu’il y a deux réalités urbaines à Montréal. « Les gens de Montréal-Nord sont entassés dans des zones exigües où il n’y a pas d’arbres, ni services de proximité dédiés à la population environnante. Si ça continue comme ça, nous allons nous retrouver dans une situation qui se rapprochera de celle qui prévaut dans les banlieues parisiennes », s’enflamme-t-elle.

Les autorités de l’arrondissement semblent fermer les yeux depuis trop longtemps face à cette situation qui perdure. C’est ce qui aura provoqué une crise politique qui a poussé le Maire de l’arrondissement et deux autres conseillers à ne pas se représenter aux prochaines élections municipales. Rappelons aux Internautes que la loi sur les municipalités du Québec a fixé la tenue des prochaines élections sur l’Île de Montréal au 1er novembre prochain.

Plus de justice sociale

Le premier magistrat de la métropole du Québec, le Maire Gérald Tremblay, a concédé qu’il y aurait un problème de justice sociale à Montréal-Nord. Allant jusqu’à affirmer qu’il faille « … s’occuper davantage des personnes qui sont dans le besoin. Et, dans un deuxième temps, qu’il y ait de la justice, pour un meilleur partage des ressources que nous avons ». Et, ici, le Maire Tremblay a presque passé aux aveux, puisque son administration s’est distinguée (en l’espace de deux mandats consécutifs, de 2001 à présentement) pour sa très grande propension à déléguer à des firmes privées une partie de la gestion des services publics.

Alors que l’administration centrale de la Ville de Montréal aurait accumulé une réserve spéciale qui atteignait les 800 M dollars (autour de 515 M euros), l’été passé, plusieurs arrondissements doivent composer avec des déficits d’exploitation privant la population de plusieurs services essentiels. Ainsi, les bibliothèques de quartier, les arénas et autres espaces civiques ferment leurs portes plus tôt. Le système d’évacuation des eaux usées est vétuste à plusieurs endroits et l’offre en termes de transports en commun est déficientes dans les secteurs éloignés du centre-ville. Pourtant, comme l’ont noté plusieurs observateurs, le budget alloué à la sécurité publique et aux forces de police a été augmenté au point d’occuper une portion appréciable des dépenses de la Ville de Montréal.

Comme nous le mentionnait en entrevue Marcel Tremblay, frère du Maire de Montréal et responsable des relations avec les communautés culturelles, il est de plus en plus difficile d’intégrer les 22 000 nouveaux arrivants qui viennent s’ajouter à la population montréalaise chaque année. Et, une majorité des immigrants de première génération sont confinés dans les arrondissements les plus éloignés du centre-ville. Le cœur de la cité s’embourgeoise – comme partout ailleurs dans le monde – et les couches les plus défavorisés sont repoussées par la centrifugeuse socioéconomique.

Notre interlocuteur admet qu’il faille être à l’écoute des requêtes de ces populations métissées, histoire de comprendre comment elles réagissent et fonctionnent. Mentionnant que « beaucoup d’argent a été investi dans la formation du personnel municipal afin de se mettre au diapason des nouvelles communautés culturelles ». Toutefois, ce changement d’attitude de la fonction publique ne compense certes pas le manque de service de proximité qui accable le secteur. Et, les emplois se font rares à Montréal, dans un contexte où la crise économique aura creusé encore plus les disparités entre ses habitants. Marcel Tremblay tient à souligner le programme de stages que son administration a mis en place et qui aidera une soixantaine de jeunes à faire leurs premières armes dans le monde du travail. Une goutte d’eau dans l’océan !

Toujours est-il que les édiles de la métropole du Québec ne pourront plus se fermer les yeux à l’avenir. Jean-Claude Icart, coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et la discrimination, faisait lui aussi partie de la table ronde tenue à l’UQAM l’automne dernier. Cet observateur estime que le gouvernement du Québec devra peser sur l’accélérateur afin d’appliquer sa loi destinée à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. « La pauvreté, le chômage et le sentiment d’exclusion aggravent les risques de marginalisation et de délinquance », faisait-il observer au Journal L’UQAM, une publication de l’institution universitaire.

Jouer au chat et à la souris

Voilà plusieurs années qu’Oscar Elimby argumente avec les élus de l’équipe du maire démissionnaire de l’arrondissement de Montréal-Nord. Tentant d’obtenir du temps de jeu ou des locaux pour ses jeunes protégés, il s’est buté depuis trop longtemps à toute sorte de rebuffades de la part d’une administration qui semble prendre un malin plaisir à « jouer au chat et à la souris » avec lui. Constatant qu’il y a des plages libres dans l’horaire de jeu du terrain de soccer Henri-Bourassa, M. Elimby et ses jeunes protégés tentent, depuis plusieurs années, de réquisitionner du temps de jeu pour y mener des tournois amicaux.

Faisant la sourde oreille aux doléances de l’organisme Mener Autrement, les responsables des sports et loisirs de l’arrondissement les ont invités à aller jouer ailleurs, sur des terrains de jeu qui ne sont pas équipés pour de telles activités. Dans certains cas, les jeunes seraient obligés de se taper un bon 4 kilomètres de marche à l’aller, alors que plusieurs parents ne disposent pas de moyens de transport autonomes. Qui plus est, le terrain tant convoité serait le seul à être convenablement éclairé après 19 h 30.

Une situation qui dégénère

De fil en aiguille la situation aura dégénéré et les responsables de l’arrondissement menacent d’enlever à l’organisme son accréditation s’il ne change pas de président. C’est ce qui fait dire au principal intéressé que son patelin est administré par des méthodes « digne du gangstérisme le plus abject ».

Entre-temps, une coalition de jeunes a été formée, allant jusqu’à recueillir plus de 600 signatures de parents qui en ont assez de la discrimination pratiquée à l’encontre de leurs enfants. Les porte-parole de la coalition ont bien tenté de se faire entendre par les édiles lors du conseil d’arrondissement du 15 avril dernier. En vain toutefois, les édiles affirmant que les jeunes auraient été manipulés par des adultes, ces derniers leur ayant mis dans la tête les questions qu’ils s’apprêtaient à poser.

Depuis, la tension est à son maximum. Une vingtaine de jeunes de l’organisme ayant investi spontanément le terrain de soccer Henri-Bourassa, le vendredi 19 juin, des adultes en charge du fameux Club de soccer de Montréal-Nord ont décidé d’appeler le poste de police le plus proche à la rescousse. Heureusement que M. Oscar Elimby veillait au grain en s’interposant entre ses jeunes et les forces de police.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, le bouillant organisateur communautaire a même interpelé le premier ministre du Québec pour que son cabinet intervienne. Toujours sans réponse, les dirigeants de Mener Autrement et les parents qui les soutiennent comptent bien sur les prochaines élections pour que la population du secteur défende ses intérêts. Le ballon est, désormais, dans le camp des médias étrangers.

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