Les rades de Libreville, Port-Gentil et Lomé ont vu non sans amusement deux preux chevaliers, Bolloré et Dupuydauby, se disputer leur conquête.
Jacques Dupuydauby est un artiste. Le patron de Progosa a réussi à gruger le groupe Bolloré, son patron Vincent, et le « carotter » de la bagatelle de vingt millions d’euros, tout en étant payé par lui. Un chef d’œuvre !
En 1999, l’homme d’affaires établit le contact avec la multinationale de Bolloré. Objectif, contrôler la manutention et le frêt dans les ports de Lomé (Togo), Libreville et Port Gentil (Gabon). Ainsi naît Progosa Investment, détenue à 99,9% par Bolloré et dirigée par l’ami Jacques qui remporte haut la main un appel d’offres pour le port de Lomé. Bolloré investit 20 millions d’euros, paie Dupuydauby 30 000 euros par mois et pose un pied au Togo et au Gabon…
L’idyllique situation se complique quelque peu en 2003. Le pouvoir togolais verrait d’un mauvais oeil que Bolloré contrôle à la fois la manutention et le fret du port de Lomé. Une information « obtenue par Dupuydauby » et immédiatement transmise à Vincent Bolloré. Pas bégueule, le grand patron cède la manutention à un autre groupe… qui lui rend bien vite les clés de l’affaire, fin 2004.
Ce coquin de Dupuydauby aurait verrouillé l’accès au port et quelque peu siphonné les actifs… C’est ce que découvrent les auditeurs envoyés sur place. Une manœuvre simple : transférer les actions des sociétés détenues par Bolloré à des entités homonymes en Espagne et au Luxembourg, mais détenues par le sieur Jacques. En gros, Bolloré possède toujours la société Progosa Investment, mais plus ses activités sur le port…
Une ficelle certes un peu grosse, mais bien tenue par Dupuydauby, qui a opéré de façon identique au Gabon. Et qui un temps, arrive à noyer le gros poisson Bolloré. « On ne s’imaginait pas que Dupuydauby allait nous doubler », explique-t-on dans l’entourage de l’entrepreneur, pauvre bougre trompé par un méchant arriviste…
Si les plaintes de la multinationale contre son salarié suivent leurs cours en Espagne, où le boss de Progosa est mis en examen en octobre 2005, la justice africaine est plus retors. Les multiples demandes de convocation d’Assemblée générale et de Conseil d’administration sont retoquées par la justice togolaise.
Et les juges de Lomé, courant février 2006, s’amusent à faire passer 36 heures de garde-à-vue à quatre dirigeants de Bolloré, venus s’enquérir de l’avancée de la situation, dont le n° 2 du groupe, Gilles Alix. Ces diables d’entrepreneurs auraient tenté de soudoyer le président de la Cour suprême… et n’échappent à leur sort qu’après le versement d’une caution de 500 000 euros.
Le riche entregent, notamment chiraquien de Dupuydauby ne serait pas tout à fait étranger aux déboires africaines de Bolloré, jugé un peu trop proche de Nicolas Sarkozy. Outre Michel Dupuch (ex-conseiller Afrique de Jacquot) et Rémy Chardon (ancien dir’cab de Chirac à la Mairie de Paris), le patron de Progosa a aussi dans sa manche une carte « eyademesque » : Charles Debbasch. Truculent conseiller juridique d’Eyadéma père et fils, artisan des coups d’État constitutionnels togolais, le juriste français aurait été bien « traité » par Dupuydauby. Tout comme Ali Bongo, fils du président gabonais et néanmoins ministre de la Défense. De quoi ralentir ou calmer les procédures en cours.
Las, les cours africaines se sont résignées à condamner ses opérations et à restituer les actifs envolés vers le grand-duché du Luxembourg et l’Espagne. Le 26 mai, un jugement de 7 pages rendu par le Tribunal de première instance de Libreville démonte toutes les opérations menées par Dupuydauby contre Bolloré. La note s’avère un peu salée : le bon Jacques doit régler près de deux milliards de francs CFA (3 millions d’euros) à son ancien patron, « au titre de ses différents préjudices subis », et 800 autres millions à une filiale du groupe Bolloré. La défense du pauvre Jacques était pourtant très politique, assurée par Me Roland Dumas et Me Mayila, la fille du vice-premier ministre gabonais…
Le 22 septembre, les juges togolais ont de même tranché les litiges en faveur de Bolloré et annulé les transferts d’actifs finement cornaqués par Dupuydauby. Il devra verser 100 millions de FCFA de dommages et intérêts. Une décision assez prestement rendue. L’audience initiale était prévue le 13 octobre.
La rencontre entre Bolloré et le président Faure Gnassingbe début septembre à Paris a sans doute dû accélérer les choses au Togo. Tout comme l’idylle entre Sarokzy et Omar Bongo au Gabon. Le poids du géant Bolloré face au nain Dupuydauby aussi. Et le ménagement d’un industriel réputé sarkozyste ? Mieux vaut ne jamais insulter l’avenir.